Le paquebot, toutes les lumières éteinteLe paquebot, toutes les lumières éteintes, était pressé de se délester d'une partie de ses passagers en Nouvelle-Bretagne, pour redescendre, enfin, plus tranquillement vers Tripoli, dernière ville presque sûre d'un monde en guerre.

Mia s'émerveillait de l'horizon traversé de nuages paresseux au-dessus de l'Océan-Atlantique, qui traçaient, eux aussi, leurs routes vers une destination impérieuse. La simple cabine transformée en dortoir inconfortable avait conservé son immense porte-fenêtre qui donnait tous les soirs sur de magnifique coucher de soleil. Même à toute allure, à plus 20 nœuds, prétendait le prospectus sur un mauvais papier, le paquebot semblait comme immobile au milieu de l'océan, laissant le soleil repeindre le ciel de ses derniers feux au fur et à mesure qu'il se mettait à fondre à l'horizon.

Encore deux jours en pleine mer avant le prochain débarquement à Saint-Nazaire compta Mia, ce qui décuplait son envie de profiter encore plus de cette soirée avec ses derniers amis. Le point de rencontre décidé était cette suite presque royale, étrangement inoccupé lors de cette traversée ; certainement la propriété d'un milliardaire qui avait choisi un autre point de chute dans le monde, un endroit beaucoup plus sûr qu'un paquebot de 30.000 personnes entassées parfois à plus de 10 passagers dans des cabines tristes.

Mia avait eu le temps de pirater le système informatique avec son inoffensive liseuse électronique, avec la batterie tranquillement retirée pour passer les multiples contrôles lors de l'embarcation, il y a 12 jours. Beaucoup n'imaginaient pas la puissance de calcul d'un livre électronique en noir et blanc. C'était dingue tous les petits, mais précieux avantage que permettait ce petit ordinateur face à un antique système informatique d'un vieux paquebot. Avec Rachel, pour tromper l'ennui quotidien, elles s'étaient improvisées exploratrices ouvrant à leurs guises les couloirs et pièces interdites d'accès, sans âme à l'horizon, se laissant parfois effrayer par leur propre ombre.

Sam tira sur la manche de Mia qui se surprenait de ce coucher de soleil encore plus éclatant que la veille, espérant à chaque seconde apercevoir encore de rayon vert qui saluait, chapeau bas cette journée et vous invitait à la plus agréable des soirées.

- Mia, encore la suite !

- Sam, je t'avais promis deux chapitres. J'ai la bouche sèche à te lire à voix haute "Voyage vers la lune". Si tu veux, tu peux lire la suite tout seul !

- Ha non, c'est toi seul qui peut le lire !

Ça arrangeait bien sûr Mia de ne pas lui prêter sa liseuse ce soir, car le clou de la fête dépendait de sa baguette magique électronique pour assurer une superbe soirée maillot de bain. Sam essaya des yeux de chaton, un peu plus rond, suivi d'une moue malicieuse qui pouvait, peut-être sur un malentendu, faire vaciller la détermination de Mia; ça avait une fois fonctionné. Mia borda un peu plus son frère. La couverture remontée jusqu'au menton commençait déjà à remplir les yeux d'une douce fatigue, apaisant l'âme tracassée du destin des héros, eux aussi, endormis dans leur obus en chemin vers la Lune à toute vitesse.

Sam termina de remonter encore plus la couverture jusqu'à ses cheveux bruns, comme un rituel, avant de basculer sur le côté, laissant à peine dépasser son visage aux yeux noisette attendre les prochains bisous dans l'ordre : sa grande sœur Mia d'abord, puis celui de Mère et de son père enfin.

Un bisou sur le front et Mia appela Mère pour signaler que la lecture du soir était terminé. Mia était persuadée que tout le monde l'écoutait quand elle lisait, depuis qu'il avait quitté New-York, car l'ambiance dans la cabine, avec ses inconnus de dortoir, semblait s'apaiser pendant ce moment suspendu. Mère remercia Mia par une main chaleureuse sur l'épaule de Mia, la libérant pour la soirée. Sam disparu alors derrière le sari richement décoré qui se penchait sur lui, comme happé par une dernière voûte étoilé multicolore. Mia alla rapidement faire un bisou à son père, à la stature d'un Obelix sur un petit lit trop étroit, qui faisait semblant d'être occupé avec un roman qui ne semblait aussi ennuyeux qu'un dictionnaire français, peut-être emporté dans le même voyage que son frère.

