La cérémonie de clôture
– Tandis que la flamme des jeux ParaOulipiques brûle encore pour quelques paragraphes au sommet du stylo plume géant du stade scribayen, le noir est tombé sur l’assemblée et c’est un silence général expectatif qui habille les secondes… Je suis maintenant obligé de murmurer… Si vous prenez notre émission en cours, chères entités numériques, amatrices et amateurs de l’Oulipie, sachez que la remise des prix finale des Jeux vient d’avoir lieu (voir chapitre 39) et que Jean-Patrick Maurice-Bernard et moi-même, Raoul-Gonzague Paul-Hervé, sommes en direct de la cérémonie de clôture des Jeux ParaOulipique et que le spectacle va commencer d’un instant à l’autre…
– Raoul-Gonzague, j’en profite pour dire que les badges Scribay ont été attribués à tous les participants et gagnants et que…
– Oh regardez Jean-Patrick, ça commence ! Un rectangle de lumière vient d’apparaître au centre du stade ParaOulipique, tandis que deux notes graves retentissent dans l’arène.
– J’ai l’impression qu’il s’agit d’une page blanche… Elle flotte devant nous telle une voile sans destination... Peut-être allons-nous assister à un voyage en écriture… Un éclair de génie nous aveugle ! Et nous apercevons maintenant une forme luminescente qui descend du ciel tel un ange… C’est une femme sublime vêtue de blanc, aux courbes calligraphiées de pleins et déliés absolument opulents.
– Jean-Patrick, ne serait-ce point une muse ?
– Mais oui, Raoul-Gonzague, vous avez raison… Le public retient son inspiration, tandis que la muse s’est arrêtée, suspendue au-dessus de la page blanche. Dans sa main délicate, une plume de feu vient d’apparaître, qui chatouille déjà notre imaginaire. La muse s’apprête, semble-t-il, à inscrire les premiers mots sur la page, tandis qu’une petite voix intérieure récite en même temps :
« Au commencement était le Verbe et le Verbe était infini. »
– La genèse du langage selon Saint Bescherelle, Jean-Patrick !
– Oui, bien sûr !
« Mais le Verbe s’ennuyait tout seul dans son royaume d’infinitif.
C’est pourquoi il créa le Sujet à la mode, en conjuguant ses temps de réflexion.
Qui sera mon successeur ? se demandait le Verbe.
Réfléchis ! se dit-il, impératif.
Même en l’affublant de tous les pronoms, le Sujet ne pouvait pas être roi… Le Verbe devait trouver autre chose pour terminer son œuvre.
C’est ainsi que le Verbe créa le Complément pour prendre sa suite.
Et la Sainte Trinité était née : Sujet, Verbe, Complément. »
– Et le public a maintenant reconnu comme nous les Chariots de Feu de Vangelis (https://youtu.be/RY3XiM7oGj0?t=14) tandis que les mots brillent en lettres de noblesse sur la page plus tout à fait blanche.
– Raoul-Gonzague, à droite… Oh, c’est fantastique, chers scribayens ! En écho à la musique que vous écoutez, des chars de mots enflammés viennent de faire leur entrée dans le stade et s’avancent autour de la page : « Provoquitude, Poésie, Liberté, Saperlipopette, Mystère, Apopathodiaphulatophobe, Enragé, Authenticité, Amour, Profondeur, Rêve, Toi, Amitié, Passe, Igloo, Balbuzard, Catastrophe, Générosité, Bordel, Funky, Loup, Pourquoi, Solidarité, Insulte, Enfance, Tous, Aucun, Justice, Joker, Fabuleux, Musique, Mélodie, Émotion »
– Vous y comprenez quelque chose, Jean-Patrick ?
– À vrai dire non, j’y perds mon grec et mon latin… Attendez, au-dessus de chaque char, on dirait des photos qui se dessinent au laser.
– Mais ce sont les avatars des participants ! Je reconnais le renard de Kiel Kinimo et les mains dorées de ChrisH. Mais alors, les mots…
– Raoul-Gonzague, ce sont les mots préférés de chacun des auteurs ayant relevé au moins un défi ! À leur manière et avec leurs mots, ils ont réussi à remplir la page blanche et ces chars leur rendent hommage.
