Elisabeth me surprend

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Le soir venu, je suis devant la maison à l’heure dite. Pierre et sa cliente ne sont pas encore arrivés. Comme il fait un peu frais, j’ai mis ma veste dont j’ai rempli les poches de sel. Non que je fasse des réserves pour le restaurant mais le sel est un ingrédient très pratique dans la pratique de l’Art, principalement un répulsif à esprits. Et si quelque chose d’étrange se passe dans cette maison, il me sera utile.

Puisque j’ai quelques minutes devant moi, je prends le temps d’observer la demeure en question. Lorsqu’ouverte, la grille en fer forgé pratiquement entièrement rouillée offre une ouverture à peine assez large pour une voiture. En son centre, sur un disque qui fut autrefois blanc se lit le nombre « 23 » adjacent à une serrure ancienne pour une clé qui doit faire la taille de ma main. Accrochée sur le côté, une boîte aux lettres rouge dont la peinture pelle et qui n’a pas dû servir depuis au moins cinq décennies pend sur des gonds qui menacent de céder à tout instant. Probablement que le facteur n’y jette plus les lettres de peur d’attraper le tétanos…

La grille relie les deux pans du mur d’enceinte qui, comme vous pouvez l’imaginer, n’est lui non plus très jeune. Mais malgré sa décrépitude pour laquelle l’expression « ravalement de façade » aurait un sens tout à fait littéral, celui-ci s’élève au-dessus de deux mètres et crée un sentiment de sécurité que je peux sentir en l’effleurant. Derrière la grille, un chemin pavé de vieilles pierres recouvert de feuilles mortes progresse à travers une allée de platanes jusqu’au porche. Là se dresse, délabrée mais imposante, la bâtisse, avec à l’étage de grandes fenêtres condamnées, et sous le auvent une double-porte massive en bois. Une vraie maison de film d’horreur !... D’ailleurs, je ressens un filet de peur qui exsude de celle-ci, comme si ce lieu avait été marqué d’un drame ou crime assez monstrueux. Je ne connais pas l’histoire de cette maison – souvenez-vous, je viens juste de débarquer – mais je ne la sens pas bien.

Je suis tellement perdu dans mes pensées que je n’entends pas la personne arrivant dans mon dos. Lorsqu’elle s’éclaircit la gorge pour attirer mon attention, je manque d’avoir une crise cardiaque. Le sourire sur son visage me dit que mon petit cri de surprise semble l’amuser – un coup pour ma virilité ! – mais elle reprend son sérieux et me tend la main :

« Pierre Belot ?, me demande-t-elle.

- Non, répondis-je. Pierre m’a demandé de le rejoindre ici pour la visite. Vous devez être sa cliente ?

- Oui, je suis Elisabeth. »

Je prends sa main et je la serre. Elle porte des gants en cuir fin donc je ne peux pas sentir sa peau. Dommage. Le contact physique est quelque chose de très fort dans l’Art.

Elisabeth est une jolie brune aux cheveux longs qu’elle a attachés en une tresse. Comme le temps est frais, elle porte un manteau trois-quarts, une écharpe et un chapeau en laine légère. Je suis assez étonné : je n’ai aucune idée de ce que cette jeune femme fait dans la vie mais elle ressemble plus à une étudiante qu’à une rentière. Pourtant, malgré sa vétusté, la maison doit valoir assez cher. Je me demande pourquoi elle pourrait être intéressée…

J’ai dû passer un peu trop de temps à la fixer en réfléchissant car elle me toise maintenant bizarrement.

« Désolé, dis-je, j’étais perdu dans mes pensées. Vous disiez ?

- Est-ce que Pierre va se joindre à nous ou allez-vous me faire visiter ? »

Je n’ai pas le temps de répondre que Pierre tourne le coin de la rue et nous interpelle. Il s’excuse pour le retard, nous salue et se dirige vers la grille. Comme je le pensais, il sort de sa sacoche une clef qui pourrait faire concurrence au .44 Magnum de l’Inspecteur Harry. Il déverrouille la grille et nous invite à avancer sur le chemin. Elisabeth passe devant. Je m’apprête à avancer quand Pierre m’attrape par le bras et me remercie à voix basse d’être venu. Il compte, bien sûr, sur ma discrétion quant à la raison de ma présence. Je comprends qu’il ne veut pas effrayer sa cliente. Je le rassure et lui promets d’être sage comme une image.

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