Chapitre 3 : amusant paradoxe.

3 minutes de lecture

 Sous la pression de la pesanteur, son corps se disloqua. Elle sentit ses os se briser un à un, sa peau s’arracher de sa chair tandis qu’elle partait en lambeau. Ses muscles se contractaient si fort qu’elle ne pouvait plus bouger, et son cœur manquait d’exploser à chaque battement. Elle était si proche du vide qu’elle crut un instant s’y perdre à jamais, mais l’air la rattrapa. Soudain, son sang se mit à courir dans ses veines, ses membres devenaient plus articulés, plus solides que ceux d’un simple mammifère. Elle se voyait remonter, reprendre peu à peu une emprise sur le ciel. Sa perception du monde semblait avoir changé. Elle voyait tout, absolument tout, sur une dizaine de kilomètres. Ses bras s’étaient couverts de plumes, et sa taille avait sensiblement diminuée. Etrangement, elle se sentait bien. Sous cette forme son nom prenait du sens, quand elle était faucon elle se sentait Falcon.

 Dans le corps d’un Milan, Théoxane vint la rejoindre. Ils se posèrent tous-deux quelques mètres plus bas, à l’ombre nocturne d’un cyprès. Le jeune homme attrapa un sac qui pendait à la plus basse des branches et en tira deux jeans bleutés, un t-shirt noir et un sweat gris couvert d’écritures argentées. Rubie laissa peu à peu ses traits redevenir humains. La douleur n’était pas différente, mais cette fois la liberté ne la soulageait plus.

- T’es sérieuse ! s’exclama Théoxane tandis qu’il se rhabillait. Tu t’es pas transformée pendant des mois et maintenant tu te jettes carrément dans le vide !

- J’avais besoin de me vider la tête, et je ne t’ai jamais demandé de me suivre. Ton jean est trop grand, passe-moi plutôt le t-shirt ça devrait faire l’affaire.

 Il attrapa le morceau de tissu qui trainait sur le sol boueux et lui lança à la figure. Il aurait aimé lui faire croire qu’il lui en voulait, mais il en était totalement incapable. Rubie avait pleinement conscience qu’elle venait de risquer sa vie, elle en sentait les effets dans chacune de ses articulations. Les coups de folie faisaient partie de son patrimoine génétique, le goût pour les risques insensés coulait dans ses veines. Comme tous les Falcon, elle ne prenait pas la peine de penser à qui la regretterait si elle devait partir ce soir. Cependant, si elle était morte cette nuit-là, cette intrépidité familiale aurait disparue à jamais. Amusant comme paradoxe.

 Le t-shirt de Théoxane couvrait la moitié de ses cuisses, ses cheveux sombres retombaient de part et d’autre de son visage, décorant des joues rosies par le froid.

- T’aurais pas une veste par hasard ?

- J’en avais une, mais elle est restée sur le balcon.

Son ton accusateur ne lui plaisait pas, bien qu’elle savait l’avoir mérité.

- Tu m’en veux ?

 Il aurait tant souhaité pouvoir.

- Ne me pose pas de question à laquelle tu connais déjà la réponse Rubie. Je sais que ce n’est pas facile pour toi, mais peu importe ce qu’il va se passer dans cette arène, j’ai pas envie que tu partes en vrille.

- Je ne vais pas partir en vrille, répondit-elle nonchalamment.

- Bien sûr que non, je te connais, tu feras bien pire que ça.

 Il avait raison. Tellement raison.

 Les tambours se remirent à sonner. Le jour éclairait déjà les abîmes de la nuit. Si tôt, trop tôt. Le soleil ne brillait pas encore, mais Rubie le sentait sur elle. Sa respiration se fit saccadée, ses poumons se crispaient et sa vision crépitait. Elle empoigna la main de Théoxane, la serrant si fort que ses doigts glacés vinrent marquer sa peau, et son étreinte était la seule chose qui la maintenait encore rattachée au monde.

- Je suis désolée, lâcha-t-elle enfin, même si je sais que mes excuses n’ont aucune valeur puisque je ne peux pas te promettre que je ne recommencerai pas.

- Alors pourquoi tu me les présentes ?

- Pour te dire que je respecte ta peur.

 Il ne répondit pas. Elle n’attendait pas de réponse.

 Ils marchèrent jusqu’au seuil de l’arène dont les grandes portes battantes, décorées de volatiles en tout genre, se dessinèrent sous leurs yeux. Ils entrèrent sans prendre de ticket. Quand la boue de la forêt laissa place au sable du combat, le cœur de Rubie s’arrêta.

 Les deux adolescents se dirigèrent vers les gradins. Là, des couples s’embrassaient, insolents, et des enfants dévoraient des pots entiers de popcorn. Une poignée d’hommes venaient d’entamer une chanson, d’autres s’étaient peint le torse aux couleurs de leur combattant favori. Rubie haïssait ces traditions ridicules qui font de la mort une fête, néanmoins, elle avait parfaitement remarqué que le rouge des Falcon ne brillait nulle part. Nulle part… hormis dans ses yeux.

 Les cris fusaient. Bruyants. Assourdissants. Détestables. Ils étaient les instruments terribles qui accompagnaient le trépas, les derniers hurlements avant l’ultime silence. Puis le Président fit son entrée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire oc_jds ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0