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Des songes sans importances, je sais que j’ai rodé encore un peu au retour, mais juste sur la surface, je n’ai fait que tenter de pouvoir m’orienter, chercher à me situer quand je suis en balade, c’est assez difficile quand il n’y a rien de visible, hormis les conscients et les inconscients et leurs cônes qu’ils représentent, j’ai du travail à faire si on peut dire ainsi, je vais perdre en partant le peu qui me situe au milieu des malades et du personnel, je n’ai aucune méthode pour savoir au aller, je m’appuie sur des gens, j’ai découvert les plantes, il n’y a pas d’autres moyens, mon corps en est le centre, c’est le seul que je vois et j’y suis attaché dans tous les sens du terme.
J’ai pris l’habitude de me réveiller tôt maintenant, le petit déjeuner est en cours, j’entends les roulettes du chariot, la vaisselle qui se choque, les portes que l’on ouvre en frappant, les paroles des personnes de service qui saluent et échangent rapidement quand elles posent les plateaux. On ne voit rien du dehors, mais une chose que j’ai remarquée depuis que je suis là, les sons sont importants, les gens et les visites aussi bien entendu, mais ce n’est pas le jour, ceux-là sont habituels comme le service des repas aux heures régulières, certains soins programmés qu’on a l’habitude d’entendre pour des chambres du couloir, les pas du personnel soignant quand c’est inhabituel en espérant que c’est pour soi, une petite variation dans une journée normale, une porte qui s’ouvre c’est un malade qui sort quand personne n’a frappé, quelques coups sur une porte en règle générale, c’est une visite surprise d’un proche ou d’un soignant, quelle drôle de sensation que de dresser l’oreille pour tenter de savoir qui vient voir à côté.
« Bonjour, vous avez bien dormi ? »
Elle pose mon repas, me regarde tout juste, elle referme la porte pour ouvrir la suivante. Rien ne va me manquer, surtout dans ce cas-là, mais j’ai appris des choses depuis que j’ai douze ans, je vais pouvoir rêver et guider dans les songes, ceux qui m’ont oubliés ou m'ont mis de côté, être dans la mémoire mais ne servir à rien, ne plus être visible ce n'est pas disparaitre, et pourtant ils l'ont fait.
J’ouvre l’ordinateur, plus pour pouvoir m’occuper, j’ai fini mon repas, pas de messages en attente, et je ne sais pas quoi faire, j’en ai marre de demander qu’on veuille bien me répondre, maman devrait être au bureau à cette heure, le message depuis hier toujours aucun retour, Fabienne devait se renseigner aussi, j’en ai marre qu’on m’oublie, je claque mon écran, je vais me promener, j’en ai plus rien à faire je vais bientôt partir.
Je vais tourner un peu ou aller voir le vieux, s’il n’est pas encore mort, c’est juste un peu plus loin que celui qui est devenu enfant, comme on est le matin il ne doit pas y avoir grand monde qui dort encore. Je passe pas loin du cône de l’ex accidenté, il dort comme un bébé, j’ai un léger sourire je suis content de moi j’ai sorti ma bêtise du matin, le vieux est souvent bleu, et c’est encore le cas, je me méfie un peu, il me semble qu’il sait que je suis là beaucoup plus facilement, je ne sais pas pourquoi, lui me fait un peu peur. J’entre tout doucement, il est toujours en cours d’une scène, les vieux ne vivent plus que dans les souvenirs, peut être qu’il va mourir, de toute façon tout fripé comme il est ça ne devrait pas tarder et c’est le seul que je visite, j’avais entendu dire qu’on revoyait sa vie au moment de la fin, ou alors je confonds, je dois faire attention.
Ils sont drôlement habillés, on dirait des soldats dans une cour, ils ont de longs fusils, j’ai l’impression qu’ils sont habillés avec un pantalon de golf comme la bande dessinée de Tintin, une sorte de bermuda, c’est vraiment ridicule, si c’est pour faire peur aux autres, c’est raté, ça doit bien les faire rire, comme moi en ce moment. Deux ou trois fois que je viens voir, il ne pense qu’à la guerre, j’ai déjà vu des films, mais c’est la première fois que je vois des soldats habillés ainsi, ça doit être très vieux ou dans un autre pays, il ne doit pas être d’ici, de toute façon je m'en fous.
Je vais aller voir ailleurs si ça ne bouge pas, ah si ça se dilue, les voilà dans la boue, on dirait des prisonniers en colonne maintenant, je reconnais les ennemis parce que j’ai vu des films, ils sont mieux habillés, bon je crois que je m’emmerde, je vais voir le voisin bébé et je rentre.
Son cône alterne en deux couleurs, comme la dernière fois, pas grand-chose de mieux, je regarde vite fait et je rentre.
L’intérieur est pareil, mais là d’un coup, l’étincelle apparaît, ça a été rapide, je regarde intrigué, il m’a senti entrer on dirait, il n'a que ça à faire. Des Légos se reforment, je crois que je me suis trompé, mais quelque chose en plus à la base d’une construction qui se monte, je m’approche plus près, on dirait une cervelle, c’est vraiment dégueulasse si c’est ce qu’il a mangé je ne vais pas rester, mais quelque chose se passe, la cervelle grossit tout doucement au début, et puis à toute vitesse englobant les cubes qui continuent à s’empiler, je me recule je ne veux pas toucher, je le vois bien par transparence, ça continue à s’empiler dedans, je crois que je viens de comprendre, il est en train de construire, plutôt de se reconstruire, je viens juste de comprendre. Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas répondre, je préfère m’en aller, j’ai peur de faire une gaffe, je retourne chez moi, c’est déjà suffisant, qu'ils se démerdent entre eux avec le professeur.
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