56. Le Tiramisu était sûrement bon

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Alken

Ce weekend, c’est relâche. Je n’ai aucune représentation, pas de cours, pas de répétition. Et en plus, Kenzo est parti chez sa mère. Ce qui fait que nous avons l’appartement pour nous tout seuls. Et depuis ce matin, nous en avons déjà profité. Je ne compte plus le nombre de fois et le nombre d’endroits où nous avons joui, où nous nous sommes fait plaisir, où nous avons échangé des rires, des caresses. C’est fou ce que ça fait du bien de se retrouver ainsi et de pouvoir vivre en couple, tout simplement.

En fin d’après-midi, alors que nous sortons de la douche, j’enveloppe Joy dans sa serviette et la serre dans mes bras.

— Ma Chérie, j’ai une surprise pour toi. Mais pour ça, il va falloir que tu t’habilles. Tu penses que tu peux faire ça ? souris-je en déposant mes lèvres dans son cou.

— Toi, tu veux me voir habillée ? Sérieusement ? Tu es malade ? Qu’est-ce qui t’arrive ?

— Oui, pour sortir, c’est mieux. Je ne veux pas partager cette vision idyllique avec n’importe qui. Alors, on ne traîne pas et on s’habille classe. D’accord ?

Je lui mets une petite tape sur ses fesses après l’avoir observée faire tomber sa serviette. Elle court jusqu’à notre chambre où je la suis en riant.

— Classe coincée ou classe sexy, Monsieur le prof ?

— Classe sexy, bien sûr ! Tu me vois sortir avec une fille coincée ?

— Dois-je te rappeler qui est ton ex-femme ? se moque-t-elle en ouvrant son armoire.

— Erreur de jeunesse. Et avant d’être coincés, on a fait plein de folies, tu sais ? Genre, on se couchait des fois après vingt-deux heures, indiqué-je en sortant une chemise bleu marine bien ceintrée.

— Wow, vous étiez des fous, tous les deux ! Vingt-deux heures, rien que ça ? Et ne parle pas d’erreur de jeunesse, t’as quand même eu un beau morveux avec elle, je te rappelle. Enquiquinant, mais… Attachant, le fils O’Brien. Robe noire, ça te va ?

— Oui, magnifique ! J’adore la petite robe noire sexy qui te fait un beau décolleté ! Mais ne m’en veux pas si j’ai du mal à te regarder dans les yeux…

— J’ai pris l’habitude que tu regardes mes seins quand tu me parles. C’est dommage, il paraît que j’ai de beaux yeux quand même. Quand tu dis classe sexy, c’est classe collants ou classe bas ?

Je la regarde enfiler sa robe et admire la grâce dont elle fait preuve dans ce simple geste. Elle est féline dans tous ses mouvements et j’ai juste envie de me lover contre elle et de ronronner dans ses bras.

— Tu fais comme tu veux pour les collants ou les bas, de toute façon, dès qu’on rentre, je t’enlève tout.

— T’es sûr que tu veux sortir ? Parce qu’au pire on se déshabille maintenant et je n’ai pas à m’enquiquiner avec des collants ou des bas. Ou même une petite culotte. Tu vois ? minaude-t-elle en jouant avec les boutons de ma chemise.

— Oui, je suis sûr, j’ai réservé une table dans un petit restaurant italien dans le vieux Lille. Et vu l’affluence qui est prévue, il ne faut pas qu’on soit en retard. Et, comme il fait beau, promenade en ville après coup. Tu vois, j’ai tout prévu !

— C’est pour quelle occasion ? On fête quoi, au juste ? dit-elle en posant son pied sur le rebord du lit pour enfiler son bas avec sensualité.

— Il te faut une occasion pour célébrer notre amour, ma Chérie ? lui demandé-je en lui adressant le sourire le plus charmeur possible.

— Quel beau-parleur ! Tu sais que tu n’as plus besoin de m’emmener au restau pour coucher avec moi quand même ?