- Tu feras un bisou de ma part à Grand-Mère. Je dois tout de suite rejoindre Rachel. Je vais essayer de ne pas rentrer ce soir pour ne pas faire de bruit.

- Je lui transmettrais. Si tu es perdu, est-ce que l'on sait où te chercher ? Demanda-t'il, sans se soucier de sa grande fille qui avait fêté ses 16 ans avant d'embarquer. Il avait confiance dans les relations de sa fille, car elle avait déjà parcouru quatre continents,et qu'instinctivement elle se retrouvait toujours, sauf surprise, avec des jeunes de son âge, de bonne famille, si ce n'est pas des enfants de diplomate comme elle. Il aurait aimé goûter à nouveau cette jeunesse sage, insouciante et joyeuse. Il avait toujours espéré le meilleur pour sa famille, avant d'être obligé de se rendre s'enregistrer dans un pays dont il ignorait tout depuis que l'ancienne France était divisée en 3 pays : la France-Forte, la Grande-Vendée et La Nouvelle-Bretagne. "Nouvelle" était pour lui le signe annonciateur d'un mauvais marketing sans imagination, mais la mode des nouveaux pays était de se décomposer en deux mots, comme de stupide grenouille qui se faisait plus grosse qu'un bœuf.

Mia ne semblait pas vouloir lui répondre. Son père insista

- Sache que c'est un grand navire quand même, avant que je te retrouve ! Si tu me promets de ne pas passer par-dessus bord, je sais que je finirais par te retrouver, mais j'aimerais un petit indice quand même.

Mia répondit avec un grand sourire complice.

- Je te promets de ne pas passer par-dessus bord ! Un indice ? Cherche vers le haut. Et si tu ne me trouves pas, alors demande à Grand-Mère.

- Je ne m'inquiète pas et je te souhaite une bonne soirée, dont je ne sais rien je te rappelle !

- Je te promets de tout raconter, plus tard, quand on sera arrivé

- Hum

Mia retourna sa liseuse qu'elle avait recouvert d'un grand film miroir, presque un objet de luxe sur ce bateau qui était à l'économie pour transporter le maximum de personne, dépeçant chaque cabine de tout ancien confort, se concentrant sur un seul objectif : entasser le maximum de passagers.

Elle se regarda furtivement dans ce miroir en plastique, s'assurant que ses yeux amandes étaient au top pour affronter le regard, se mit du rouge à lèvre pour ne donner aucun doute sur ses intentions de la soirée, remis ses cheveux bouclés en place et s'assura bêtement qu'elle avait son maillot de bain sous sa robe d'été. Elle aimait son visage métis mi-indienne et mi-parisienne, visage qui rivalisait selon ses amis avec la beauté des plus belles femmes de Madagascar. Elle était plus belle que sa mère, elle en était sûr, son père le lui rappelait souvent.

Dans son sac de vacances en toile légère, où se répétait plusieurs noms de plusieurs pays et qu'elle avait rapiécé à mainte reprise, elle glissa sa précieuse liseuse électronique et par précaution y ajouta un pull chaud et se résolu finalement à emporter une lourde couverture contre le froid. Elle se faufila dans le couloir principal, telle une sexy et brillantes espionne, dissimulé sous cette couverture d'invisibilité, vers les plus hauts étages du navire rejoindre Rachel.

Le rendez-vous était fixé après 23 h, mais elles devaient d'abord ouvrir les portes sécurisées un peu plus tôt. Rachel, habillé d'une robe colorée qui magnifiait ses taches de rousseur, l'attendait déjà au pont supérieur, à l'angle cet interminable avenue centrale bondée de passagers malgré les anciens commerces de mode à jamais fermé. Sans un mot, d'un simple regard destiné à évaluer la détermination de chacune, elles continuèrent de remonter les étages du navire en donnant l'impression d'être pressé, se frayant un passage parmi les habitants qui erraient comme des absents, tentant, eux aussi, d'échapper aux cabines étouffantes et à l'ennui. Les murs des couloirs étaient le plus souvent parés d'une montagne de valises mal rangées. Certains empilements faisaient parfois penser à des couchettes improvisées pour les plus agoraphobes ou à des alcôves qui faisait penser à des cabanes imaginaires construire par les enfants. Il n'y avait pas vraiment de police, ni de garde du tout. Seul la retenue et la bienveillance des passagers déterminaient la qualité de la traversée. Certains affirmaient qu'un autre paquebot n'avait jamais atteint son port, stoppé à tout jamais au milieu de l'océan, sans plus un passager encore vivant, ou alors devenu cannibale peut être. Certainement une légende colportée par la compagnie pour inciter chacun à rester calme. Presque tous les adultes étaient préoccupés par le bon déroulement de la traversée et de l'après. La joie de vivre, encore intacte, des plus jeunes, petits et moins jeunes, brillaient comme des trésors de la nature que chacun aurait aimé acheter à n'importe quel prix, juste le temps d'oublier cette anxiété rampante.

