Lundi 13 décembre
J'ai passé le reste de mon samedi et mon dimanche entier à travailler ma présentation. Ma modeste chambre d'hôtel s'est transformée en salle de réflexion. Des croquis, des résultats de recherches et des captures d'écran de « bookstagrams » jonchaient les sols et les murs de la pièce. Je n'avais encore jamais réalisé de scénario publicitaire pour un livre. En réalité, je crois même n'en avoir jamais vu... La plupart du temps les agents littéraires organisent la promotion des livres dans les librairies, à travers les conférences et les réseaux sociaux. La demande est donc assez inédite pour moi. Cependant, il s'agit du premier client que l'on me confie et je ne peux pas prendre le risque de ternir l'image de l'entreprise ou encore la mienne.
Ce matin, je porte donc ma deuxième robe en coton recyclé bio. J'en avais commandé trois... Au cas où... Elle est plutôt moulante et m'arrive aux chevilles. Une fente étroite remonte jusqu'à mon genou gauche dévoilant à peine mes collants en dentelles. J'ai choisi des couleurs « nude » soucieuse de ne pas voler la vedette à ma présentation tout en restant élégante. Je chausse fièrement mes escarpins marron porte-bonheur et m'en vais conquérir le monde ! J'arrive à l'agence de bonheur. Il est à peine 7h00. Je m'autorise un petit café avant de me lancer dans l'installation du matériel en salle de projection. J'ai prévu un panneau présentant les différentes scènes de la vidéo sous forme de carte mentale ainsi qu'un diaporama explicatif. Pour tout dire, il était essentiel pour moi que cette publicité soit moderne. Dans un premier temps, j'ai choisi de présenter un jeune homme gay, son mari et leurs deux enfants. Ils semblent être heureux et disposer de tout ce dont ils ont besoin. La famille paraît parfaitement équilibrée. Dans un second temps, une jeune femme célibataire qui enchaîne les conquêtes, voyage et vit les moments les plus heureux de sa vie de part et d'autre de la planète est également exposée. On voit ces deux personnages vieillir et on comprend qu'ils ont « réussi leur vie ». Sur certains plans on observe qu'ils sont actifs et mangent des repas sains. A la fin de la vidéo, un retour en arrière nous ramène à un moment de leur enfance où l'on comprend alors qu'ils sont frères et sœurs. Leur père leur cuisine une des recettes tirée du fameux livre de Jacques Dakota en leur disant : « La vie est une succession de choix et chacun d'entre eux reflètera les valeurs qui vous conduiront toute votre vie ». Il s'agissait également de mettre en avant l'aspect spiralaire de la situation en commençant et en terminant la phrase clé par le mot « vie ». Oui je sais je me suis surpassée !
Puisque j'ai le fond, je dois maintenant m'assurer que la forme tiendra la route.
8h05, Paul finit par arriver. Je vais le voir afin de savoir ce qu'il en est de mes commandes. Il me dit que le livreur devrait arriver d'une minute à l'autre. Il doit réceptionner des petits déjeuners vegan à la banane, aux amandes et aux flocons d'avoine et des boissons chaudes au lait végétal. Tandis que la sonnerie du portable pro de Paul retentit, Tom vient me voir en catastrophe et me dit à bout de souffle : « Dehors ! Une manif anti Dakota ! Des gens qui crient à la grossophobie ... Ils agitent des saucissons ! » Je m'élance en courant vers la sortie et hurle en voyant le spectacle ! Ils sont une bonne centaine à hurler « Tous contre Dakota ! ». Je ne sais pas quoi faire. J'hésite entre fondre en larmes et me jeter sous un tramway. Heureusement Tom arrive à mon secours. Il appelle un ami policier. En un rien de temps, ce dernier débarque avec une bande d'hommes armés qui calme rapidement le jeu.
8h53, les manifestants ont quitté les lieux ! Le temps que je reprenne mon souffle, je découvre Jacques face à moi. Il murmure d'un air déconfit : « J'ai eu de la chance qu'aucune de ces personnes ne semblait réellement savoir qui j'étais. Je suis passé dans la foule quasiment inaperçu jusqu'à ce que je comprenne que j'en étais la cible. Je ne savais même pas que j'avais des ennemis... »
Perplexe, je le conduis jusque dans la salle où aura lieu la présentation. Les petits déjeuners et les boissons y sont déjà installés. Paul, sa stagiaire, Tom, une autre collègue et le Big boss se joignent à nous. J'entame alors ma présentation qui semble plaire à tous. Une fois terminée, je souffle un grand coup et invite tout le monde à se délecter des petits déjeuners vegan commandés pour l'occasion.
Tout se déroule à merveille jusqu'à ce que Jacques ET le big boss commencent à se tordre le ventre. Des grognements et des odeurs suspectes commencent à envahir la pièce. Ils se précipitent alors tous deux vers l'extérieur, Jacques en criant « Les toilettes ! Vite ! ». Je les regarde s'en aller d'un air horrifié. Au bout d'une bonne demi-heure, ils finissent par réapparaître. Pendant ce temps, les autres collègues ont tous rejoint leur bureau en me lançant des regards désolés. Jacques Dakota hurle alors à mon intention : « Il y avait du lait de vache dans tes putains de petits-déjeuners vegan?! ». Ses yeux menacent de quitter leurs orbites d'une seconde à l'autre et je sens les larmes envahir les miens. Quand je pense que rien de pire ne peut arriver, mon patron décide d'intervenir :
« J'ai vu le bon de commande pour des boissons vegan Jacques. Il doit y avoir eu une erreur à la pâtisserie. Mademoiselle Perlier n'y est pour rien. Je réglerai cette histoire personnellement. »
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