Partie XII

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La dame cavala à travers les couloirs, pour chercher une corde solide, qu’elle trouva dans un placard près du hall d’entrée. Elle pouvait encore le sauver. Elle allait le sauver. Sans prendre le temps d’allumer une chandelle, elle se précipita au-dehors.

Les températures étaient de plus en plus basses. Les nuages s’étaient écartés pour laisser filtrer la lumière de la petite lune rousse, qui éclairait d’une faible lueur orangée l’extérieur. Une fois encore, elle réalisa que son esprit lui avait joué des tours, créant des illusions qu’elle avait chassées. Le jardin était noir. Non pas parce que la nuit était tombée, mais parce que les fleurs avaient fané. L’herbe avait séché et craquait sous ses pas. Les plantes étaient noires et mortes, suintant un liquide sombre. Elle n’avait pas le temps de s’attarder sur l’origine de tout cela. Elle n’avait que son mari et ses proches en tête.

Des sons s’élevaient du puits. Au milieu des clapotis, elle eut l’impression d’entendre des râles. Une personne était encore vivante, au moins, mais l’éclat de la lune ne lui permettait pas de distinguer ce qu’il y avait au fond. La corde était lourde, son souffle était court et ses bras endoloris par la maladie. Elle dut s’y reprendre à deux fois pour lancer la corde au fond du puits. Son cœur battait la chamade et la sueur perlait sur son front.

Au bout de quelques instants, le câble salvateur se tendit, indiquant que quelqu’un grimpait tant bien que mal vers la surface. Une vague de soulagement traversa Anna-Élisa, qui s’accrochait au bord du cercle de pierre. Elle fut rapidement suivie par une vague bien plus intense de douleur. Elle hurla. Ses bras saignaient abondamment, tandis que des mains à la peau d’un gris sombre enfonçaient de longues griffes dans sa chair. La créature de ses cauchemars avait surgi hors du puits. Son visage sans aucune pilosité et marqué par la variole se tenait tout près du sien, la contemplant de ses yeux morts. Son souffle pestilentiel atteignait ses narines. Elle ne sourit pas, elle ne rugit pas. La créature renifla, libre, avant de projeter Anna-Élisa dans les profondeurs du puits.

Son bassin heurta la paroi, ajoutant à sa douleur, et, dans sa chute, elle entendit sa jambe craquer. Tétanisée, le souffle coupé, elle ne parvenait même plus à hurler. L’eau du puits pénétra dans sa bouche, ayant un immonde goût de fer. Malgré la faible luminosité, elle voyait trois masses autour d’elle, qui se soulevaient au rythme de l’eau. Trois cadavres à un stade plus ou moins avancé de décomposition. La blessée pouvait à peine bouger, et les larmes commençaient à brouiller sa vision, tandis qu’elle mettait toutes ses forces pour tenir la tête hors de l’eau.

Elle allait mourir ici, piégée par ce monstre qui la hantait, qui avait détruit son esprit, et maintenant son corps. Elle se retourna avec un râle de douleur, dans l’espoir de retrouver la corde qu’elle avait jetée, mais celle-ci avait disparu.

Un corps sans vie, se mouvant avec l’eau, toucha son épaule. Anna-Élisa reconnut ses traits, et surtout sa moustache. Falkwyr la regardait de ses yeux vitreux, la bouche déjà gonflée. Elle l’avait manqué de peu. Il était parti sans elle. Elle l’avait tué.

Elle tendit de bras pour l’enserrer. Tout ce qui lui restait était de mourir avec lui. Avec cet homme fantastique, qui l’avait aimée comme nul autre. Cet homme autrefois plein de joie et de tendresse. Cet homme qui tenait entre ses doigts crispés un livre, qu’elle avait lu de bout en bout. La femme comprit avant de définitivement partir d’où venait la créature. Avec un ultime soupir, la dernière illusion du monstre se dissipa. La belle couverture bleue du livre de mélodies vira à un noir décrépi.

Son titre changea pour Maladies.

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