— Non, mais le spectacle en vaut la peine. Tu sais que tu es superbe ? Il va peut-être falloir que je mette une cravate pour être à la hauteur, non ? rigolé-je en l’admirant des pieds à la tête, sans oublier de poser mon regard un instant sur sa magnifique poitrine.

— Mes yeux sont là, O’Brien, marmonne Joy en relevant mon menton. Et mets une cravate, comme ça je pourrai m’en servir une fois que nous serons rentrés.

— Vivement qu’on rentre alors, j’ai hâte que tu me montres ce que tu vas en faire, petite coquine. Allez, viens, je t’emmène, chantonné-je en l’attrapant par les hanches pour l’attirer vers la porte. N’oublie pas tes chaussures, Cendrillon !

Elle me sourit, dépose un petit baiser sur ma joue avant de s’enfermer dans la salle de bain d’où elle ressort dix minutes après, coiffée et encore plus resplendissante. Elle sourit quand elle voit mon regard appréciateur et me tire par la cravate pour me faire sortir de l’appartement.

— Allez, viens, mon Chou, on va être en retard ! Tu traines !

Je lève les yeux au ciel et lui réponds par un baiser. Les routes sont dégagées et nous parvenons rapidement sur la Grand Place où je me gare dans le parking souterrain. Nous sortons et même s’il fait un peu frais, la température reste agréable pour ce début du mois de novembre. Joy me tient le bras et je suis tout fier de marcher à ses côtés sur les pavés lillois. Nous tournons dans une petite rue et je précède ma compagne pour pénétrer dans ce restaurant que j’aime tant. Le patron, Guiseppe, me reconnaît et m’invite à m’asseoir à une petite table au fond de la pièce. Bien entendu, il y a des bougies allumées au centre et des roses rouges dans un petit vase. Tout est fait pour que la soirée soit la plus romantique possible.

Je tire la chaise de Joy pour qu’elle puisse s’y installer, faisant preuve de galanterie telle qu’on la montre dans les films, puis m’assois en face d’elle en souriant.

— C’est… Très joli ici, et très romantique. Tu es sûr qu’il n’y a pas d’occasion particulière ? J’ai… Oublié une date ? me demande-t-elle, les sourcils froncés.

— Ah oui, tu as oublié une date, je confirme, souris-je. Aujourd’hui est un jour très spécial pour nous deux. Comment pourrait-il en être autrement ?

— Ah bon ? Attends, heu, Alken, tu me fais quoi, là ? C’est… Enfin, j’ai pas souvenir qu’il y ait quelque chose de particulier, aujourd’hui, j’ai raté quoi ?

— Je ne te fais rien, voyons ! Il n’y a pas vraiment d’occasion, je t’ai dit. C’est juste la Saint-Hubert peut-être, la fête des chasseurs ! Et moi, je suis en chasse du bonheur avec toi, voilà ! Tu t’imaginais quoi ? demandé-je, curieux.

— Des fois, je me demande si tu as la lumière à tous les étages, Alken, rit-elle. La fête des chasseurs, non mais, tu m’as foutu la trouille, j’ai cru que… Enfin, mince, j’ai eu peur que tu veuilles me passer la corde au cou, là !

— Ce n’est pas prévu pour ce soir, ma Chérie. Désolé de te décevoir, mais je te rappelle que ce soir, c’est toi qui m’as passé la cravate au cou, pas l’inverse. En tous cas, j’espère que ça te plaît. Je te conseille la salade piémontaise, un vrai délice.

— Bien sûr que ça me plaît. Quant à cette cravate, sourit-elle en se penchant sur la table pour en attraper le bout et tirer légèrement dessus, je l’aime beaucoup. Tu es très élégant, mon Chéri.

— J’essaie juste de mériter passer cette jolie soirée avec toi, mon Amour.

