De la bombe, je vous dis !

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- Il y a un cafard dans ma chambre ! Un cafard je vous dis ! A l’Aurora Hôtel Grand Luxe ! Les mêmes que chez nous à Papeete ! Je ne viens pas à l’Aurora pour ça. J’exige de voir le directeur.

Le réceptionniste n’en menait pas large, et n’osait pas avouer à ce client tahitien, un certain Afa’iau Wagner, représentant de commerce échoué au Notanou pour cause de perturbation du trafic aérien, que le directeur Monsieur Lemêtrier se trouvait dans un tiroir de la morgue. Les clients sont si vite effrayés.

- C’est à dire… Le directeur est en rendez-vous… extérieur.

- Il doit rencontrer des gens très importants…

- Je le suppose, enfin, oui je l’espère.

- Ha, ces hôtels, on connaît ça aussi. Il faut gérer toutes ces arrivées, ces départs. Votre directeur a du mérite. Et puis ces petits soucis, ces petits détails de la vie quotidienne, les problèmes de clé, d’ascenseur…

- Je vous demande pardon ?

- Ne faites pas attention, mon brave, comme je dis toujours, rigueur et spontanéité, telle est ma devise. Pourriez-vous simplement envoyer une employée, avec une bombe insecticide ? Ce que je vous demande, ce n’est pas la mort tout de même !

Le réceptionniste déglutit péniblement, composant le numéro de la femme de chambre.

- Rébecca ? C’est vous ? Oui… Puis-je vous demander d’aller en chambre 9, Monsieur Wagner, un tahitien plutôt exigeant. Il y a un cafard. Si, c’est possible… Ne criez pas Rébecca. Si vous voulez… Vous le direz au client. Munissez vous d’une bombe insecticide… Merci Rébecca.

- Rébecca vous attend en chambre 9, Monsieur Wagner.

- Bon, ce n’est pas tout, mais avec ce contretemps, j’espère qu’il ne s’est pas enfui.

Afa’iau Wagner, visiblement ravi par la perspective d’une revigorante chasse au cafard, remonta les escaliers quatre à quatre, sifflotant son air favori, du Pavarotti, remixé et customisé par ses soins. Il était aux anges.

- Ha, Rébecca. Le directeur m’a dit le plus grand bien de vous. Il m’a dit que vous seriez là avec une bombe du tonnerre.

- Ce n’était pas le directeur, Monsieur.

- Mais si ! Je viens de le voir !

- Ce n’était pas le directeur.

- Il était en face de moi, comme vous en ce moment !

- Je n’espère pas, Monsieur.

- Comment pouvez-vous en être aussi sûre.

- Parce que le directeur est mort, Monsieur.

- Ha… Mes condoléances… Vous m’en voyez navré. Bon, ce n’est pas bien grave, du moment que vous êtes là ! Entrez, on va lui faire la fête à ce cafard.

Rébecca entra, la mine suspicieuse, regardant partout.

- Je tiens à vous dire, Monsieur, que je suis étonnée. Il n’y a pas de cafards à l'Aurora Hôtel Grand Luxe.

- Mais si, mais si ! J’en ai vu un. Il était là, près du pied du lit. Rien que l’idée qu’il monte sur moi pendant la nuit me donne des frissons.

- Il n’y a pas de cafard, monsieur.

- Nous allons le chercher, Rébecca. Moi avec ma chaussure, vous avec la bombe. Il n’a aucune chance. Je n’aime pas donner la mort, Rébecca, en vérité. J’ai même gracié des cafards, parfois dans ma vie. Je les tenais à merci, et puis bizarrement je leur disais, « Fous le camp… » . Ils comprenaient pas toujours, alors j’insistais. « Allez, barre toi ! » que je disais. Ils étaient tellement cons que ça donnait envie de taper.

- Tout le monde n’est pas aussi bon que vous monsieur.

- Ça, c’est vrai.

- Notre regretté directeur était comme vous.

