Chapitre 15 - Cicatrice
La fête du Souvenir battait son plein, et la nuit tombait enfin lorsque le bal commença. La salle des fêtes était remplie de monde, et chacun voulait voir de plus près les héros qui avaient sauvé la cité quelques mois plus tôt.
Lorsque Freyki parût, Jaelith à ses côtés, un grand silence se fit. Si la tenue du balafré était des plus simples (il ne portait qu’une tunique noire brodée de fils d’or), celle de sa compagne l’était encore plus. Elle ne portait, en effet, qu’une robe de lin blanche qui retombait jusqu’en bas de ses jambes. Les seuls bijoux qu’elle s’était permise étaient le pendentif de Fereyan qui pendait à son cou, ainsi que les anneaux d’argent qu’elle avait mis à ses oreilles. Ses longs cheveux dorés étaient attachés par un ruban en argent.
Freyki la dévorait du regard, et il ne put s’empêcher de lui murmurer, une fois de plus, qu’elle était magnifique. Son bras entoura la taille de sa compagne qu’il serra contre lui alors qu’ils se dirigeaient vers la foule. Son regard noir se posa sur les personnes présentes, et le message qu’il fit passer à l’assemblée était clair. Nul n’approcherait la jeune femme sans subir sa colère. D’une certaine manière, il annonçait à tous que la jeune femme était sa fiancée, même si ce n’était pas officiellement le cas. Jaelith lui lança un regard triste. Le souverain s’en aperçut, et tandis que le brouhaha des conversations avait repris de plus belle, il s’adressa à elle en souriant.
— Je rêve de pouvoir annoncer notre mariage ce soir…
— Freyki…
Elle secoua doucement la tête en murmurant son prénom. Le balafré prit ses mains dans les siennes.
— C’est difficile d’attendre. Pour moi, tu es la seule qui mérite la place de reine à mes côtés.
La jeune femme ne lui répondit pas, se contentant de lui faire un léger sourire. Bon nombre de femmes tournaient à présent autour du souverain, le suppliant presque :
— Danserez-vous avec moi, majesté ?
— Voulez-vous m’accorder cette danse ?
— S’il vous plait, majesté !
La question était posée de tous les côtés. Perdu, Freyki cherchait du regard la silhouette de Jaelith et ne put la trouver. Cette dernière s'était retranchée dans un peu plus loin dans la grande salle de réception. Elle avait vu les jeunes femmes se jeter sur Freyki et s'était mise en colère. Oui, elle était jalouse.
— Ca n'a pas l'air d'aller.
C'était la voix d'Elrynd. Ce dernier se contentait d'observer la salle, un verre de vin à la main. Il était habillé simplement, d'une large tunique verte. Une épée courte pendait à sa ceinture. Jaelith hocha la tête.
— Tout va bien.
— C'est un mensonge.
Un léger sourire était apparu sur le visage du jeune homme. Il but une gorgée de vin, puis continua :
— Tu es jalouse.
— Je le sais très bien. C'est idiot n'est-ce pas ?
— Non, c'est une réaction normale.
Ce n'est pas ce qu’elle pensait. Elle savait pertinemment que Freyki n'irait pas s'isoler avec la première venue. Il tenait à elle. Elle le savait. Le général tenta de détendre l'atmosphère.
— Moi aussi je suis jaloux tu sais.
— Je suis désolée.
Jaelith détourna son regard de celui de son interlocuteur. Elle se rappelait de cette soirée où le paladin lui avait déclaré sa flamme et qu'elle l'avait repoussé. Elle aimait Elrynd, mais à la manière d'un frère. Et ce n'était pas ce qu'il désirait.
— Je n'arrive pas à me faire à l'idée que tu sois tombée amoureuse de cet homme... Le roi loup est quelqu'un que je respecte et dont j'apprécie la compagnie, mais il m'arrive souvent de le détester parce qu'il t'a volé ton cœur.
La voix d'Elrynd tremblait. Inquiète, la jeune femme lui demanda si tout allait bien. Le regard perdu dans son verre de vin, un léger sourire sur le visage, il répondit :
— Ca va, j'ai dû boire un peu trop. C'est tout.
Il s'éloigna d'elle et disparut dans la foule. Jaelith s'en voulait d'avoir mis son ami dans cet état. Elle connaissait pourtant les sentiments qu'il avait pour elle. La jeune femme se rendit sur le balcon et leva la tête vers le ciel remplit d'étoiles.
— Jaelith ? Est-ce que ça va ?
C'était la voix de Freyki. Il avait enfin réussi à esquiver toutes les dindes qui lui tournaient autour en prétextant la fatigue.
— Je suis juste un peu fatiguée de cette journée.
— Tu veux que nous allions ailleurs ?
— Mais... Ta présence n'est pas...
Le souverain lui coupa la parole.
— Ils se passeront de ma présence. Allez viens !
