25 décembre [BONUS]
« Il reste tant de choses à faire ». C’est comme ça que se termine l’un des livres de Pépé, alors que son personnage quitte son village pour de nouveaux horizons. Alors que je décore le sapin de Noël, je n’arrête pas d’y penser.
Combien de monde est-ce que je pourrais toucher ? Combien de cœurs est-ce que j’aiderais à se relever ? C’est mon but, maintenant. De m’élancer vers moi-même et vers ce qui m’attends derrière cet horizon glacé.
J’espère que ça va te plaire, Annie, parce que je te garderais près de mon cœur jusqu’au bout du parcours. Toi aussi, Pépé. Et toi aussi, Papa. Moi, Noa, prince des forêts, j’en fais le serment.
Voilà ce qu’il s’est passé, il y a trois ans, alors que j’ai suivi le renard jusque dans son antre. J’ai avancé dans la neige pour le trouver, j’ai cassé les branches qui me barraient la route. J’ai été vif et efficace. Et puis, la neige est tombée et la tempête s’est abattue sur moi. Je ne suis pas rentré, j’ai continué. J’ai combattu le froid et j’ai donné toutes mes forces pour retrouver l’animal. J’ai longé le pré de derrière chez mon grand-père, j’ai traversé la forêt, j’ai dépassé la maison des parents d’Allan et, après bien des détours, je suis entré dans le terrier du Renard.
C’est là que je me suis souvenu de ce qu’il s’était passé, la première fois. Cette nuit où je suis sorti tout seul dans la neige pour rejoindre mon ami.
S’il était au milieu du pré, c’est parce qu’il avait la patte prise au piège, visiblement depuis longtemps. Il avait vraiment froid. Après l’avoir libéré, je m’étais couché près de lui jusqu’à ce qu’il ait assez chaud pour repartir.
Je n’ai pas été paralysé par la peur. Je n’ai pas abandonné non-plus. J’ai été le garçon qui reste jusqu’au bout de la nuit. Et là, au fin fond de la forêt, dans une petite cavité souterraine, je m’en suis enfin souvenu.
- Tu n’es pas un lâche, Sam, m’a dit mon ami renard. Souviens-toi. Tu aimes et tu viens en aide aux autres. C’est ça, ton but. Ça l’a toujours été.
- Alors, voilà ce que j’ai perdu ?
- Non, tu te trompes. Ce que tu as oublié, c’est que se faire mal pour y parvenir faisait partie du jeu.
- Alors qu’est-ce que je dois faire, maintenant ?
- Je pense que tu le sais.
Et me voilà, aujourd’hui, à préparer le repas de Noël pour que ma famille se retrouve au grand complet. Chacha vient avec Allan et les petites. J’espère qu’ils passeront un bon moment.
Maman est la première arrivée avec monsieur Ténor et sa fille.
Bien sûr, elle ne peut pas s’empêcher de déplacer les décorations pour les replacer à sa guise. Papa nous rejoint, portant avec lui deux sacs remplis de cadeaux qu’il décharge directement sous le sapin.
- Alors, grand ? Ça va ?
- Ouais, m’sieur.
- C’est super, chez toi.
- Merci, Papa.
On sonne encore. Décidément, tout le monde a voulu arriver à la même heure. Ce sont Armand, Gazoil et Armin qui ont apporté toutes sortes de choses à manger devant Cendrillon ou la Reine des Neiges, selon ce que mes nièces préféreront regarder.
Oscar arrive quelques minutes plus tard. Avec les cadeaux, il a apporté le premier exemplaire imprimé de mon troisième volume : « Le Combat ». Je l’installe avec les deux autres dans mon étagère et l’embrasse. Je suis heureux qu’il soit là ce soir, aux côtés de Papa, d’Allan et d’Armand.
- Alors, on mange ? me lance Gazoil.
- Non, on attend encore une personne.
- Ah oui ?
On sonne une dernière fois à la porte. Un vieil homme se présente humblement devant moi en retirant son chapeau. C’est le frère de mon grand-père.
- Je suis très content que vous soyez venu.
- Merci à toi, Samuel. Merci pour ton invitation.
Je lui donne son cadeau de Noël. C’est la lettre que lui avait adressé mon grand-père avant de mourir. Il enfile ses lunettes et la lit. Les larmes lui montent au yeux et il me prend dans ses bras comme si j’étais son petit-fils.
- Joyeux Noël, Antoine, lui dis-je.
Quelqu’un descend des escaliers.
- Ah, voilà la reine de la soirée ! dit ma mère.
- Ne dites pas ça, Céline, c’est trop gentil, vraiment… répond Annie.
Ma femme est vraiment magnifique. Elle a mis une très jolie robe alors que d’habitude, ce n’est pas vraiment son truc. Alors que je la regarde descendre pour nous rejoindre, je me rappelle que…
Je crois plutôt que c’est mon mari, le plus beau de la soirée, là !
Eh, arrête ! Tu vois pas que je suis en train d’écrire un truc sérieux ?!
Et alors ? J’annote toujours tes écrits, même les plus sérieux.
Mais là, c’est un cadeau, on n’annote pas un cadeau !
Oups, pardon !
Je reprends. Ma femme est magnifique, et j’ai bien fait d’écouter la Baleine à Bosse.
J’ai bien fait de croire aux miracles.
Nous mangeons tous ensemble. Les anciens et les plus jeunes. Tout ceux qui ont fait de moi l’homme que je suis. Et puis, Armand et Gazoil quittent la table pour regarder La Belle aux Bois Dormants avec mes nièces.
Il est l’heure de se donner les cadeaux. Papa et Maman m’offrent une superbe plume. Je n’ose pas leur dire qu’aujourd’hui, je fais tout à l’ordinateur… Tant pis, elle sera encadrée juste au-dessus de mon bureau, en souvenir de ce jour.
Gazoil nous a offert des places pour WrestleMania, tout en nous faisant promettre de ne pas lui demander comment il les avait obtenus. Quand on voit le prix des tickets, on comprend pourquoi.
Et puis, viens le moment où j’offre son cadeau à Charlotte.
- « La Véritable Histoire de Sam et Chacha » ? C’est un nouveau livre ?
- En quelque sorte, oui.
- Cent-vingt pages ? ça a dû te prendre longtemps !
- Plutôt. Je le prépare depuis vingt-quatre ans, en fait.
Elle écarquille les yeux.
- Attends, quoi ?
- Cinq pages par an, tous les ans, depuis que j’ai dix ans. Fais le calcul.
- Te fiches pas de moi !
Elle ouvre brièvement le carnet et le referme aussitôt.
- C’est vrai ? Tu l’as continué pendant tout ce temps ?
- Je l’ai commencé quand, il y a longtemps, tu m’as dit que 34 était ton chiffre préféré. Je me suis dit que si je le commençais à dix ans, il serait prêt pour quand moi, j’en aurais trente-quatre. Alors, cinq pages, c’est un à-peu-près… Et il manque le douze décembre. Mais à part ça, oui, je tiens ce carnet depuis tout ce temps.
Elle se met à sangloter un moment et finit par se reprendre.
- Je… pff… Je… et moi j’t’ai offert un Rubik’s Cube.
Nous éclatons de rire.
- Alors, ça te plaît ?
- Ouais, mais j’aurais changé un détail, rit-elle. J’aurais mis « La Véritable Histoire de Noa et Emmi ».
- Non, eux, ils ont déjà leur livre, tu sais. Celui-ci, c’est le nôtre.
- Je t’aime, frangin.
- Moi aussi, sœurette.
FIN
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