– Oh c’est beau, Jean-Patrick, y’a pas à dire. Et le public ne s’y trompe pas, car c’est un tonnerre d’applaudissements qui fait vibrer tout le stade devant ce défilé lexicographique, alors que les chars se sont arrêtés…
– La muse a disparu, le noir revient, crépitant seulement des flammes de mots. Raoul-Gonzague, je crois qu’un autre tableau se prépare.
– « O Fortuna », Carmina Burana de Carl Orff (https://www.youtube.com/watch?v=BNWpZ-Y_KvU)... Quelque chose de sombre se prépare, Jean-Patrick, j’en ai la chair de poule.
– Mon Dieu ! Qu’est-ce que c’est que ces formes noires qui volent au-dessus des avatars et de la page centrale ?
– On dirait… Une nuée de vampires… C’est effrayant.
– Non, Raoul-Gonzague, c’est une attaque de pensées démoniaques ! Voyez les expressions de doutes qu’elles arborent ? « C’est nul », « ça vaut rien », « c’est creux », « ça tient pas debout », « c’est plat », « personne ne lira jamais ça ! », « je ne suis pas fait pour ça »…
– Mais elles sont en train d’éteindre les flammes de l’inspiration ! Et voyez, la grande page se déchire, c’est horrible !
– Et pourtant, Raoul-Gonzague, écrire est parfois douloureux et les doutes sont nombreux, nos auteurs en savent quelque chose. Écoutez les paroles « ô fortune, comme la lune tu es variable, toujours croissante et décroissante. La vie détestable opprime d’abord et apaise ensuite… Vous tous pleurez avec moi ! »
– C’est dark quand même, n’en déplaise à Sangre13.
– Rassurez-vous, Raoul-Gonzague, je suis sûr qu’on ne va pas en rester là… Tenez, regardez, il se passe quelque chose…
– Il me semble que la page se transforme en… un ring… Et c’est la musique de Rocky qu’on entend (https://www.youtube.com/watch?v=DhlPAj38rHc) !
– Et regardez ces danseurs-écrivains qui investissent la piste, montés sur des échasses en stylos plume et prêts à en découdre avec leurs mauvaises pensées ! Armés de leur persévérance, ils font feu avec toute leur volonté. Ils encaissent, ils tombent, ils se relèvent, ils balancent des coups de stylos, l’encre gicle en salves noires, la chorégraphie est divine, mais le choc des mots est d’une violence inouïe, on a envie de les encourager !
– Allez, les auteurs ! Ne vous laissez pas faire ! Courage !
– C’est bouleversant : c’est tout le stade ParaOulipien qui vibre de cet espoir, c’est toute la communauté de Scribay qui se mobilise pour repousser ces attaques ! Entendez-les, ces ah Ah ah Ah ah Ah ah… On dirait qu’ils viennent d’être frappés par la foudre comme dirait AC/DC (https://youtu.be/v2AC41dglnM?t=21).
– Et ça marche, Jean-Patrick ! Les pensées démoniaques semblent perdre du terrain.
– Thunder !
– Je crois que j’ai compris, nous sommes tous acteurs de cette cérémonie ce soir : ce sont toutes nos voix, tous nos commentaires, toutes nos annotations, tous nos échanges qui nous font progresser et repoussent les doutes !
– Thunder !
– Quelle énergie ! On se sent invincible ! Comme si tous les espoirs étaient permis… Oh, un gigantesque livre vient de faire son apparition à l’autre bout du stade, comme invoqué par nos incantations, avec sa couverture en papier glacé à l’effigie des jeux ParaOulipiques.
– C’est qu’après avoir combattu leurs mauvaises pensées, les auteurs doivent se mettre à écrire pour raconter des histoires : regardez-les prendre fièrement place à bord de leur clavier futuriste, Raoul-Gonzague, tandis que la mélodie de l’orchestre nous rappelle ces sons d’un autre âge : https://youtu.be/wZCh4EY_kug?t=90 (the typewriter symphony orchestra).
