Un couple assorti
- On ne peut rien contre le destin ! Maudite grenouille. Patte molle, cornichon ! Je vais te ziguouiller dans ton bocal.
Jacques Pelot sortait de l’hôtel Aurora, Père Noël marmottant, marmonnant, essuyant au revers de sa redinguote une main, humide encore, de la chaleureuse pognée du directeur.
Il avait erré sur les plages de Notanou, robe rouge en drap épais sur le dos, pompon au vent et pieds dans l’eau, parmi les maillots de bain, les robes Mission relevées au dessus des vagues. Devant la mer, grattant un caleçon rempli de sable, l’autre main en visière, il avait laissé planer son regard. Puis, avait fini par trouver un peu de repos, sur un banc parmi les mouettes.
Un peu plus tôt, sortant de l’hôtel, encore tout occupé à regarder la main qui venait d’être serrée avec un tel enthousiasme, il avait croisé le clochard des plages.
Maesath avait suivi Jacques.
Il s’était assis sans bruit, à côté de lui sur le banc.
- Mais si.
- Pardon ?
- Mais si, on peut quelque chose contre le destin.
Jacques l’examina, essuyant son large front luisant de son bonnet rouge. A n’en pas douter, il s’agissait là du clochard le plus net et le plus aimable qui soit, avec sa serpillère en poncho – facile, on fait un trou au milieu – et un collier de ficelle avec des couvercles et des bouchons en breloques – facile, là encore on fait un trou. Bref, l’image même du clochard céleste. Jacques trouva sa conversation agréable.
il proposait aux passants et aux clients de l’hôtel des plantes en pot, rarement fleuries, tout en poussant devant lui sa brouette. Maesath avait ses amis, et à vrai dire tout le monde l’aimait bien, et il ne manquait pas du nécessaire. Chacun lui donnait, et pour le toit, un couple de vieux paraît-il lui offrait une pièce en rez-de-jardin, avec vue sur une arrière-cour, où il pouvait se doucher.
Au delà de l’image qu’il donnait, il s’agissait bien d’un original authentique de l’esprit, un poète, un philosophe, un physicien. Il avait remarqué qu’une chape sombre recouvrait la capitale du Notanou, et c’était là, pour lui, le signe d’une activité électromagnétique intense, celle de tous ces humains, ces moteurs, qui créaient un arc électrique tout autour, et qui emprisonnait les poussières.
Dans la vraie vie, il était donc capitaine d’industrie, avec son petit capital sur roue, ses revenus, ses clients, et même une politique commerciale élaborée. Un jour, il fit de la publicité, et l’on vit écrit sur un drapeau blanc attaché à bout de pelle le plus ingénieux slogan de la réclame moderne, n’achetez plus, donnez.
Sa meilleure amie vint les rejoindre. Elle s'assit elle aussi sur le banc. C’était une blonde aux yeux bleus qui tenait un Nakamal dans le quartier voisin, et c’était là, à vrai dire, un des très rares motifs – voire le seul - qui puisse l ‘éloigner de ses rues préférées. Elle avait des guirlandes de Noël dans les cheveux, avait décoré son échoppe à l’avenant pour tous les mois de l'année, et pensait que la fin du monde approchait.
Elle en voulait pour preuve tout le mal qu’on faisait. Et puis les poissons dans la mer que l’on mangeait, étaient les anges de dieu, Myriades célestes et colorées, et les Prophètes avaient mal vu, car s'il n’avaient pas d’ailes multicolores, ils avaient bien des nageoires et des écailles iridescentes.
Elle n'en voulait pas démordre, la pollution des mers et la montée des eaux, la surpêche des anges de dieu, affreusement immolés sur les étals des supermarchés ou dans des barquettes surgelées, annonçaient la fin de l’humanité.
Bref, ils s’étaient trouvés, et c’était là le couple le plus charmant de la terre.
Maesath regarda Jacques, ses grands yeux sous des cheveux broussailleux, puis il se leva, fit un clin d'oeil à la jeune femme, et ils repartirent. Jacques les regarda s’éloigner, lui et ses cheveux noirs qui s’échappaient de son chapeau, la brouette remplie de bourre de cocos et de sacs de jutes, elle ses cheveux entremêlés de guirlandes de Noël.
- Curieux…
Un moment, il eut envie de se lever, de secouer le sable de sa barbe, puis de les suivre. Mais à quoi bon. Le Père Noël se renfonça dans son banc.
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