Elle se penche vers moi et nous nous embrassons alors que le serveur arrive et prend nos commandes. Le repas se passe dans une ambiance calme et détendue. Un petit groupe joue à l’autre bout du restaurant, et je regarde souvent vers le chanteur qui nous fait tout le répertoire qu’il connaît. Nous entamons à peine nos tiramisus qui sont succulents quand mes yeux se posent sur une femme qui entre dans le restaurant. Mon rythme cardiaque s’accélère immédiatement et je me penche vers ma jolie brune qui est en train de lécher sensuellement sa cuillère.

— Joy ! Vite, il faut que l’on se cache ! C’est Lizi qui vient d’entrer dans le restaurant ! Dépêchons-nous !

Joy met quelques secondes à réaliser ce que je suis en train de dire avant de se tourner brusquement vers la porte et de jurer.

— Non, Alken, reste, il ne faut pas qu’on soit vus ensemble, surtout. Tu me rejoins juste après, je vais sortir par derrière.

Elle se lève sans me donner le temps de répondre, embarque sa veste et s’enfonce dans le couloir du restaurant, me laissant seul, en tête à tête avec nos tiramisus.

— Alken ! Quelle surprise ! Toi aussi, tu aimes revenir dans ce restaurant ? On y mange bien, c’est vrai. Et c’est si romantique.

Je lève les yeux vers mon ex-épouse qui s’avance aux bras d’Enrico et qui s’approche de moi. Son regard se pose immédiatement sur les deux tiramisus et sur le sac à main que Joy a oublié à sa place.

— Eh bien, tu es en charmante compagnie ? Où est donc la dame qui t’accompagne ?

J’essaie de ne pas rougir et de cacher ma gêne alors qu’elle détaille mon apparence et plisse les yeux en notant ma cravate. Je pense que dans toutes les années où nous avons été mariés, elle ne m’a vu avec une cravate que le jour de notre mariage.

— La dame ? Quelle dame ?

J’essaie de gagner du temps alors que mon cerveau se met en branle. Comment je vais faire pour expliquer ma situation ?

— Eh bien, celle à qui appartient le sac, non ? Je doute que ce soit le tien, ou celui de Kenzo.

— Ah, la dame du sac… Il va falloir que je lui rende… Disons que j’espérais conclure ce soir, mais j’ai dû faire preuve de mon habituel manque de tact. Elle s’est barrée, m’abandonnant à mon triste sort, en plein milieu des tiramisus. Ce doit être le destin, tu sais. Une femme qui ne finit pas son tiramisu ne mérite pas que je m’imagine un futur avec elle, n’est-ce pas ?

— Je crois que tu devrais revoir tes critères de sélection des femmes, elle doit être bien mal élevée pour t’abandonner comme ça avant la fin du repas.

— Oui, que veux-tu, soupiré-je. Bon, je te laisse aller manger avec Enrico. Je vais finir mon tiramisu et aller ramener le sac à cette inculte du dessert, exprimé-je théâtralement. Franchement, dans quel monde on vit ?

Je porte ma cuillère ostensiblement à ma bouche et détourne mon attention d’Elizabeth qui finit par s’éloigner de moi. J’enfourne le tiramisu et, à ma façon, manque autant de respect pour mon dessert que Joy, puis me dépêche de payer avant de sortir du restaurant. Je cherche où Joy a pu aller et ne la découvre qu’après quelques minutes, au bout de la rue.

— C’était moins une, ma Chérie. Je suis désolé que tu aies dû partir comme ça…

— Pas ta faute, c’est ça de se taper un prof, marmonne-t-elle en grelottant. On y va ? J’ai froid et j’aimerais bien ne pas tomber sur quelqu’un d’autre…

L’ambiance est tout de suite elle aussi plus froide. Finis les câlins, terminés les échanges tactiles, elle n’a plus qu’une envie, rentrer à la maison et oublier cette soirée qui avait pourtant si bien commencé. Je m’en veux d’avoir emmené Joy dans ce restaurant où j’avais mes habitudes avec mon ex-épouse. C’est vrai qu’on y mange bien et que le tiramisu est délicieux, mais vu le peu qu’on en a mangé, est-ce que ça valait vraiment le coup ?

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