Chapitre 6 : Grandeur et décadence

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  Pour avoir aimé cet homme plus que son roi, Catherine Howard avait été jugée coupable de trahison. Son discours autant que son attitude avaient troublé et touché le peuple qui voyait en elle une victime plutôt qu'une criminelle. Quel odieux crime avait-elle commis outre celui d'avoir donné son cœur à Thomas Culpeper ? La réputation du roi déjà bien sombre, s'envenima. Le corps de Catherine et d'Anne Boleyn réuni dans la même chapelle, Henri avait délibérément choisi ce lieu de sépulcre et de ne pas assister à la cérémonie. Après Jane Seymour où il avait pu goûter à un peu de bonheur, le voici plongé dans la désillusion. Il essayait de rejeter la faute sur cette gamine écervelée, en vain. Il savait, tout au fond de lui, que c'était lui le seul et véritable monstre. Un cauchemar pour celles et ceux qu'il avait côtoyés et envoyés dans la mort. Aujourd'hui encore, les survivants le craignaient. S'était-il trompé à ce point ? Pourquoi le destin n'avait-il pas maintenu son frère sur le trône ?

  Cette remise en question, ce sursaut de lucidité et d'introspection le poussa vers Catherine Parr. Celle à qui il offrit sa dernière rose pour tout présent de mariage. Un don que cette dernière épouse ne vit pas, mais qui parut libérer Henri. Depuis ce jour, la sorcière n'était pas réapparue. Pas même lorsqu'il se risqua dans une nouvelle guerre infructueuse contre la France. Ou bien que la maladie pesait de plus en plus sur son corps et son esprit. Ultime décadence alors qu'il sentait l'ombre de la mort chaque jour un peu plus se pencher vers lui.

  Allongé sur son lit, Henri ouvrit les yeux. L'espace d'un instant, il crut voir le visage d'Anne Boleyn. Sa voix tremblait de douleur quand il invita sa fille à venir le rejoindre.

 — Mon Élisabeth…

  C'était comme s'il la découvrait pour la première fois. Baignée dans ce halo d'or qu'il avait ignoré jusqu'alors, la jeune princesse avait toute la grandeur et la majesté qu'il avait eues dans sa prime jeunesse.

 — Oh… comme vous ressemblez à votre mère.

  Elle marqua une pause. Un rayon lumineux s'accrocha à sa chevelure de feu.

 — Je vous ressemble beaucoup aussi, père.

  Doucement, le visage du roi se para d'inquiétude. Il secoua la main.

 — Non, non, il ne le faut pas.

  Après un temps où elle pensa qu'il s'était endormi, le roi souffla, avec un sourire :

 — Je me suis trompé. Je n'ai pas été un bon roi. Je n'ai fait que courir après un rêve de grandeur alors que je ne suis qu'un homme dont la décadence a meurtri six belles roses… Approchez, baissez la tête.

  Dans les beaux yeux d’Élisabeth flottaient l'incompréhension et la tristesse. Une certaine intelligence, un fragment de son futur aussi. Elle alla s'agenouiller près de son père, remercia d'un regard la femme qui était à l'origine de leur réconciliation. Catherine Parr s'effaça aux côtés de Thomas Seymour, frère de Jane Seymour. Henri vit le geste à la fois tendre et douloureux de son conseiller envers sa dernière épouse. Un bonheur qui ne demandait qu'à fleurir, bien qu'il suspectât, à raison, cet homme de ne vouloir que le pouvoir. Il n'interviendrait pas, il avait bien assez à composer avec ses propres leçons.

 — Grandeur et décadence. Ce sont ces deux mots qui résument notre règne. Vous aussi, ils traverseront votre vie. Car, même si nous sommes élevés au sommet, nous restons des hommes et des femmes. Sans doute ai-je été l'un des pires en voulant briller et écarter notre malédiction.

  La jeune Élisabeth savait de quoi il en retournait. Personne n'ignorait cette peur chez le roi d'Angleterre. Cette légende qui avait dicté ses décisions et la noirceur qui en avait résulté.

 — J'ai été trop préoccupé par elle, lui confia Henri en s'appuyant contre ses coussins. Que j'ai occulté les présents de la sorcière, les vies confiées... En voici un, je vous l'offre, car je sais qu'elle vous reviendra. Me voici à l'hiver de ma vie, il est temps pour vous d'entamer un nouveau cycle.

  On lui apporta sa couronne. Peu à peu, le chant de la pierre de Fal résonna à ses oreilles. Avec douceur, il en ceint la tête de sa fille. Ses yeux se refermèrent et il s'endormit avec cette musique, pour ne jamais plus se réveiller.

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