Arrivé à l'ultime pont du navire, derrière un petit décrochement où il n'y avait normalement jamais personne, le couloir était interdit par une lourde porte et une poignée puissante qui résista à la tentative d'ouverture. Elles se posèrent assises devant comme pour marquer leur territoire. Rachel commença le guet pendant que Mia sortait sa liseuse électronique qu'elle relia par un long câble USB à un passe au format d'une carte bancaire. Une fois inséré dans le lecteur de la porte, un script informatique déjà préparé remplis son œuvre, comme la dernière fois quand elle avait déjà répété tout ceci. Un déclic se fit entendre et la poignée n'offrit plus aucune résistance. Elles entrebâillèrent la porte et d'un pas lent se glissent derrière. Pendant 30 secondes, elles cherchèrent le moindre bruit inhabituel avant que Rachel alluma la lampe torche, déterminé à en finir d'être noyé par cette nuit profonde qui la mettait mal à l'aise. Le couloir silencieux était immense et désert. Elles avancèrent dans ce couloir jusqu'à la dernière porte, qui ne se différenciais pas des autres, mais qui ouvrait sur cette suite royale incroyable découverte il y a 3 jours lors d'une précédente expédition. Le passe électronique fit à nouveau son œuvre et elles rentrèrent se mettre à l'abri.

La suite était constituée d'un salon avec de larges et moelleux canapés en cuir, il y avait une petite cuisine sur le côté, une chambre de l'autre, mais la plus belle découverte était cette deuxième chambre qui donnait sur une terrasse en bois qui se prolongeait par une piscine vide qui donnait sur l'océan. Protégé du vent, cette piscine, qui retrouvera bientôt son éclat, deviendra le clou du spectacle et augurait déjà une soirée que personne n'oublierait.

Mia et Rachel se déchaussèrent sur la terrasse en vinrent s'asseoir sur le bord de la piscine, sous un ciel nocturne qui commençait à allumer les étoiles une à une et qui laissera, dans deux petites heures, apparaître la voie lactée dans toute sa splendeur, comme jamais observé. Le spectacle était total, là, au bord d'une piscine vide, au milieu de l'océan à perte de vue était ironique. Les paquebots étaient devenus le seul moyen de transport pour traverser les océans. Prendre l'avion revenait désormais à jouer à la roulette russe. La probalité qu'un drone supersonique piloté par une IA autonome, même lancé à 1000 km de l'aéroport, rate un avion remplis de 800 passagers faisait plus la une d'un journal que tous ceux qui faisaient mouche. Même la roulette russe vous offrais plus de chance de survie. Les paquebots étaient le moyen le plus sécurisé de se rendre à autre point de la terre, même les paquebots promis à la casse, ou pas encore complètement désossé, étaient remis à flot. D'immenses boucliers d'acier étaient érigés autour des paquebots depuis qu'un affréteur avait vendu, presque le double du prix, une traversée sur un paquebot qui affichait ces protections contre les drones d'attaque. Les traversés empestaient les vapeurs d'un fuel lourd de mauvaise qualité mal brûlé. Être à l'avant du bateau, face à une brise pas encore pollué sur une traînée de 30 km ajoutait au luxe du moment pour Mia. Tout le confort des paquebots étaient désormais sacrifiés pour augmenter le nombre de passagers et réduire les coûts. Toutes les piscines restaient à sec de cette eau qui valait désormais de l'or et surtout pour éviter que les plus démunis se contentent d'une eau sale pour aller ensuite remplir les infirmeries inutilement. Les commerces des galeries commerciales étaient, derrière leurs rideaux de fer, transformé en dortoir sur plusieurs étages, noyé sous des lumières permanentes. Mia était consciente de la chance d'être dans une petite pièce avec seulement huit lits. Elle aurait aimé que Grand-Mère et sa femme dorment avec eux, mais elles avaient exigé d'être séparés, pour dormir, loin de la famille, ce qui avait réjouis Mère.

