Prologue

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La piste des Bédouins traverse le plateau rocailleux sous le voile ondulant de la fournaise accumulée. La simple sente de terre serpente entre les buissons ras, les ravines et les agrégats de rocs éclatés. Parfois, elle disparaît au milieu des rochers pour reparaître un peu plus loin, comme pour se jouer du promeneur inattentif. Vers l'ouest, le socle de pierre ocre s'effondre en éboulis vers les sables arides du désert. Sur l'autre flanc, des pans déchiquetés découpent une paroi abrupte et infranchissable. Des blocs en équilibre précaire menacent à chaque instant de s'écrouler.

Dressé au milieu du chaos inhospitalier, un léopard surveille le nuage de poussière qui approche. Le prédateur hume l'air et retrousse ses babines sur un feulement nerveux. Le sol tremble sous ses pattes, un lointain bruit de tonnerre se réverbère sur la paroi. Le fauve se retire prudemment et disparaît dans une crevasse.

Une troupe de cavaliers passe au grand galop devant sa cachette. Penchés sur l'encolure, ces mamelouks aux visages rudes laissent éclater l'ardeur de leur chasse en un hurlement sauvage. Leurs vêtements chamarrés claquent en étendard dans le vent, les lames des sabres accrochent la lumière sur un scintillement meurtrier. Ils brandissent déjà les arcs de guerre, prêts à tirer. Leurs proies ne leur échapperont pas !

Aiguillonnés par les cris et le martèlement des sabots, sept fugitifs talonnent leurs montures de plus belle. En tête, un guerrier enturbanné garde les yeux rivés sur la piste, attentif au moindre repli de terrain. Un jeune commandant de l'ordre des Hospitaliers le suit de près, transpirant à grosses gouttes sous sa cotte de mailles et son surcot. Noyés sous leur nuage de poussière, quatre chevaliers en tenue de croisés jettent des coups d'œil nerveux derrière eux. Les lourdes épées de guerre à leur ceinturon paraissent bien futiles face à la menace. Un jeune homme brun, plus frêle, ferme le train, perdu sous sa tunique frappée de l'emblème rouge à croix blanche. Les yeux agrandis de frayeur, il récite à voix haute une litanie de prières, tandis que son regard se repose sur la fière silhouette du commandant pour y puiser quelque réconfort.

La piste s'interrompt sur une faille béante ; ses parois abruptes plongent vers un abîme sans fond. Le cavalier de tête stoppe sa monture avec un juron turc. Il évalue du regard la distance à l'autre bord. Le précipice est bien trop large pour être franchi d'un bond. Le guide tourne bride, espérant trouver un passage vers le désert en contrebas.

Les sept cavaliers s'élancent le long du ravin, piquant des talons, la peur au ventre. Leurs poursuivants fondent déjà sur eux. Le tonnerre de la cavalcade s'accompagne du sifflement des flèches. Les pointes claquent sur les rochers, sans dommage ; les mamelouks sont encore trop loin. Pendant un instant, le commandant ose croire qu'ils vont parvenir à s'échapper. Dieu les protège !

Soudain, un trait acéré plonge dans le flanc du dernier cheval. L'animal pousse un hennissement de douleur, tente de poursuivre sa course de quelques pas incertains, hésite au bord du gouffre, puis bascule au ralenti. Les profondeurs avalent bête et cavalier.

— Non !

Dans un réflexe absurde, le commandant tire sur les rênes d'un geste brusque. Toute crainte du danger imminent a déserté son esprit, balayée par le refus du drame. Il se dresse sur les étriers ; ses yeux fouillent fébrilement la faille. Seules quelques pierres finissent de dégringoler. Une peine sans nom se glisse dans le creux laissé par la disparition.

— Vincenzo !

Le cri désespéré est repris par l'écho comme une raillerie funeste et aussitôt noyé sous le vacarme assourdissant de la troupe ennemie. Les cinq cavaliers s'arrêtent à leur tour, incertains. L'Hospitalier leur adresse à peine un regard. Qu'ils fuient ! S'il doit périr aujourd'hui, ce sera en emportant dans la tombe ceux qui viennent de lui ravir un ami. Ses yeux vides se tournent vers la horde des guerriers. Son chagrin se mue en une fureur noire qui balaie toute pensée rationnelle. Ces infidèles vont comprendre ce qu'il en coûte de s'attaquer à un Veilleur ! Ses doigts se crispent sur la précieuse bande de lin blanc glissée à sa ceinture. Il la brandit haut dans le ciel, tel un étendard vengeur, et tend la main pour se saisir des sables ondoyants du désert. Sous les rayons du soleil déclinant, le tissu se teinte de reflets orangés.

Un vent surnaturel se lève, né de sa rage et porté par la Toile du monde. Ce souffle emporte les grains jaunes du désert, la poussière ocre de la roche, les pierres du chemin. En quelques instants, une tempête d'une rare violence déferle sur le paysage dans un sifflement assourdissant. Le commandant baisse la tête sous les bourrasques. La puissance ainsi déchaînée le surprend à peine. Dieu répond à son appel pour punir ces païens et protéger les reliques sacrées !

La charge des mamelouks disparaît sous un nuage opaque ; seuls persistent les hennissements des chevaux et les cris apeurés des cavaliers. Les grains de sable abrasent la peau, fouettent hommes et bêtes. Le mugissement du vent couvre les hurlements de douleur et de terreur.

Un îlot de calme irréel épargne encore les six élus, comme si une main divine étendait sa protection au-dessus de ses brebis. Toujours dressé sur ses étriers, le commandant contemple la dévastation, les yeux pleins de haine. Qu'ils crèvent comme des chiens !

Derrière lui, le cavalier turc s'approche, les doigts serrés sur une fine croix d'argent ceinte à son cou. Quelques gouttes de transpiration perlent sur son front buriné et glissent jusqu'à sa moustache.

— Il ne faut pas rester là, Raïs ! hurle-t-il par-dessus le grondement du vent.

— Je n'ai pas d'ordre à recevoir d'un vulgaire sekban ! Il faut descendre dans le gouffre, retrouver Vincenzo !

— Ton ami est mort ! rétorque le turc. Et si nous ne décampons pas au plus vite, nous le serons bientôt tous !

Ces mots durs frappent l'Hospitalier comme un coup de poing. Il cligne des paupières. La fureur s'estompe dans ses yeux à mesure que la raison lui revient. Seigneur, qu'a-t-il provoqué ? L'îlot de calme se réduit à vue d'œil. Les vents violents menacent de les emporter tous. Le regard du commandant se pose sur le gouffre qui lui a volé un ami précieux ; sa gorge se serre d'un chagrin sans nom. Il murmure pour lui-même un mot d'adieu et une brève prière, puis se tourne à regret vers ses compagnons. Sur un signe de tête à l'attention du guide turc, il pique des talons.

Les six hommes galopent le long de la faille. Ils fuient vers le désert, loin du chaos de sable qui rugit encore dans leur dos. Sur le visage du jeune commandant, les larmes coulent sans retenue.

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