« Bonjour Monsieur, comment allez vous ? »

Je commence juste à m’étirer, il y a quelqu’un dans la chambre et j’ai besoin de manger.

J’ouvre les yeux mais je sais déjà que l’infirmière tornade est revenue, je reconnais sa voix.

« Bonjour, j’ai bien dormi, mais il est quelle heure, parce que j’ai faim. »

« Pas loin de treize heures, on vous a gardé un plat au chaud, je vais le chercher. »

Je remet mes idées en place, en redressant mon lit, j’ai de nouveau la pince sur le doigt reliée à l’écran derrière moi, ça va encore me gêner dans les gestes. Je vois également qu’ils ont tirés les stores qui donnent sur le couloir, tout le monde peut me voir maintenant en passant. Il est vrai que c’est principalement le personnel médical à cet étage, mais quand même, je vais lui demander quand elle va revenir.

Le plateau à peine posé sur la desserte, je n’ai pas le temps de voir ce que je mange, il n’a pas fait le fier, j’entends mon estomac qui gargouille de plaisir, je regarde l’infirmière qui n’est toujours pas partie, elle attend les plats vides ou alors elle se planque dans la chambre, et regarde au dehors dans le parc qui entoure la clinique.

« Pourquoi on a ouvert le couloir, tous les gens qui passent vont me voir. »

« Vous nous avez fait peur ce matin, j’ai entendu parler d’anémie, vous étiez très fatigué, c’est simplement pour que l’on voit si vous allez bien, il n’y a que le personnel d’étage qui passe dans le couloir, ne vous inquiétez pas. Le Docteur Moreau doit venir tout à l’heure, je viens de l’avertir que vous êtes réveillé. Je reprends le plateau si vous avez fini, je reviens plus tard."

Comme à son habitude, ça a été rapide, le geste et la parole, elle n’est déjà plus là.

Je devrais écrire quelque chose sur mon ordinateur, mais pas vraiment envie, j’ai encore la voiture cassée en tête, j’ai senti avoir mal, le sentiment d’un vide, je ne comprends rien, sauf que j’ai tardé à revenir, j’ai créé ou rêvé trop de choses je sais pourquoi maintenant ça me met dans cet état, je vais attendre un peu avant de refaire.

Quelques coups à la porte, le Docteur est entré avec une infirmière, ça c'est du rapide, dans l'esprit de la clinique on dirait.

« Bonjour jeune homme, comment allons nous aujourd’hui ? »

« Bonjour Docteur, Je viens de finir de manger, ça va mieux. »

« Bien, bien, vous vous sentez fatigué, mal partout ou juste à un endroit, j’essaie de comprendre ce qui vous arrive. »

Il est en train de sortir un petit carnet, se met a griffonner quelques mots et me regarde de nouveau, attendant ma réponse.

Je fais au minimum, si je raconte tout on va m’ouvrir la tête j’ai vu ça dans des films, je reste dans le vague.

« Non, j’ai mal nulle part, je suis juste fatigué, je ne sais pas pourquoi, et quand je me lève, j’ai toujours faim. »

« Vous pourriez vous tourner s’il vous plaît, que je vous examine ? Soulevez votre pyjama je vous prie. »

Et tout en me palpant et en m’examinant, il continue ses questions.

« Bien, bien. Votre sommeil, vous dormez bien et d’une seule traite ou vous vous réveillez souvent ? »

« Je ne sais pas trop, je dors bien, mais je crois que je me réveille de temps en temps, surtout depuis que je suis ici . »

« Vous faites des rêves, des cauchemars qui vous empêchent de bien dormir, du bruit qui vous dérange ? Racontez moi. »

« Des cauchemars, c’est vrai, l’odeur de la clinique, mais pas de bruits, j’entends rien de spécial. »

« Bien, bien. »

Il m’énerve vraiment quand il sort son carnet, on dirait qu’il me note.

« Asseyez vous sur le bord du lit, je ne vais pas vous faire marcher, mais touchez vos pieds cinq ou six fois, ça suffira. »

Gymnastique maintenant, il m’aura tout fait, et ça ne l’empêche pas de parler et écrire.

« C’est quoi vos cauchemars ? Des monstres, des histoires que vous vivez, des gens que vous voyez, des choses qui vous font peur ? »

« Je ne sais pas trop, j’ai presque tout oublié après, mais je crois qu’il y a plein de grosses bêtes, ça me fait peur. »

« Bien, bien. Votre mère doit venir tout à l’heure, je lui dirais aussi. D’après les examens des prélèvements, vous semblez fortement anémié, vous manquez de globules rouges, nous ne savons pas pourquoi, tout est produit par votre moelle osseuse, et vous mangez normalement, donc vous devriez produire facilement les vitamines qui vous manquent. Je ne vais pas vous le cacher, suite à votre accident il n’y pas d’autres possibilités que le dysfonctionnement du foie ou de votre moelle épinière. D’autres possibilités, mais largement improbables, comme les sportifs de haut niveau qui consomment beaucoup pendant leurs performances, et vous avez subi quelques autres examens dès votre entrée, tout allait très bien, donc j’élimine. Une petite remarque qui me vient à l’esprit, mais plus du domaine des charlatans. Il paraît que certaines personnes vivent intensément les rêves qu’elles produisent, vous m’avez dit avoir peur de cauchemars, jusqu’à quel point en avez vous peur ? »

Je n’ai pas tout suivi, mais j’ai compris la fin, il est moins abruti que je le croyais, je n’ai jamais rien dit à personne, surtout pas à lui. Il est en train de me dévisager longuement, il ne faut pas que je tarde à lui répondre.

« Rien de spécial, ça fait peur c’est tout, et l’odeur d’ici me prend un peu la tête, je n’ai pas l’habitude. »

« Bien, bien. Je pense que nous allons planifier quelques examens supplémentaires avec l’accord de vos parents bien sur, mais on va trouver la petite chose qui vous embête. On va sûrement enlever votre pansement cette semaine votre chirurgien m’en a touché deux mots, vous serez plus confortable. Passez une bonne après- midi. »

Il s’est mis à écrire sur les feuilles au devant de mon lit, et sur son petit carnet, puis il sont parti. Je vais me méfier de lui, il ne sait strictement rien, mais il me fait une drôle d’impression, je n’aime pas son regard comme s’il savait quelque chose, il ne m’a pas demandé si j’avais tout compris, et j’ai lancé mon pote Google pour comprendre anémie, je n'ai pas aimé ce que j'ai trouvé, peu de choses correspondent.

Tant que j’ai l’ordinateur en main j’ai tapé le nom du Docteur, il me fait vraiment une drôle d’impression, et ça c’est affiché, interminable :

Professeur Moreau jean-Philippe ( plusieurs spécialités)

Neurologue, spécialiste du cerveau

Psychiatre, neurophysiologiste

Psychanalyste, spécialiste comportementaliste

Psychothérapeute du langage

Psychologue analytique

Auteurs de plusieurs ouvrages sur la mécanique Freudienne et Jungienne, un essai, La beauté de Psyché, ainsi que de plusieurs articles dans des revues scientifiques.

Il a aussi participé à la rédactions d’essais de science fiction que nous ne citerons pas tous, tant ses participations sont nombreuses, Le rêve est un état de droit, S’obliger à rêver, Le rêve est un pouvoir, Le hold-up du cerveau, etc …

il a vécu quelques années à Port au prince (Haïti) pour étudier certaines pratiques vaudou supposées.

Il a disparu des circuits universitaires, suite à la mort d’un patient en essai clinique sur la télépathie, pseudo-science non officielle à ce jour.