Chapitre Unique

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Grand-Père aimait passer du temps dans son cabanon au fond du jardin. Bien souvent, j'y allais pour lui rendre visite même si Grand-Mère me disait souvent sur un ton qui se voulait impératif :

 "Papy, il n'aime pas être dérangé quand il est dans son atelier. Et puis, ce n'est pas un endroit pour un petit garçon de ton âge."

Bien sûr, je ne voulais pas désobéir à Mamie mais je n'aimais pas qu'elle m'interdise certaines choses en raison de mon âge. Et j'aimais y retrouver le vieil homme et je crois que lui aussi prenait plaisir à mes visites. A mon avis, la seule présence qui le dérangeait là-bas était celle de Grand-Mère.

Je comprenais avec mes yeux d'enfant de dix ans que c'était son refuge, son sanctuaire, comme moi j'avais une cabane dans les bois. Mais la sienne était infiniment plus chouette que la mienne, pleine de trésors. Un vieux chapeau, des magazines et des bandes dessinées gondolés d'humidité, son antique fauteuil en cuir tout déchiré dans lequel j'aimais m'enfoncer. "Le petit roi sur son trône" disait Papy, l'oeil plein de tendresse et de fierté. Mais ce qui m'y émerveillait le plus là-bas, dans ce repli de temps figé, c'était les plants d'orchidées qui poussaient sous la serre attenante. Des jaunes, des violettes, des roses.

Des années plus tard, alors que je m'apprêtais à traverser la moitité de la planète pour participer à une guerre dans un pays dont je n'avais jamais entendu parler avant mon appel sous les drapeaux, il m'avoua que c'était là qu'il était venu pour pleurer la mort de son fils aîné, mon oncle Michael, tué dans un autre conflit lointain. Puis il y était revenu une seconde fois des années plus tard quand le cancer avait emporté son second fils, mon père. Il me tint des paroles qui résonnent encore en moi, une main m'enserrant l'épaule avec une rage que je ne lui avais jamais vue :

 " Le monde est ce qu'il est. On n'aime pas trop les hommes qui montrent leurs émotions en public. Mais il est impossible de les contenir indéfiniment. Alors, fais comme moi, Richie, et trouve-toi un coin où tu pourras lâcher tout ce lest. Et, de grâce, ne va pas te faire tuer là-bas. Laisse ça à d'autres. Tu m'as bien compris ? "

Aujourd'hui, mon Grand-Père n'est plus mais j'aimerais lui dire :

 " Je l'ai trouvée, Papy. Ma cabane. Elle s'appelle écriture."

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