Il l'attrapa par la main et tous deux sortirent discrètement de la grande salle de réception. Il la serra contre lui au moment où il s'insinua en elle. Jaelith prit quelques minutes pour se détendre, et plongea son regard dans celui de l'homme à la cicatrice. Le silence de la nuit les entourait tous les deux dans la grande chambre. Freyki retenait son souffle, puis commença lentement à bouger, arrachant quelques gémissements à sa compagne. Il plongea son regard dans les yeux bleus de la jeune femme, et murmura son nom :
— Jaelith…
Il ne voulait plus attendre pour l’avoir pour lui seul. A cet instant, il se traita d’égoïste. Mais il savait que c’était ce qu’il voulait. La danse nocturne continua un long moment. La jeune femme haletante s’était finalement laissa aller entre les bras de son amant. Il voulait lui faire un enfant, et plus encore ces derniers temps. C’était peut-être la seule solution pour qu’elle accepte de rester auprès de lui. Il se libéra alors dans un râle, avec cette impression qu’il allait mourir de plaisir. Ils restèrent dans cette position pendant quelques minutes sans rien dire. Le souverain se retira et roula sur le côté.
Jaelith se releva et chercha ses affaires qui étaient éparpillées dans la chambre. Lorsque la jeune femme se rhabilla, Freyki put observer pendant quelques instants l'immense cicatrice qui lui barrait le dos. Il n'avait jamais vraiment osé lui demander ce qui s'était passé ce jour-là, car il savait que ce serait pénible pour elle. Le roi loup ne voulait pas lui faire revivre les derniers moments de son père. Il était perdu dans ses pensées quand Jaelith tourna sa tête vers lui.
— Dis-moi Freyki… Tu… Tu ne m’as jamais parlé de ta femme.
La phrase avait fait l'effet d'une douche froide à Freyki. Ce dernier s'était assis et détourna la tête.
— Qu'est-ce que tu voudrais savoir ?
Une fois sa robe à nouveau refermée, la jeune femme s'était assise à ses côtés. De sa voix douce, elle lui répondit :
— Eh bien, comment était-elle ? Qu'est-ce qu'elle aimait faire ? Comment toi... Tu l'aimais ?
Freyki s'était raclé la gorge avant de répondre.
— Pour te dire la vérité, je ne l'ai pas aimé de la même façon que je t'aime toi.
— C'est à dire ?
Il croisa les bras sur sa poitrine.
— Je n'ai jamais été capable de lui faire un enfant. La prendre dans mes bras, l'embrasser... Ça allait. Mais dès qu'il fallait passer à l'acte, j'en étais incapable. Ce n'était pas elle que je voulais...
Il plongea son regard dans celui de sa compagne.
— C'était toi.
Le souverain passa sa main sur la cicatrice qui ornait son visage et se rappela de cette horrible journée.
— Alors, Tu penses à elle à chaque fois que tu me prends dans les bras ?
Il ne pouvait pas lui mentir. C'était une chose qu'il faisait très mal de toute manière. Alors en toute honnêteté, il lui avait répondu :
— Oui...
— Jamais tu ne pourras l'oublier, c'est cela ?
Il acquiesça. Amaria trembla légèrement de rage, mais tentait de se contenir. Elle respira profondément.
— Et si tu la retrouve, tu m’abandonneras ?
Freyki se releva et détourna la tête vers la fenêtre de la chambre sans lui répondre. La jeune femme hurla presque :
— Réponds-moi !
Le souverain soupira longuement et tourna la tête vers sa femme. Si il avait su, à cet instant, il lui aurait mentit.
— Je pense que oui.
Des larmes coulaient le long des joues de la souveraine. Des larmes de rage et de tristesse. Elle jalousait une personne qui avait disparu. Son imbécile de mari n'arrivait pas à comprendre qu'il courait après un simple souvenir.
— Cette fille est sûrement morte !
C'était un cri de désespoir qui était sorti de la bouche d'Amaria. Par ses paroles, elle espérait que le roi loup retrouve sa raison. Mais il n'en était rien. Freyki secoua la tête.
— Elle est vivante... Quelque part...
— Elle n'est plus ici.
— Elle a promis qu'elle reviendrait.
— Elle ne reviendra pas !
La reine criait et sa voix résonnait dans la chambre. Elle continuait de hurler sa rage et sa jalousie :
— Elle ne reviendra jamais ! De toute manière, elle doit avoir quinze ans de plus que toi ! Et si elle est encore vivante, alors elle n’a qu’à mourir !
La main de Freyki était retombée sur la joue de sa femme, laissant une grosse marque rouge. Amaria eut un sanglot tendit qu'elle touchait sa joue brûlante. Freyki la regardait avec colère. D'une voix froide, il lui avait dit :
— Je t'interdis de dire ça.
Il avait osé lever la main sur elle. La reine recula vers le bureau où se trouvait le couteau qu'utilisait son mari pour ouvrir les missives qu'il recevait.
Freyki détourna son visage de la jeune femme pour se replonger dans le ciel bleu. Amaria poussa un cri et se jeta sur son mari.
— Je te déteste !
Le roi loup sentit une terrible douleur lui dévorer le visage. Quelque chose coulait. Il passa sa main dessus et vit que c'était du sang. Face à lui, la reine était en larmes, le couteau sanglant à la main. Cette dernière le relâcha et il tomba en faisant un bruit métallique. Elle se laissa tomber à genoux.
— Ne me laisse pas...
Amaria pleurait tout en le suppliant. La blessure de Freyki lui brûlait le visage. Il n'avait qu'une seule envie et c’était de lui hurler dessus. Mais le roi garda son sang-froid, et sans se retourner, il sortit de la chambre, la laissant seule. Lorsqu'il referma la porte derrière lui, il put l'entendre pleurer.
— Je n'ai pas très envie d'en parler plus que ça...
Freyki s'enroula dans la couverture. Il avait envie de dormir et de tout oublier.
Annotations