Un signe
Depuis qu’elle avait l’âge de le faire, Amy n’avait jamais pris de décision par elle-même. Elle partait du principe que ce qui lui arrivait relevait d’une force supérieure qu’elle ne pourrait en rien contrer. Comme une automate, elle reproduisait les mêmes actions jour après jour du lever au coucher. Sa vie, rythmée par la monotonie, s’écoulait ainsi sans que jamais rien ne change. Après un réveil difficile, elle partait au collège écouter les mêmes moqueries contre elle, contre les autres aussi. Rien que les absurdités des gamins de treize ans qui s’inspirent de la société pour recréer, tel des artistes, notre monde impitoyable en miniature. Sa journée passée, elle rentrait chez elle, finissait quelques devoirs puis dînait avec son père et son frère devant un match de foot. Elle les voyait heureux, la nuit tombait, elle allait dormir. Seuls ses rêves lui laissaient un moment de répit. Elle imaginait alors son monde idéal. Un monde où elle pourrait être belle sans répondre à des critères, où elle pourrait exposer son avis sans qu’on l’ignore. Une vie dans laquelle elle pourrait vivre sa vie, tout simplement.
Une nuit, elle se réveilla trop tôt, le soleil lui-même n’était pas encore levé. Dans la rue, des hurlements, des rires et des bruits sourds se faisaient entendre. Elle alluma la lumière et regarda sa montre posée sur son bureau, elle indiquait quatre heure trente. À coté de celle-ci trainaient ses écouteurs, Amy les enfonça dans ses oreilles puis lança une chanson dont elle augmenta le son jusqu’à en faire crier ses tympans. Elle s’installa à sa fenêtre d’où elle regarda la rue qui bordait sa maison.
Sur le trottoir, un homme était recroquevillé, une couverture recouvrant la moitié de son corps. Une de ses main, posée sous sa tête, rendait son sommeil plus moelleux. L'autre restait fermement agrippée aux bretelles d'un sac de randonnée. Dans la rue d’en face devant la maison voisine, des jeunes étaient eux aussi dehors et vomissait bruyamment leur tripes sur la chaussée en s’esclaffant. Les lumières commençaient à s’allumer de part et d’autres. Des personnes sortaient de chez elles l’air menaçant, d’autres étaient à leur fenêtre, sans doute en train de joindre les autorités compétentes pour faire taire ce raffut tout en ne manquant rien cependant du carnage. Trois minutes plus tard, un camion de police arriva. Deux hommes costaud en sortirent mais plutôt que de se diriger vers les jeunes, ils se tournèrent vers l’homme qui peinait à garder le sommeil pour le réveiller définitivement. Rapidement, ils le firent s’assoir à l’intérieur de l’automobile, saluèrent les jeunes et les personnes qui les avait appelés puis repartirent à la recherche d’autres douces nuits à protéger. Aussitôt, une femme traversa la rue, venant inspecter les traces laissées par le pauvre homme. C’était comme si celui-ci n’avait jamais existé. En arrivant sur les lieux du crime, la femme se boucha le nez en grimaçant.
- On ne peut pas permettre ça dans notre quartier voyons ! Il y a un minimum de tenue à avoir, que diraiant nos amis ! Après c’est la porte ouverte à toutes les incivilités ! s'écria-t'-elle alors en se tournant vers les badauds qui observaient la scène.
De sa fenêtre entrouverte, Amy ne manqua rien de l'affligent spectacle. Elle entendit les mots prononcés, les regards peu avisés, elle en conclut qu’elle en avait assez vu de ce monde. Elle le connaissait dans ses travers, savait qu’il n’y aurait plus rien à en tirer et se disait qu’elle préférait cent fois se trouver morte plutôt que d’assister encore à de telles spectacles. Sans réfléchir, elle se rendit dans le débarras et en sortit une vieille corde qu’elle noua puis monta sur une chaise pour l’accrocher à un vieux portant de lustre toujours fixé au plafond. Elle passa alors sa tête dans la boucle ainsi formée et serra. Le son de la musique atteignait son maximum, son coeur vibrait à son rythme, son corps se balançait vers l’avant. Elle voulait mourir sur ce tempo, se laisser emporter par les percussions sans se soucier des répercussions qu’auraient son acte. Alors qu’elle était prête à sauter de sa chaise, une publicité interrompit son sordide désir. Elle se trouvait forcée de l’écouter attendant seulement sa chute pour pourvoir en finir. Dans le spot, la voix d’un homme s’exclamait : "Vous pensez avoir tout vécu ? Vous n’attendez plus rien du monde qui vous entoure ? Vous n’avez plus rien à perdre ? L’institut Germain, premier expert en science neurologique peut vous redonner goût à la vie. Si vous avez toujours rêvé de changer le monde, de créer un univers à votre image, de construire la société parfaite, cette expérience est faite pour vous ! Alors, peu importe votre âge, peu importe qui vous êtes, venez bâtir votre idéal avec l'Institut Germain. Faites les tests et soyez sélectionné pour participer à cette expérience hors du commun. Inscrivez vous à l’institut Germain. » Pour Amy, ce message fut son sauveur. Elle dénoua la corde autour de son cou, s’en éloigna, la décrocha, rangea son matériel mortuaire et alla se recoucher avec la hâte du lendemain car, pour la première fois, sa vie avait un sens.
Dans l’entrée, son père venait d'ouvrir la porte sur un jeune homme en costard noir. Tous trois montèrent dans une voiture blindée qui les attendait. La route fut longue, ils roulèrent un bon moment avant de s’arrêter devant un immense bâtiment. Dessus on pouvait lire, inscrit en lettre majuscule : « Institut Germain » .
Pour la première fois, Amy se sentit libre. En elle se développait un sentiment de paix, une émotion presque semblable à ce moment, où elle avait senti la corde se nouer autour de son cou.
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