- Tu es sûr de la remplir, la piscine ?
- Ouais, j'ai fait des essais avant-hier
- J'aurais pu venir avec toi, tu m'as rien dit
- Quand je ne sais si ça va vraiment marcher, alors ça me stresse quand j'ai quelqu'un à côté de moi. Si ça ne marche pas, je peux essayer plein de fois tranquillement. Tu m'aurais trop stressé.
- Pourquoi tu n'as pas laissé la piscine déjà remplie ?
- Je n'avais pas envie que quelqu'un découvre une piscine remplie avant ce soir. Si ça avais été le cas, je suis sûr que la surveillance aurait été redoublée avant ce soir.
- Ouais, bien vu. Il faut compter combien de temps d'après toi pour la remplir
- il faut peut-être 2 h, je ne sais pas trop, mais le débit deviendra normalement de plus en plus important. La seule chose que je n'ai pas encore réussi à faire fonctionner, c'est le recyclage de l'eau.
- Pas grave, on ne pourra jamais revenir ici après
- dans deux semaines, sans filtrage, l'eau sera épaisse et poisseuse, même les goélands ne voudront pas s'y poser.

Mia retrouva sur sa liseuse le script qui allait remplir la piscine et la tendit à Rachel

- Appuie sur le bouton "Run" et tu seras alors juridiquement responsable de ce délit Rachel.
- J'ai déjà vu mon père remplir une baignoire de champagne hors de prix, alors je pense qu'il sera fier que sa fille ai réussi l'exploit de remplir une piscine d'eau douce. Je vais encore plus briller à ses yeux.
- Rachel appuya sur le bouton. Et rendit la tablette à Mia.
- C'est excitant Mia, tu ne trouves pas ?
- Si on se fait prendre, l'addition risque d'être salé Rachel; il vende le litre d'eau supplémentaire 100 $ dans les couloirs.

L'eau émergea du fond et s'étira langoureusement pour explorer le fond. Chaque avancée faisait disparaître des continents imaginaires que des carreaux de carrelage semblait dessiner. Certains continents semblait parfois résister, par quelle magie vaine, à l'invasion. Le silence s'installa entre Mia et Rachel qui se laissaient envahir par la progression décidée de cette eau qui avaient désormais engloutis intégralement le fond.

Mia brisa le silence contemplatif en soupirant.

- Plus que deux jours avant d'arriver à Saint-Nazaire et vous allez me manquer, déjà.
- Je ne m'inquiète pas pour toi, tu es habitué à déménager tout le temps, tout le monde aime être avec toi.
- Ce n'est pas la même chose, on est comme apatride désormais.
- Pas vraiment, vous signez votre nouvelle nationalité et hop tu passes de Française à Bretonne, ou Nouvelle-Bretonne, on dit comment d'ailleurs ? Au pire vous déclinez et hop le lendemain tu seras une Forte-Française.

Mia souris à ces toutes ces possibilités

- Je ne sais pas
- Vous aller choisir quelle nationalité ?
- Comme papa est né à Nantes il est donc automatiquement citoyen de la Nouvelle-Bretagne, mais je ne sais pas trop ce qu'il pense, il n'a pas été clair jusqu'à maintenant. Où alors on lui dira qu'il est citoyen de la Grande-Vendée à cause de sa mère née à Clisson, une petite ville en dessous de la Loire. Mère suivra père quoi qu'il arrive. Par contre, je sais que Grand-Mère et sa précieuse vont demander à devenir citoyennes de la Nouvelle-Bretagne. Elle ne veut pas vivre un instant de plus en Démocratie 1. C'est dingue ! J'ai une grand-mère qui me surprend tous les jours. À un dîner, elle s'était mise à raconter comment elle avait participé à la nouvelle guerre civile en Amérique ! Je croyais qu'elle était de passage aux États-Unis, comme tout le temps en train de voyager à travers le monde. Ben non, tu l'as déjà rencontré, élégamment fripé et un peu foufou des froufrous, encore plus depuis qu'elle est mariée avec sa précieuse ! Elle commence à raconter à table, qu'elle et sa précieuse, étaient en premières lignes à soigner les blessés. Elle racontait que parfois ses gestes, une aiguille à la main, étaient parfois figé par la détonation des obus, elle fermait le plus souvent les yeux avant de piquer à cause de la poussière provoquée par les destructions.
- Je n'aurais pas aimé jouer à la docteure avec elle
- N'empêche que c'est grâce à elle qu'on a su que les républicains allaient gagner la guerre-civile quand elle nous a rejoints à Washington. Je me rappelle que papa nous as tous fait venir dans le salon pour nous annoncer la nouvelle. On a acheté nos billets le jour même et on fait, pendant deux jours, le plein de boite de conserve et de sachets lyophilisés pour la traversé. Mon père savait que la nourriture coûtait une fortune après l'embarquement, alors pas de petite économie.
- Moi, mon père, il riait quand il a entendu dire que les gens remplissaient leurs valises de boite de conserve et on a embarqué avec que des valises bourrées de vêtement à la mode, classique quoi sur un paquebot. C'est la première fois que je le vois rager contre le prix d'une boite métallique qui coûtait, quoi, je ne sais pas, max 10 $. Les prix sont démentiels, 500 $ pour une banale boite de petits pois. Il faut compter 1200 $ pour une soupe de vermicelle avec de minuscule bout de viande. Presque le prix d'une bouteille de champagne, pas un grand cru certes, mais dans quel monde on vit !

