Fouettard aux manettes
- Elle m’a quitté ! Elle me quitte ! Lucile je t’aime ! Criait un Père Noël désespéré, penché au bord du vide. Il faut faire quelque chose ! Pilote, suivez cette autochenille ! Le pilote regarda l’Homme Rouge, attendant les consignes.
- Calmez-vous monsieur Pelot, ce sont des choses qui arrivent…
- Non ! Cela n’arrivera pas, cela ne doit pas arriver…
- Nous avons rendez-vous à B73 dans trois-quart-d’heure, c’est impossible Monsieur Pelot !
- Suivez cette autochenille !
- Pilote, continuez. Soyez raisonnable, Monsieur Pelot, et rasseyez-vous. Vous voir penché comme ça, au dessus du vide, ça me donne le vertige.
Jacques se précipita sur le pilote, essayant d’attraper les commandes, s’asseyant à moitié sur ses genoux. - Ndjiou, ça se pilote comment, ça ?
L’hélicoptère partit en vrille, puis commença à remonter plein gaz.
- Vous voyez bien Monsieur Pelot ! Restez sagement assis, vous aurez au moins compris une chose. On ne peut rien contre sa destinée.
A ces mots, le Père Fouettard sembla se réveiller, comme un robot d'un sommeil cybernétique. Il tourna la tête, et sa pupille brilla d’un éclat étrange. Il attrapa l’extincteur accroché à la paroi de l’appareil. - Mais tu vas écouter ce qu’on t’dit !
Comme pris de rage, il venait d’asséner un coup violent sur la tête du pilote, qui sombrait inconscient, pendant que la bonbonne métallique roulait dans la carlingue. Le chat sauta partout, la mouette se mit à crier « criak-criak-criak » en se cognant aux vitres, essayant de s’enfuir, et la grenouille sauta se coller au parebrise.
- C’est malin, Père Fouettard, tu vas tous nous tuer !
L’Homme Rouge était devenu blême. L’appareil piquait du rotor vers les falaises volcaniques, Jacques s’accrochait comme il pouvait. - Monsieur le Président ! Avant de mourir, vous l’aurez au moins appris. Il y a plus fort que le destin ! La connerie, entre autres...
Le Père Fouettard ne se laissa pas démonter. Il s’installa tranquillement aux commandes, le chat sur les genoux, la mouette sur l’épaule, repoussant le pilote contre la portière, et n’ayant laissé les manettes libres qu’une fraction de seconde. L’appareil se redressa, évitant les falaises.
- Soyez sage, là….
Ben ? Tu sais conduire un hélicoptère ? Un Père Fouettard pilote d’hélicoptère ! Ça vaut une augmentation, ça ! Pourquoi tu me l’avais pas dit plus tôt ? On aurait pu faire des spectacles du tonnerre ! On arriverait, tous les deux, jetant des papillotes dans la foule !
- Ben… Oui. Un vieux souvenir de la Légion. Mais ce s’rait plus facile sans les boots.
- Ben ça... Bon, on les suit ?
L’hélicoptère suivait de loin l’autochenille, au long des crêtes volcaniques, passant d’un cratère à l ‘autre. L’Homme Rouge ne bougeait pas.
- Vous n’irez pas loin !
- Tu l’ouvres encore, et je te balance dans le vide ! On est où, Père Fouettard ?
- J’en sais rien, nous sommes en bordure du massif, bientôt dans la Grande Plaine… C’est pas très souriant, cette immensité.
Fouettard venait d’arrêter l’hélicoptère au dessus du dernier cratère, en vol stationnaire.
- Nous sommes sur le front Antarcto-austral, reprit l’Homme Rouge. Votre petite amie, mon cher Pelot, vous manipulait. Depuis le début, elle travaillait pour les Australs. Et moi qui ai cru sincèrement…
Jacques avait-il bien compris ? Le Président laissait-il entendre que Lucile ne l’aimait pas ? Il est vrai que ce départ… Il contemplait le père Fouettard, l'Hommes Rouge. Ses Frères Rouges.
- Ne vous fatiguez pas. Il n’y a qu’un seul Homme Rouge. Le Père Noël !
Jacques disait cela fermement agrippé à son extincteur. Il ressentait comme un immense soulagement à son contact, et regardait fixement le Président, qui lui, était fermement agrippé à sa mallette.
- Oui, bon, mais moi Monsieur Pelot, j’ai la valise des codes nucléaires. Et vous m’avez donné la clé… Vous êtes de quel pays, déjà ?
