Papa
Tu es parti comme tu avais vécu… sans bruit.
Vendredi 23 mai 1975. L’hôpital a appelé maman. Je suis rentrée précipitamment à la maison et j’ai guetté son retour par la fenêtre. Quand je l’ai vue descendre seule du taxi, ta valise à la main, j’ai compris. Compris que je ne te reverrais plus jamais. A vingt-quatre ans, je devenais orpheline de père.
Pourtant, la veille, quand je t’avais rendu visite, tu semblais en pleine forme. Je t’avais raconté ma journée, tu m’avais raconté la tienne. Rien ne laissait présager que c’était la dernière fois.
Qu’aurais-je fait si je l’avais su ? T’aurais-je dit l’admiration que j’éprouvais pour toi ? T’aurais-je remercié d’être un bon grand-père pour mon p’tit bout de deux ans ? T’aurais-je suggéré de me raconter tes souvenirs ? T’aurais-je demandé de me parler de cette guerre dont tu portais encore des cicatrices visibles ? T’aurais-je dit « Papa, je t’aime » ?
Toi et moi, nous ne parlions pas beaucoup, nous ne savions pas trouver les mots, mais nous nous comprenions. Ce que je ne parvenais pas à déchiffrer dans le regard de maman, je le percevais dans le tien. Dans ton regard, je lisais l’amour paternel que tu me portais. Dans ton regard, je n’ai jamais douté de ta confiance en moi, de ta fierté d’être mon père puis le grand-père de ma magnifique fille qui, par sa jolie p’tite bouille, ses amusantes mimiques, faisait naître des sourires sur tes lèvres. Dans ton regard, je me sentais exister.
Je te revois dans la cuisine, fredonnant les chansons de Tino Rossi. Dans ton jardin, cultivant amoureusement légumes et fleurs. Je te revois me préparer mon petit déjeuner. Je te revois répondre présent à ceux qui te demandaient un service.
Tu m’as transmis de belles valeurs, communiqué cette force dans laquelle je puise quand la vie me malmène.
Quand tu es parti, beaucoup trop tôt, je me suis révoltée contre cette injustice qui t’arrachait aux tiens à cinquante-huit ans. Mais je garde en moi, Papa, tel un cadeau inestimable, cet amour paternel que tu m’as donné.
Je n’aurais pas souhaité un autre père. Tu as été pour moi le meilleur. Je t’aime Papa.
©Jocelyne B.
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