Rachel sentit qu'elle ennuyait Mia avec ses dérapages de fille de riche et changea de sujet pour l'amener à discuter de chose plus terre à terre.

- Je t'avais dit qu'on s'arrêtait à Alger, rejoindre notre résidence de vacances. C'est foutu ! Je vais devoir rester encore une semaine de plus pour rejoindre notre seconde maison de vacances au Liban.
- C'est dingue le nombre de maisons de vacances que vous avez ! Mais je comprends ta famille de ne plus faire halte en Algérie, surtout depuis le massacre de la dernière manifestation. Papa aurait pris la même décision.
- J'ai beau ne pas avoir de sympathie pour le bordel qu'elles foutent dans le monde, mais là j'ai quand même été choqué de voir les assassins qui manifestaient étaient avec elles, presque main dans la main, et quand ils ont sortis leurs couteaux et les ont plantés dans le dos de leurs amies, des étudiantes qui devaient avoir pas plus de 23 ans. Presque nous quoi. Je ne sais pas comment on peut en arriver là. Les images sont horribles. Tu as vu la photo, de la fille qui réconforte son ami, son futur assassin dans les minutes qui suivrons, cette colombe qui redonne le courage à ce loup triste et cynique est glaçante.
- Mon père m'a expliqué que peut être en échange de 20 ans en prison, ramené dans les faits à 12 ans et un traitement de faveur dans les conditions de détention, on avait certainement promis à tous ces assassins de cette manifestation, que tous les membres de la famille étaient assurés d'avoir une vie décente jusqu'à la fin de leur vie, de meilleures écoles, une place dans une administration et une villa pour leur maman. Et quand on te propose un ticket de multimillionnaire pour chaque membre de ta famille, alors beaucoup ont accepté. Mon père a même trouvé très ingénieux cet angle d'attaque des services de renseignements, "du grand art" qui sera étudié dans les écoles renseignement, tout comme les attaques des Tours jumelles d'ailleurs. N'empêche que la peur est désormais distillée parmi toutes les étudiantes qui ne peuvent plus avancer sans tourner la tête en arrière, se méfiant de tous et toutes, un enfer intériorisé, tu t'affaiblis tout seul, je ne sais pas comment elles vont se relever de tout ça.
- Le monde est toujours une source d'émerveillement, presque exquis, pour vous les diplomates, j'ai l'impression
- Je te répète seulement ce que m'a dit mon père. Ça ne veut pas dire que je trouve ça exquis, comme tu le dis. C'est seulement de la realpolitik répète t'il souvent.
- Et il pense quoi de tout ce bordel, de la Démocratie 2 ?
- Il est ambivalent, il dit que c'est certainement inéluctable, mais que c'est trop tôt, qu'il aurait fallu attendre 3 ou 4 générations encore avant d'enclencher le processus. Ou autrement.
- Oui, attendre, ça aurait bien arrangé mes affaires.

Ne sachant pas comment sortir des banalités d'un débat qui minait et divisait tout le monde, Mia se sauva de la situation en faisant briller les yeux de Rachel.

- D'ici là, je te promets de trouver comment recycler l'eau de la piscine pour des deux semaines qui te restent.
- Je t'adore, je vais devenir la Reine sur ce paquebot de merde
- Si on ne se fait pas repérer, on pourra même revenir demain pour une dernière soirée, ça va être la planque du siècle.

La réussite de cette soirée dépendait encore d'elles et se levèrent décidé a donner une ambiance plus festive à cette suite royale. Les lumières réglées sur une couleur discrètement émeraudes donnait une impression de grotte secrète au milieu de la forêt amazonienne, qui n'attendaient plus que les invités dans quelque instant. Les premiers invités qui s'approchaient, heureux de les rejoindre, avaient les yeux rivés sur cette eau cristalline qui remplissait la piscine. La fête était placée sous une bonne étoile, ce ne faisait pas de doute.