Le Président venait déjà d'enlever un œil. Il tentait de brancher un fil le reliant à la valise et avait encastré son œil dans un réceptacle du pupitre.
- Merde ! C'est quoi ce truc ?
Une bataille épique s’ensuivit, où l’on vit un Père Noël lutter contre un Homme Rouge, puis un Père Fouettard pilote d’hélicoptère se poser sur le bord d’un volcan éteint tapissé de blanc, afin de mieux participer à la bagarre. Profitant des circonstances, Sandwich qui n'avait toujours pas mangé, avala, cette fois-ci d'un seul coup, la grenouille.
- Ma rainette !
Dès que l’hélicoptère fut posé, le Père Fouettard, excité comme s'il avait mangé sa grenouille, profondément marqué par la disparition de Rainette, dans un sursaut ultime reprit la main. Outre l’extincteur, il avait l’arme de service du pilote. Très professionnel, il tenait en respect l’Homme Rouge, et il avait récupéré la clé !
- Rainette...
- Bravo ! Mais si j’étais vous, je ne crierais pas victoire. Mes hommes contrôlent la zone. En effet, des militaires en tenue camouflée tenaient des positions sur les crêtes en contrebas. Un militaire montait les flancs pierreux avec un linge blanc noué au bout d’un bâton de ski.
- Excusez-moi ? Je ne vous dérange pas ?
- Un peu… Vous voulez ?
- Ben… C’est que, vous nous empêchez de tirer, en restant là, au milieu. Ce n’est pas sérieux, ça. Vous venez de poser votre hélicoptère sur le dernier sas thermique que nous ne contrôlons pas dans le secteur. Vous venez de la Résidence ?
- Mieux que ça ! Nous avons le Président avec nous !
Voyant que les tirs s’étaient arrêtés, les occupants du souterrain ouvraient prudemment le sas pour prendre des nouvelles de l’extérieur. En sortirent des militaires Austraux, la moustache tombante, tenant fièrement leurs armes, puis Nadia et Lucile, qui avaient établi le contact avec un détachement de renforts montant au front, enhardi par la perspective d’une capture de l’Homme Rouge, dont ils avaient suivi les déplacements, et observé l’atterrissage forcé.
- Lucile, te voilà enfin ! Pardonnes-moi. Et il se jeta par terre, à ses pieds.
- Tu es vraiment aussi collant que la neige au printemps… Tiens-toi tranquille. On nous regarde.
- Mais ma bonne amie…Je… Alors tu m’aimes ? Jacques se relevait.
- Oui Jacques, peut-être…
Ils s’embrassèrent, pendant que les pales terminaient leur course. Comme ces moments, on s’en doute, n’intéressent pas les chats, le chat sauta de la carlingue et courut sur la croûte de neige. Il avait repéré un petit courant d’air tiède qui s ‘échappait du sas. Il avait bien l’intention de ne pas laisser sa peau dans cette boîte volante. Le Père Fouettard voulut le reprendre, lui courant après dans la neige. L’Homme Rouge profita de cette diversion pour rouler par dessous l’hélicoptère, se mettant à l’abri de la carlingue, ce qui provoqua une série de tirs de protection de la part des Antarctes. Les Australs durent refluer vers le tunnel. Le Père Fouettard, rattrapé par sa nature tourmentée, proposa de racheter sa faute en couvrant la retraite de ses amis. Il opposa une résistance héroïque, à l’entrée du sas, laissant penser à la partie adversaire qu’un fort contingent Austral était resté sur les lieux. L’assaut fut finalement donné. Les Antarctes ne voulurent pas croire que ce petit homme entouré de chargeurs vides avait tenu seul la position.
- Zavez pas de chance, je suis l’Fouettard ! Disait-il crânement.
Lorsque l’homme Rouge lui demanda la clé de la valise nucléaire, il répondit bravement,
- Non ! Ben, si vous voulez votre œil, allez le chercher ! Et il le lança en l’air.
Aussitôt, Sandwich s’élança et l’attrapa, le gobant comme il en avait l’habitude pour à peu près n’importe quoi.
- Descendez-moi cette mouette !
Mais Sandwich, apeurée par les tirs, s’élevant et tournant de façon erratique, criant « Criak-criak-criak » en raison des mauvais tours qu’on lui jouait, bientôt disparut.
- Bam !
- Sandwich, Rainette, la clef !
Sur le rebord extérieur du cratère, l’Homme Rouge, fusil à l’épaule, venait de porter un coup fatal à Sandwich.
- Amenez-la moi.
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