Par Kaïla !

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« Que faire de ce batonnet ? »

L’Agent de Conservation de la Faune de Classe Exceptionnelle Arthur Tungalik venait de terminer son eskimo vanille double chocolat, et malgré cette pause bienvenue suait à grosses gouttes. A l’Aéroport de San Francisco, il avait trouvé, en consigne, un paquet contenant un nouveau costume et des instructions concernant sa mission. Dans la minuscule cabine-douche de la salle de repos, il avait ouvert le paquet, découvrant le fin tissu d’une chemise hawaïenne, un short et des claquettes, et ce fut un grand moment de solitude, la confirmation de son exil.

« Par Kaïla, dieu du Ciel Glacé ! C’est un pays tropical ! »

Il avait imaginé le charme des contreforts de l’Himalaya, les Alpes, Mexico à la rigueur, un endroit frais. On l’envoyait dans la jungle.

Qu’est-ce qu’elle disait, déjà, la lettre ? Il l’avait lue dans l’avion, l’avait réouverte, relue, réouverte, relue, essayant de mesurer son malheur. Il l’avait peu à peu transformée en éventail à mesure que la température montait et devait désormais choisir, lire ou s’éventer. Il soupira en dépliant l’accordéon, souffla sur le papier pour s’envoyer un air frais au front tirant la langue souffla encore pour se donner du courage lorsqu’il vit apparaître le nom de ce salop de Toshiro.

Toshiro, Président du Conseil Arctique,

à

Arthur

Cher Arthur, bonjour !

Tu sais combien nos peuples ont besoin de toi, de moi, d’espoir ! D’un réconfort qu’ils ne trouvent plus, hélas, dans leur vie. La quête de notre Viande quotidienne ne nourrit plus l’Esprit ! Nos mythes se sont effondrés. Chaman Arthur ! Tu sais cela, comme je le sais. Chanter Allelouia dans nos igloos, construire de grandes maisons mêmes chauffées, c’est un petit pansement sur une plaie bien trop large, même le scotch fait mal. Chaman Arthur Tungalik, tu dois retrouver le Père Noël Jacques Pelot. Il est doté de grands pouvoirs, qu’il exerce de façon curieuse et lucrative, car c’est un imbécile doté d’un caractère intéressé. Mais il est doté d’un grand pouvoir, il passe à la télévision et les gens n’éteignent pas le poste, la ménagère oublie le fer à repasser sur la chemise du mari et fait un trou dedans, le mari ne la gronde même pas en sentant l’odeur de grillé, et après avoir entendu Jacques Pelot et son associé Père Fouettard, ils se tapent sur le ventre, trouvent très drôle de regarder par le trou dans la chemise, et souvent ils font l’amour. De grands pouvoirs je te dis. Même le chef de son pays l’a remarqué, alors que tous ses conseils Atrisi lui disaient « Non, non, c’est un idiot intermittent avec un hochet et des grelots » Mais lui le chef du pays, lui qui a le regard qui perce Trois Mondes pour voir le Quatrième dans son œuf, il a vu. Et puis voilà, il a fait copain avec chaman Jacques Pelot, et Jacques Pelot l’a pris sur ses genoux comme un petit nourisson pour lui donner une force nouvelle, et le Chef Président est né dans une nouvelle vie qu’ils appellent Quinquennat, plein de pouvoirs tout neufs. C’est bien, c’est bien, oui mais la puissance de Jacques Pelot s’est étalée sur toutes les télévisions du monde, attirant la convoitise comme le cul du bétail les mouches lors des belles journées de printemps. Chaman Jacques Pelot a été enlevé par une Puissance plus grande, etc… et ce sont, etc… Je compte sur toi, etc…

Ton très dévoué et néanmoins chef de toi et des autres,

si mes ennemis me laissent vivre,

Toshiro

PS Tu rencontreras aussi Celui dont la mission doit rester secrète, alors je te dis rien, mais tu sais un peu, on sait jamais ! Au cas où tu voudrais lui bouffer sa viande. C’est un copain. Bien à toi, etc…

A la lumière du soir, en contemplant la montagne en face de l’aéroport du Notanou, il décida de se faire une raison. Il chaussa ses lunettes de soleil Ray Ban. Il y avait ici au moins, un point commun avec le Nunavut. Une réverbération du tonnerre, un indice ultra-violet à 18 et un trou dans la couche d’ozone au moins aussi conséquent que celui de la Caisse de Lutte contre l’Alcoolisme du Nunavut. Il avait été accueilli, à la sortie de l’avion, par toute une famille en chemise à fleur, colliers de fleurs autour du cou, fleurs dans les cheveux et des herbes à la ceinture. Ces sympathiques botanistes lui avaient chanté la sérénade sur l’air de « On descend de la montagne à cheval » et des paroles de bienvenue à Tonton Eusebio « qui est parti loin de nous et qui revient Allelouia accueillons le dans la joie !» Il avait eu du mal à faire comprendre qu’il n’était pas le Tonton Eusebio parti il y a vingt ans, et avait montré son passeport au nom de Arthur Tungalik, domicilié à Qaamiutaliruluk, Nunavut, Fédération du Canada, puis sa carte d’Agent de Conservation de la Faune de Classe Exceptionnelle. Alors, une chanson fut improvisée pour remercier « Aturo Tungiliko qui n’est pas notre Tonton, pardon, pardon, qui vient de Nanivito, et bon voyage ! ».

« Très sympathiques, très sympathiques ! » Se disait-il en suçant son batonnet. Et puis, ils adoraient le poisson, comme lui, de grands pêcheurs. « Même cru. Ha oui ? Ha comme nous alors. Très sympathiques. »

Bon, que devait-il faire maintenant ? Il avait eu tout le loisir de lire les instructions dans l’avion, regardant d’un oeil les déprimants publi-reportages sur toute cette eau bleue complêtement fondue où pas même un dernier cube de glace ne surnageait. Il avait frémit en entendant la température de ladite eau, et c’est avec un air de chien battu qu’il avait demandé à l’hotesse un dernier verre « avec beaucoup de glace, s’il vous plaît » après avoir entendu le bulletin météo de l’atterrissage.

Maintenant qu’il était au pied du mur, face aux montagnes dont l’ombre s’allongeait, il fallait faire face. Il avait rendez-vous, une petite promenade à pied, pour retrouver ses contacts. Que faire de ce batonnet ? Il n’arrivait pas à le jeter. Au Nunavut, le moindre bout de bois est précieux. Surtout des comme ça, bien plats, bien polis. Il pourrait s’en servir, pour ses lunettes de chasse. Il chercha une poche dans sa chemise hawaïenne, et c’est en la tapotant avec la satisfaction d’un milliardaire qu’il prit la direction de la mangrove, qu’il imaginait comme une banquise végétale s’avançant dans la mer, moussue, herbue, où gambadaient les lapins et les lièvres charmants avec leur petite queue blanche relevée lorsqu’ils sautent dans leurs terriers parmi les renoncules.

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