L'âme décompressée

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Si Jean-Paul Surdas ne décrochait guère de l'écran, c'est parce que le sexe l'y retenait. Annie le connaissait depuis si longtemps, et maintenant elle pénétrait en lui. Il se dandinait sur le sofa, entre deux halètements. Le foot s'activait dehors : Les Jets de New York devant les Patriots de la Nouvelle-Angleterre. 2-3 en cinquante minutes de Match. Le froid sur le stade, une bruine abondante qui gelait les télespectateurs, les arbitres déchainés dans ce méli-mélo de cris à Wall Street :

- ZACK WILSON FAIT LA PASSE A BREECE WALL, ATTENTION, LE RUNNING BACK S'ELANCE POUR UN TIR, LE STADE EN A LE SOUFFLE COUPE, ATTENTION...ET NON, MAC JONES REPREND LA BALLE, LE JOUEUR DES PATRIOTS REPREND TOUT EN MAIN...IL S'ELANCE, IL FAIT LA PASSE AU NOUVELLE WILL RUNPORT STANE, MILES BRIANT REPREND LES CHOSES EN MAIN, IL TIRE, IL MARQUE, UN POINT BONUS POUR LES PATRIOTS...LE QUATERBACK ATTRAPE DE NOUVEAU LA BALLE, IL TIRE, EXPLOIT DE LA PART DU DEFENSEUR QUINNEN WILLIAMS...

Le foot l'intriguait, le foot était pour lui la seule raison pour laquelle il se sentait si bien dans son monde. Ange le jour démon la nuit. La pénombre avait envahi New York, l'odeur pestitentielle des usines flottait toujours autour de la Quinzième avenue et Main Street respirait bon la lueur des réverbères obliques. Une poupée vivante faisait le ménage dans Jean-Paul. Français aguerri.

- Arrête Annie, on reprendra demain...Arrête, j'te dis, dit-il avec sourire.

- But I'm still hungry, Jean (Mais j'ai encore faim Jean), dit-elle en anglais.

L'anglais était la langue favorite des Ricains, malgré le fait que sexy définissait les Français qui parlaient ainsi : too much.

- But I got work, to do ! (Mais j'ai travail, allez hop !), dit-il, raffiné.

Ses yeux bleus sur un nez aquilin, un visage pressé avec des mines renfermées et des traits si lisses. Une beauté insatiable au niveau de ses cheveux grin de poivre, coupés courts comme Lucifer. Il ressemblait au Diable incarné, le diable du sexe.

- I have train to take, Annie (J'ai un train à prendre, Annie), rectifia-t-il.

Il lui sembla que son message ne fut pas assez défini. De toute façon, quoi définir avec un gourou de l'amour qui faisait des crimes le soir même ? Faire quelque chose lui semblait imprescreptible.

- I love you, mi amor (Je t'aime, mon amour).

- I love you, Surdas. But change of name, my love. Please.

- Yes.

Surdas avait compris : il devait changer de nom. Autant s'appeler James Powell ou Michael Barry. Il prit les clefs, sa sacoche, et sa veste en jean, et débarqua sur le palier du 106, immeuble en globe de verre, avec l'impression d'avoir oublier quelque chose d'interressant :

- Embrasse-moi, d'abord...

Il agrippa les joues de sa bien-aimée, lui mordit les lèvres jusqu'au sang et lui savoura le baiser. Elle aimait qu'il lui fasse ce petit jeu, il pouvait durer pendant des minutes. Mais il stoppa net sa création après cinq minutes de baiser intensif, pressé. Il devait prendre un taxi apparemment. Il ferma la porte, la chaine de sûreté qu'elle remit encore, et elle plongea au sol, évanouie par tant de plaisir. Elle l'aimait, voilà tout. Mais ne l'avait-il pas empoisonné avec son désir ? Elle n'entendit que le bruit résonnant de pas feutrès qui dévalent les escaliers de marbre.

L'odeur intolérable de désinfectant émanait de la salle principale de Madame Gueeners, la concierge. Elle se préparait une épaule d'agneau à la marocaine, mijotant sur feu doux. L'intolérable création de Madame Gueeners, cette voisine intensive. Dès qu'elle vit ce Surdas façon Christian Grey, elle remonta quatre à quatre les étages qu'il avait descendu, n'observant qu'à peine d'un oeil le taxi jaune qu'il avait hélé sortir du trottoir de l'immeuble, et elle frappa violemment à la porte comme si elle se doutait de quelque chose : comme si elle faisait égrener ce désir de culpabilité de l'avoir laissé entrer dans leur vie. Elle tapota quelques coups, aucune réponse. Elle hurla à pleins poumons :

- ANNIE !! ANNIE !!!

Pas de réponse.

(Oh ! Julie sur l'estrade du palier)

Julie Gueeners martelait la porte à gros coups !

- ANNIE !! OH ! Annie, je t'en supplie, c'est moi, Julie Gueeners, je veux savoir ce qui se passe, Oh ! ANNIE !!

Elle avait deviné.

L'espace d'un instant, elle crut à sa mort. L'atmosphère se fut partiellement dissipée quand Mme. Gueeners se retourna pour faire demi-tour. Deux pas incertains et elle fracassa à coups de pieds le bois d'ébène de la porte. La réponse fulgurante qu'elle obtint fut un grand fracas sur la moquette suivi de deux coups. Quand la serrure sauta, Mme. Gueeners pénétra dans la chambre et vit avec intrigue que tout l'appartement avait été retourné, que les meubles avait été saccagés, que la télé avait été vidée de tous câbles, et que le canapé avait été éventré. Comme par hasard, la rumeur se répendait : qui fait le sexe avec le diable meurt. Une chose fut sûre, quand Mme. Julie Gueeners pénétra dans l'anti-chambre du 102, elle faillit pousser un cri : Annie était là, dans une posture étrange, la tête coupée et posée au même endroit qu'elle aurait dû être, dans une position bancale.

"Merde, gémit-elle".

Le sang âcre et poisseux s'était répandu sur tout le tapis, comme si on l'avait vidée de ses cinq litres de sang. Et bien sûr, vaseuse dans l'odeur, Mme. Gueeners s'éffondra entre les lattes du lit défoncé. Elle était à la fois subjuguée et attristée. Dressé sur l'estrade, quelqu'un martelait encore la porte. L'âme de Madame Gueeners ? Non. Un gars à la Grey qui examina les lieux du crime avec un certain délire.

Le taxi de Surdas était-il parti ? Ou avait-il bien pu tuer sa femme ? Mal rasé, crâne pointu, le gars aurait bien pu être Christian Grey.

Cinquante Nuances de Grey, c'a existe.

Non, le taxi est parti de bonne heure, Mme. Gueeners est sur la cible, puis...

Le coup est parti.

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