- Ha…

- Si si, c’est vrai. Il me disait souvent, « Rébecca, je suis trop sensible. J’aime cet hôtel. La seule chose qui me gène, c’est ce génocide généralisé des cafards. Cette guerre d’extermination totale. Mais il le faut, je n’y peux rien. C’est le client qui veut ça. Ce n’est pas ma faute ». Alors il signait en soupirant le bon de commande de Cafard-Net, vous connaissez la publicité ? « Vous avez des cafards, que faire ? La solution finale, c’est clair, c’est net, c’est Cafard-Net ! »

Rébecca fut prise de sanglots à l’évocation de la mémoire de son cher directeur.

- Il était si bon, monsieur, vous ne pouvez pas savoir ! Il écrivait des poésies, monsieur, ce n’était pas toujours très harmonieux, mais c’était touchant. Il se cachait, mais nous, on savait. Dans un hôtel tout se sait monsieur. J’ai gardé son dernier poème, il venait de l’écrire et de le ranger, lorsqu’on l’a retrouvé, monsieur. Je ne devrais pas le dire, mais lorsqu’il a été mort, j’ai voulu garder un dernier souvenir de lui.

- Comme vous êtes bonne et sensible, Rébecca, je vous admire ! Je suis un grand amateur de poésie, et si ça peut vous rassurer, on ne lit en général que des auteurs morts. Ce n’est pas très gai, je l’avoue, mais on oublie vite. Croyez bien que cela ne me gênerait nullement de lire un trépassé !

- Vous êtes sûr ? Je le garde toujours sur moi, c’est comme un porte-bonheur. Tenez, regardez comme il avait une écriture fine. Il disait toujours, « Rébecca, j’ai une écriture de pattes de mouches ! » Je lui disais, mais non, monsieur le directeur, vous avez une écriture fine et régulière. C’est vrai que je le flattais un peu, surtout en fin de mois au moment de la signature de la paye ou en fin d’année pour les augmentations. Mais c’était presque vrai. Tenez, vous voyez ?

- Permettez, chère madame, que je sorte mes lunettes… Voyons. Vous permettez que je lise à haute voix ?

« Même étant fier, il était zéro. Vous, ou un sournois d’espaces sonores calfeutrés, auriez fait avec rage des songes. »

- C’est dada, monsieur.

- Je vous demande pardon ?

- Son style, c’est dada, monsieur.

- Ha oui, c’est dada. Très dada, même. C’est joli. J’aime beaucoup. Et il est mort comment ? Il s’est suicidé ?

- Vous n’y pensez pas monsieur ! Un homme comme lui. Non… Il est mort étouffé et empoisonné. Dit-elle sur un ton plus bas.

- Non, les deux en même temps ?

- Si !

- Comment est-ce possible ?

- Et bien figurez vous qu’on l’a retrouvé avec une bombe de Cafard-Net dégoupillée, enfoncée dans la gorge… Au début, la police a cru que c’était une Number One. Mais après, ils ont vu. C’était affreux, la bombe s’est complètement vidée dans ses poumons !

- Ha…

- Et savez-vous ce que la police a retrouvé dans la poche de son veston ?

- Non ?

- Trois balles de révolver, Monsieur, trois balles ! Lui qui avait une sainte horreur des armes. Jamais il allait à la chasse ! Il préférait s’occuper de sa propriété, à Houarou, et des chevaux. C’est à n’y rien comprendre.

Jacques Pelot, alias Afa’iau Wagner, représentant de commerce de son état, blêmit.

- Vous aussi, ça vous fait un choc ?

Rébecca venait de partir, et Jacques Pelot, alias Afa’iau Wagner, alias le Père Noël, était maintenant allongé sur le lit, regardant le plafond. Il relisait le poème de Lemêtrier, et la vérité montait en lui comme la chaleur moite avant les cyclones. Là, au seuil de la connaissance, debout et maître des lieux, trônait la trogne hilare de Lechat.

- Le salop !

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