Harcelé et humilié par ses pairs, tabassé et laissé pour mort une flopée de fois, l’homme épiait son reflet. Dès sa naissance, la marque du maudit lui avait été apposé. Il était sorti des entrailles de sa mère dans un vacarme fracassant. Sa mère ? Morte en couche. Son père ? Aucun souvenir. On lui racontait que son géniteur avait mis les voiles avant sa genèse comme s’il savait ce qu’allait être son engeance.

Le miroir acajou aux enluminures simples mais brillantes lui renvoyait une vision d’horreur, sa propre laideur diabolique. D’un geste gauche, il enleva la buée épaisse accumulée après la douche. Son œil gauche était plongé dans les ténèbres, plus d’iris ou de pupille, seul subsistait le néant. La moitié de son visage était fripée, un liquide vert coulait constamment de ses croûtes sanieuses.

Son propre miroir suintait, la condensation devenue gouttes perlait et venait s’écraser à ses pieds. La glace se fissurait et se craquelait. L’horreur qu’il contemplait tous les matins avait eu raison de son reflet, son psyché ne pouvait plus renvoyer son image.

Les spécialistes ne pouvaient donner aucune réponse. Les hommes de foi sortaient leur crucifix à son approche, psalmodiant quelconques prières afin de l’exorciser. Il se sentait démon, rejeté et réprouvé par le monde.

Aujourd’hui était le grand jour. Il avait décidé de mettre fin à ses jours, de quitter ce monde qui n’était pas pour lui. Il n’en pouvait plus des regards et des insultes fusant sur son passage. Quiconque le regardait se voyait tourmenté pour l’éternité.

Il s’habilla promptement : un pantalon troué et tâché, un maillot noir poisseux, des chaussures déchirées et un pull à capuche pourpre piqueté de sang. Son capuchon rabattu, le pas rapide comme s’ils tentait de fuir les fouets de l’Enfer, il arriva près d’un pont immense.

D’un mouvement disgracieux, il réussit à se mettre en équilibre et fixa le vide.

Il n’était pas seul. Quelques mètres plus loin se tenait une femme. Elle pleurait à chaudes larmes. Une vision angélique.

D’une beauté sans nom, son mascara coulait à grand flots. Ses yeux étaient d’un bleu azur comme le ciel.

• Pourquoi pleurez-vous ? bégaya-t-il.
• Je ne veux plus être moi. Je ne peux me déplacer sans être sifflée. Je ne supporte plus les harcèlements et termes grivois qu’ils me lancent.
• Vous êtes magnifique. Aphrodite elle-même se sentirait écrasée par votre charme et votre magnificence. Regardez-moi, je suis d’une laideur répugnante.

Les deux âmes perdues et prêtes à sauter se regardèrent. Le temps s’était arrêté, seuls leurs battements de cœur jouaient une mélodie harmonieuse et égale. Il la fixait intensément mais sans aucune sexualité. Elle le regardait sans détourner les yeux et aucun dégoût dans le regard.

• Les choses les plus belles n’attirent pas l’attention vous savez.