– Et des histoires, il y en a eu, Jean-Patrick… Souvenez-vous, l’épreuve N°1, « ce fameux acronyme » : 24 définitions déjantées, 24 textes que nos danseurs-écrivains retracent pour nous en accéléré, tandis que des rubans de lettres et de mots jaillissent de sous leurs doigts, c’est vertigineux !
– Et puis ce fut l’épreuve rituelle du lipogramme pour le défi N°2 : admirez ces 29 histoires qui resurgissent devant nous, plus de 140 000 caractères sans un seul « A » !... Les images, les textes et les titres se succèdent de plus en plus vite.
– Il fut ensuite question de faire mourir un artiste Oulipien et d’en écrire la nécrologie hilarante dans le défi N°3, le tout en 666 caractères exactement, avec une référence à Pi totalement irrationnelle !
– Mais regardez, Raoul-Gonzague : à chaque évocation d’un défi, le Grand Livre des Jeux se rapproche de nos auteurs… Voici venu le tour des 22 recettes de cuisine poético-oulipiennes du défi N°4 aux saveurs d’un autre monde, à l’alchimie des sens inattendue...
– Et pour finir, Jean-Patrick, 22 labyrinthes qui bien faillirent avoir la peau de nos auteurs et de notre jury…
– Le livre s’est ouvert à présent et voyez comme les 105 039 mots de ces 115 textes dansent devant nous, en une farandole d’écriture extraordinaire ! Et les voilà qui s’engouffrent maintenant un à un pour tapisser les pages du Grand Livre qui en bruissent de plaisir !
– Mais oui, Jean-Patrick, elles s’agitent de plus en plus fort ces pages, tandis que les premières notes de l’hymne à la joie retentissent (https://www.youtube.com/watch?v=Jo_-KoBiBG0).
– Oh, Raoul-Gonzague, regardez ! Elles s’envolent ! Les pages du livre s’envolent ! Telles des colombes de lettres qui partent essaimer leurs mots dans l’éphémère de la mémoire universelle… Quelle image superbe ! Raoul-Gonzague, je... Excusez-moi, je suis ému.
– Oh mon cher Jean-Patrick, il ne faut pas pleurer enfin... Venez là. Voilà... Regardez cette belle arène des jeux et toute notre communauté ici réunie qui lève les yeux vers ces mots et ces pages : les auteurs, les membres du jury, les lecteurs et tous les membres de l’organisation.
– Mais justement, c’est tellement beau. Je ne sais pas si nous aurons l’occasion de revivre de telles émotions...
– Ne commencez pas, Jean-Patrick, sinon, je vais m’y mettre aussi. Allons... Contentons-nous de regarder ces lumières qui brillent, ces pixels qui s’impriment sur les écrans de nos scribolecteurs, ces sourires qui se dessinent sur les visages et savourons le plaisir d’avoir partagé ensemble de si bons moments, tandis que la dernière « colombe-page » s’envole dans les étoiles et souffle la flamme du Stylo ParaOulipique… Feux d’artifice ! Et que la fête commence sur le dance-floor du stade littéraire de Scribay… J’ai comme l’impression que cette soirée va être une bonne soirée ! (https://www.youtube.com/watch?v=iPbWk2AKOhg), n’est-ce pas Jean-Patrick ?
– …
– Mais qu’est-ce que vous faites, Jean-Patrick ? Et votre micro ? Pourquoi vous enlevez votre chemise ?
– …
– Et votre pantalon ? Mais où allez-vous comme ça ? Chers Oulipolecteurs, je dois vous dire que notre confrère Jean-Patrick vient de quitter notre loge et se dirige vers la piste de danse où se pressent déjà les scribayens au centre du stade… Et… Non, je ne rêve pas, il s’est mis tout nu à présent et semble chanter à tue-tête ! Jean-Patrick, Revenez ! Jean-Patrick !
– Libéréééééééééééé, délivrééééééééééééé !
https://www.scribay.com/communities/community/124/les-jeux-paraoulipiques-de-scribay/talk/7711/la-ceremonie-de-cloture-des-jeux-paraoulipiques--
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