Ainsi tout commence.

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Le réveil avait sonné pendant de longues minutes et comme chaque matin, le petit garçon ne s’était pas levé. Le pas lourd et pressé de son père résonnait dans l’escalier, la porte s’ouvrait en trombe et l’homme soupirait en voyant son fils encore tout endormi. Il pestait, râlait, venait ouvrir le volet pour l’obliger à se hâter mais l’enfant enfouissait sa tête sous son oreiller.
C’était devenu une habitude, presque un rituel, pourtant l’adulte ne pouvait faire autrement. Sa voix tirait le petit brun de son sommeil. Se dépêcher pour ne pas être en retard, se dépêcher pour ne pas mettre son père en retard. Ses petits poings frottaient ses yeux avant qu’il ne puisse les poser sur le cadran de son réveil et il soupira lourdement. Une nouvelle journée commençait, une où, une fois de plus, il ne pourrait s'empêcher de penser à cette nuit, aux rêves qu’il avait fait.

Vite s’habiller, vite avaler un petit déjeuner sans oublier de glisser quelques tartines dans son sac. Vite monter en voiture pour que son père le dépose devant l’école. Vite, vite. Pas de bisous, pas de “à ce soir”, tout était millimétré à la seconde près. Son père partait en trombe, le laissant seul face à une réalité qu’il ne supportait plus depuis bien longtemps. Ses camarades étaient là, bruyants, chahutant. Leurs rires ne lui semblaient pas harmonieux, leurs cris bien moins encore. Pénétrer dans l’enceinte de l’école était toujours une épreuve pour Caleb mais il devait le faire. Pour lui, pour son père, pour le rendre fier. James était un homme digne, indépendant, un brin râleur mais son fils le savait mieux que personne. Il cachait sous ses airs intouchables, une sensibilité profonde. Il aimait ronchonner mais jamais, de mémoire, il n’avait levé la main sur son fils même quand ce dernier l’excédait. D’un point de vue extérieur, leur relation pouvait bien paraître froide, mais l’un et l’autre savaient de quoi il en retournait exactement. Le soir quand ils étaient seuls, l’enfant savait qu’il pouvait se confier, parler de tout ce qu’il ressentait ou avait sur le cœur. Il pouvait parler de ses rêves, autant ceux qu’il faisait que ce qu’il imaginait pour l’avenir. Il leur arrivait de jouer ensemble, de créer des histoires qui leur plaisait à tous deux. C’était pour Caleb, une bulle suffisante pour se protéger de tout le reste. Il savait que quoi qu’il se passe en classe, une fois chez lui, il retrouverait son petit monde.

Les enfants le trouvaient bizarre, n’aimaient pas ses dessins car pour eux, il ne dessinait que des “monstres”, mais lui savait. Ce n’était pas des monstres et ils jouaient un rôle important dans sa vie, dans le monde qui les entourait. Il avait bien du mal à comprendre que nul autre que lui ne puisse les voir ou ressentir leur présence. Pour ses professeurs, c’était un peu similaire. Ils voyaient en lui un enfant calme, dans la lune, mais regrettaient qu’il ne tente pas plus de se faire des copains. “A cet âge-là, les enfants ont besoin d'amis et pas d’amis imaginaires” avait même dit l’institutrice à son père l’an passé. Rien n’avait pourtant changé.
Caleb souffrait malgré lui de se sentir différent des autres mais il refusait de le montrer. Trois ans auparavant, il avait été pris en pitié et du haut de ses 5 ans avait détesté ça. Il avait été le “pauvre petit bonhomme qui a perdu sa maman”, mais elle était vivante, il le savait, ne pouvait de toute façon pas croire le contraire. Son père lui avait expliqué les choses et le terme qu’il avait utilisé était “disparue”. Pour le petit garçon, sa mère avait simplement disparu et tôt ou tard, elle reviendrait. James avait bien évidemment tout tenté pour la retrouver et son fils avait réagi d’une manière mûre et réfléchie. Jamais dans ses pattes, il s’était fait tout petit et demandait à ses “amis” de les aider.

On lui avait laissé le temps de s’en remettre, disait-on. Mais désormais, ce temps était bel et bien révolu. Les professeurs ne le prenaient plus avec des pincettes et les remarques pouvaient fuser à toute vitesse. Installé au fond de la classe pour pouvoir rêvasser à sa guise, Caleb avait pris la manie de sortir ses affaires ainsi qu’un petit carnet qui lui servait à dessiner tout ce qui lui passait par la tête. Des animaux, des mots qu’il ne connaissait pas toujours, des pensées. Il ne faisait plus attention à rien dans ces moments-là et ce jour ne fit pas exception à la règle.
Alors qu’il finissait de dessiner, comme il le pouvait, l’oiseau qu’il avait vu la nuit dernière, un tapotement sur sa table l'obligea à relever les yeux.

- Tout va bien Caleb? Je ne te dérange pas j’espère! Le questionna l'institutrice les lèvres pincées.
- Oh. Et bien je…Murmura l’enfant prit sur le fait!
- Je peux savoir ce que tu fais exactement? Continua l'adulte agacée devant cette réponse.
- C’est un oiseau-tonnerre et un May..un may..Un Maymaygwashi. Je crois! Parvint à répondre Caleb incertain du nom exact de la seconde créature.

