Aube \\ Non inclusif
Le Drag Queer est resplendissant. Habillé d’un corset bordeaux, d’une chemise à manches exagérément longues, d’un pantalon à pattes d’eph’ et de talons surdimensionnés, il redéfinit les limites de la mode. Son maquillage savamment travaillé donne l’impression d’une colère immuable. Son torse plat, l’absence de bosse à l’entre-jambe et ses traits déformés par le contouring troublent la frontière entre masculin et féminin. Ses pieds, légers comme la brise du printemps, se déplacent avec grâce sur le sol craquelé de la « scène » du bar associatif, tandis que ses bras sont une tempête qui bat l’air au rythme déchaîné d’une rageuse musique féministe.
Devant lui, les spectateurs assis à même le sol suivent chacun de ses mouvements des yeux, hypnotisés par l’envoûtant contraste entre les différentes parties de son corps. Certains tentent en vain d’écouter les paroles de la chanson, la performance parle d’elle-même. De nombreux doigts claquent, toutefois personne n’ose siffler, crier ou frapper dans ses mains.
L’instant est suspendu, grandiose, et la lumière des projecteurs ne fait que le souligner.
Les spectateurs peuvent presque l’effleurer, et pourtant Aube Virgin ne les voit pas. Il n’entend pas non plus la musique. Son esprit est ailleurs. Pas dans les mesures qu’il faut compter, pas dans les limites de l’espace scénique, pas non plus dans l’attente du moment où il va arracher la dernière partie de son costume, ou dans la peur de cette couture qui risque de lâcher avant, la rage de cette étiquette qui le démange. Non, rien de tout ça.
L’esprit d’Aube est bien loin dans le passé. Avant son déménagement, avant son nouvel emploi, son nouveau partenaire, ses nouveaux amis, avant le drag. Avant la guérison.
Ces souvenirs cruels ne lui font plus mal, ils sont juste une autre part de lui-même.
Aube s’est battu pour survivre et Aube a vaincu.
Aube sourit, à présent. La musique ne s’y prête pas, mais c’est plus fort que lui. Il se sent bien, la vie a pu reprendre son cours, son cœur s’est remis à battre. Réalisant l’exploit qu’il a accompli, reprenant le contrôle du présent, l’extase est soudain à son paroxysme. La musique accélère, ses bras tournoient encore plus vite. Des soupirs d’admiration et de désir s’échappent de la foule.
Les quelques dizaines de personnes qui ont assisté à sa renaissance applaudissent comme les projecteurs s’éteignent sur sa dernière pose. Aube Virgin est presque nu, d’esprit et de corps, devant elles. Certaines pleurent. Aube sait que sa terrible expérience a été partagée par des spectateurs malchanceux, c’est hélas si commun. Mais leurs larmes ne sont pas de douleur, elles sont de libération. Car Aube Virgin est un phare dans le brouillard et tous espèrent pouvoir guérir, vivre heureux et en paix, comme lui.
Ce soir-là, dans le petit bar associatif, le mal a été temporairement exorcisé.
Puis l’aube s’est levée sur un nouvel espoir.
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