La traque
Dans la focale des jumelles, à une centaine de mètres, il vit clairement la neige durcie se craqueler, formant une ligne en zigzag. La ligne bifurqua à gauche, puis encore à gauche, rejoignant l’autre ligne qui s’était formée à l’opposé, découpant dans l’immensité blanche un minuscule carré de deux mètres de côté. Le carré bascula, laissant apparaître une main gantée, qui épousseta la neige.
Depuis deux jours, Arthur Tungalik avait pris position sur le plateau, surveillant la pente neigeuse en légère déclivité en dessous de lui. Il s’était acclimaté au rude climat de l’Antarctique, et exerçait à présent l’une de ses activités favorite, la traque du gibier. Mais ce n’était pas un animal que l’on recherchait. Il s’agissait d’un homme, l’Homme Rouge, qui disposait encore de quelques appuis dans ces contrées désolées.
L’ouverture avait basculé à 45 degrés. Une motoneige venait de sortir du stub, profitant de la tempête antarctique arrivée dans sa phase finale. Bientôt, le sas allait se refermer, et dans quelques minutes le vent et les particules de glace allaient faire disparaître toute trace d’activité. Rien, pas même une signature thermique, ne signalerait la présence, en-dessous, d’une colonie antarcte.
Il y avait pourtant une faille dans le dispositif. Dans ces espaces, le réseau de stubs ne pouvait couvrir tout l’inlandsis, et en conséquence certaines liaisons vers des sas éloignés devaient se faire par la voie classique. Arthur prit son téléphone cellulaire.
- L’ « ours » est là. Il vient de sortir. Direction 37° Est. En motoneige.
- Compris. Nous envoyons l’interception.
A quelques kilomètres de là s’ouvrit un sas thermique en tous points identique, si ce n’est qu’il était contrôlé par la faction adverse, celle qui venait de prendre le pouvoir, les Australs. Deux motoneiges en sortirent. L’opération était simple. La première moto prenait de l’avance afin de couper la route, pendant que la seconde, un peu plus tard, prenait l’Homme Rouge en chasse. Logiquement, l’ « ours » devait dévier, allant directement dans une zone de sas thermiques contrôlés par les Australs. Un rabattage classique.
Mais c’était sans compter sur la connaissance du terrain, l’intuition et l’esprit combattif de l’Homme Rouge. Prenant le contrepied exact du schéma prévu, il fonçait maintenant vers les deux motoneiges, dans l’espoir de les prendre de vitesse, et de passer entre eux au point précis de la tenaille, avant de s’échapper dans la direction opposée.
- Vous avez vu la manœuvre ?
- Oui, Maesath ! C’est clair. Il vient droit sur nous.
- C’est ça…
Deux hommes habillés de blanc de la tête aux pieds, équipés de larges masques à convecteurs paraboliques, fonçaient à présent l’un face à l’autre, et n’entendaient rien céder. Jacques arriva le premier au contact. Il ne sut dire qui fit le mouvement, infime, qui les sauva, mais le choc frontal fut évité de justesse, les chenilles se heurtant latéralement. Pilotes et véhicules firent la voltige.
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