Devant l’hilarité de l’ensemble de la classe et le regard courroucé de l'enseignant, il ne savait que trop bien ce qui allait se passer. Son père allait être une fois de plus convoqué. On lui dirait qu’il devait se reprendre en main, qu’il devait cesser de rêvasser et se concentrer sur ce qu’il se passait en classe, qu’il devait grandir et arrêter de se cacher derrière son monde imaginaire. Il dirait oui, comme toujours, essaierait de ne pas faire de vagues un temps, de camoufler ce qui surgissait en lui comme une vague qui s’échoue sur un rivage. Il essaierait pour ne pas faire de peine à son père, mais ce que les autres qualifiaient d’imaginaire était réel pour lui, c’était sa réalité et ses créatures avaient toutes, selon lui, un message à lui faire passer. Il savait qu’il était encore jeune mais que bientôt il saurait, il comprendrait et pourrait prouver à la face du monde que ce n’était pas que des histoires.

*****

Les mois et les années étaient passées, Caleb avait grandi et si ses rêves “étranges” n’avaient jamais cessé, les choses changeaient pourtant malgré tout. Parfois, en levant les yeux vers le ciel il était persuadé de voir l’oiseau de ses rêves. Derrière les arbres, dans les haies avoisinantes, il entendait des bruits qui n’avaient rien de commun, se sentait en permanence épié, surveillé, mais continuait de vivre comme si rien ne pouvait l’atteindre. Même à l’école. Il s’était muré dans un silence obstiné et ses camarades ne cherchaient plus à nouer de liens avec lui. Ils se moquaient de lui, ouvertement ou non, et s'éloignaient sur son passage comme s’ils redoutaient qu’un mal incurable ne leur saute au visage.
La fin de la 5ème année évoquait pour Caleb un épisode qu’il redoutait tout particulièrement. La sortie scolaire. L’enseignante avait mis un point d’honneur à prévoir pour ses chères petites têtes blondes, une expédition enrichissante et unique en son genre et avait réussi grâce à une chaîne humaine, à ne rien dévoiler à ses enfants.

Dans le bus qui les emmenait, le bitume finissait par laisser place à la verdure. Des arbres à perte de vue, la liberté. Caleb n’avait rien contre, bien au contraire mais la vérité venait le percuter. Ils allaient faire du camping, pendant toute une semaine! Un élan de panique commençait à naître en lui et l’enfant fronça les sourcils en chuchotant “Oh non, ça ne va pas recommencer” lorsqu’il perçut une voix qui semblait venir de loin.
Réfugié sous sa tente, il respirait lentement, essayant de chasser les nuages qui s’amoncelaient dans sa tête. S’il fallait qu’il reste ici sans bouger pendant toute une semaine, il le ferait. Mais déjà il imaginait la réaction de ses camarades s’il se mettaient à parler en pleine nuit! Ils le trouvaient bizarre et ce genre de chose ne serait qu’une preuve de plus de son excentricité!
C’était typiquement le genre de moment où il devait retrouver son calme, son père n’étant pas présent il se remémora ses paroles et entendit l’enseignante frapper dans ses mains pour leur demander de se regrouper. Ensemble ils allaient partir en balade pour repérer les lieux et plus important encore, répéter les consignes de sécurité.

Avançant en file indienne, ils évitaient les obstacles autant que possible et quelques moqueries fusèrent en direction du petit brun.

- Hé Caleb? Dis nous? Tu n’as pas vu de monstres hein?
- Attention derrière toi là! Un oiseau-tonnerre! Ah non c’est une feuille qui a bougé ouf!
- Peut-être qu’il y a des loups? Ou pire des loups-garous! Aouuuuh!

C’était toujours les mêmes petits malins mais Caleb les ignorait comme il le pouvait. Haussant les épaules, il fut pourtant surpris que l’une des filles vienne le rejoindre en souriant.

- Ne les écoute pas, ils sont stupides! C’est bien d’avoir de l’imagination! Peut-être que tu deviendras un grand écrivain ou un scénariste pour des films fantastiques!

Elle avait essayé d’être gentille à sa manière et si l’enfant s’était mué dans le silence, ce qu’il entendait autour lui confirmait bien que cette nuit et celles à venir, ne serait pas de tout repos.
La rivière s’écoulait non loin de leur campement, son bruit était apaisant même si les autres s’amusaient à y lancer des pierres pour faire des ricochets.
A l’écart du groupe, Caleb s’était assis et griffonnait dans son calepin. Aucun détail n’était laissé de côté et un son qu’il n’avait jamais entendu venait le faire sourire. Qu’importe la créature qui se cachait près de lui, il n’en avait pas peur. Il retenait sa respiration avant de souffler un mot pour l’inviter à se montrer mais il entendit un “plouf”, les clapotis de l’eau et plus rien. Elle était partie.

Tout le monde était endormi au campement. Seul sous sa tente Caleb rêvait avant que son songe ne devienne une épaisse fumée et il l’entendait. Toujours cette même voix. “Ne rejette pas qui tu es, suis ton instinct. Ecoute ton coeur, garde ton esprit grand ouvert. Il est venu à toi mais tu n’étais pas prêt. Ton esprit doit être aussi vif que le vent, regarde la terre avec lui et non avec tes yeux. Ils ne peuvent voir ce qui fut, ce qui est, et ce qui sera. Ne te perds pas Waban, nous avons besoin de toi.”
Réveillé en sursaut, Caleb peinait à respirer. Son deuxième prénom, il l’avait entendu! Jamais personne ne l’avait nommé ainsi alors pourquoi? Il quittait sa tente pour s’allonger à même le sol, derrière lui, une paire d’yeux le fixait avant de disparaître de nouveau. Le garçon soufflait longuement, il devait ouvrir son esprit pour comprendre.

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