Le lycée.
«Messieurs, je vois que vous ne me prenez pas au sérieux, et ça vous amuse. Donc, je vous exclus deux jours du lycée. Je vais inscrire un mot sur votre carnet de correspondance, et je veux voir vos parents le plus tôt possible. Je me répète, mais il est inadmissible que l’on se batte pendant les cours. Quelle que soit la raison, et je ne veux pas savoir qui a commencé. C’est assez clair ? »
« Oui Monsieur . »
« Oui monsieur. »
« Bien, vous allez rester dans le bureau de la vie scolaire, vous révisez ce que vous voulez, ou ne faites rien jusqu’à ce soir. Je ne tiens pas à ce que vous perturbiez encore les cours de vos camarades. C’est toujours clair ? »
« Oui Monsieur. »
« Oui Monsieur. »
« J’avertis la secrétaire de vie scolaire, vous pouvez y aller. »
Je n’étais pas fier, je vais me faire engueuler ce soir par les parents, plus de jeu vidéo, ils vont me piquer la console çà c’est certain. On a commencé à sortir un classeur au hasard de nos sacs sur la table ronde du secrétariat. La secrétaire nous a demandé de nous installer là, de ne pas faire de bruits parce qu’elle avait du travail.
« Mais qu’est-ce qu’il vous a pris ? Mais regardez vous, un pantalon déchiré, et toi, tu as un bleu sur la joue. Je vous garde jusqu’à cinq heures, mais je ne veux pas vous entendre. »
Personne n’avait vraiment affaire à elle, je parle des élèves, ce n’était pas son boulot, elle ne devait sans doute gérer, que l’administratif et le personnel du lycée, on l’aperçoit quelques fois par la porte entrouverte dans la salle des professeurs, elle vient prendre un café le temps de discuter avec les enseignants et repart aussitôt occuper son bureau. On se regardait avec Alex légèrement amusés, la colère s’est éteinte, on allait être « le sujet de conversation » de la semaine il ne se passait pas vraiment grand-chose, alors deux élèves qui se battent en cours, soit on passe pour des rebelles, soit pour des idiots.
Doucement :
« Tu m’as fait mal, regarde ma joue, je me suis cogné sur le bureau. »
« T’as vu mon jean ? J’ai dû l’accrocher à la table. Ma mère venait de l’acheter. »
« Taisez-vous, je vous ai dit, sinon j’appelle le principal. »
Encore plus doucement :
« T’es con aussi. Pourquoi tu m’as envoyé ces mots. »
« C’était une blague, c’est Bastien qui m’a demandé de faire passer. »
« Quel abruti celui-là, il ne fait jamais rien tout seul. »
« Je crois qu’il veut sortir Marie-Cécile, mais comme tu parles toujours avec elle, il fait la gueule. »
« Il est vraiment con ce mec. Ma mère travaille avec son père, c’est pour ça qu’on se connaît. Il est déjà venu à la maison.
Mais quel con. Marie-Cécile ? J’en ai rien à foutre, je crois qu’elle le prend pour un nul, et en plus il est gros. »
« Je n’ai pas compris pourquoi tu m’as sauté dessus, t’es con toi aussi. Je ne savais pas que tu connaissais ses parents.»
« Je croyais que c’était toi qui écrivais. Je connais juste son père, c’est le patron de ma mère. Il vient chercher sa fille des fois.»
« Je faisais juste que passer. J’en ai lu un, ben dis donc, il a marqué qu’elle allume tout le monde. »
« Je connais son père, je te l’ai dit, mais ne raconte rien à personne. »
« Attention, je vous entends, il vous reste une heure. »
« Deux jours d’exclusion, je ne te raconte pas comment ça va se passer ce soir. Plus de sorties, plus de jeu au minimum, je vais me faire chier comme un rat mort. »
« Moi, mon père devait me filer un peu de fric pour mes sorties, je crois que c’est rappé. »
Elle me plaît bien Marie-Cécile, je ne vais pas lui raconter quand même. On a passé des tas d’après midi à jouer sur la console. C’est la première fois que je vois une fille aimer ça, on se marre bien. On a un peu bossé ensemble, elle est assez forte en français, moi, je suis nul en tout. J’ai aperçu un jour son soutien-gorge quand elle s’est penchée, elle est vraiment mignonne de partout. On est un peu potes, mais je ne sais pas si je pourrais l’embrasser un jour, ça devrait être chouette. Je sais que beaucoup de mecs lui tournent autour, mais à part ses copines, elle ne parle qu’avec moi parce qu’elle les trouve lourds avec leurs allusions. On se voit souvent avec ou sans nos parents, je ne peux pas laisser faire ça pour toutes ces raisons. Je l’appellerai ce soir, je vais lui raconter, je suis sûr qu’elle va comprendre pourquoi on a foutu le bordel avec Alex. Je raconterai à ma mère aussi, s’il faut elle va me dire que j’ai bien fait. Enfin, je l’espère.
La sonnerie de fin des cours vient de retentir. Malgré l’éloignement du bureau de la vie scolaire, dans une aile adjacente, on entend le martèlement des pas des élèves. Une marée qui sortait en courant et criant, pour prendre les meilleures places dans les bus ou rejoindre une voiture du parking adjacent. Je crois que nous n’étions pas loin du millier d’élèves, je ne me rend pas compte de ce que ça peut représenter, mais pour ne pas se perdre dans les attroupements, chacun avait un coin de cour pour pouvoir se trouver. Il fallait aussi éviter les grands des classes supérieures qui nous prenaient pour des gamins. Il paraît que certains obligeaient les plus jeunes à porter leurs affaires. On entendait parler d’histoires avec des filles, de produits interdits, de cigarettes dans les toilettes, mais je n’ai jamais rien vu, ni personne de mes camarades. Ce sont des choses qui circulaient. Tellement de choses se disaient sur les semi-adultes, mais personne ne savait réellement.
Le temps de ranger nos classeurs, nous allons nous mêler à la foule des libérés du système, tout au moins provisoirement. Je suis certains que dans le bus du retour, je vais avoir droit à mon petit moment de célébrité, l’histoire a dû faire le tour du lycée. Il n’y a jamais eu d’exclusion, je crois juste avoir entendu un première qui s’est fait surprendre à fumer dans la cour. Je ne vais pas trop savoir quoi dire, du moins, pas l’entière vérité. Que marie-Cécile sache que j’ai défendu son honneur, déjà le mot me fait rire ; la semaine dernière, on avait étudié un extrait Du Cid, j’avais encore le mot en mémoire. Je ne suis pas si mauvais en fin de compte, j’ai retenu.
Le plus dur, va être d’expliquer à ma mère. J’aperçois au loin mon bus, je suis en train de faire tourner des phrases pour l’entrée en matière. Quelque chose qui me présente en mec blasé, un habitué, le tout est de trouver le bon mot.
J’en étais à ces réflexions, j’entends le bruit d’un klaxon que je connais bien : ma mère est venue me chercher.
« J’attends. J’ai reçu un message du principal qui ne m’a rien expliqué. Tu es exclu pour deux jours pour le motif de désordre en cours. Il veut que je prenne rendez vous le plus tôt possible. Je t’écoute. »
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