Chapitre 7 : les roses ont des épines
Perdue entre mélancolie et détermination, Rubie monta une à une les marches du grand escalier jusqu’à atteindre le toit de la septième tour. La pluie commençait à tomber en fine gouttelettes sur ses cheveux bruns, comme si le temps se faisait écho de son humeur. A cette allure, le tonnerre retentirait bientôt.
Dans son esprit, mille questions se bousculaient à en cogner ses tempes et à en faire trembler ses mains. Comment pouvait-elle partager son sang avec un homme aussi condescendant qu’Andréas ? Se croyait-il au-dessus de tout pour pouvoir se jouer de la vie, et d’elle par la même occasion ? Au fond d’elle-même elle connaissait la réponse, et celle-ci n’était pas pour lui plaire.
A mesure qu’elle marchait, la pénombre laissait place à un jour grisonnant. Les formes se dessinaient davantage, tant et si bien que l’on pouvait apercevoir les fourmis courant sur le béton mouillé. Le monde reprenait des couleurs, les silhouettes devenaient des êtres, et un homme se détachait de l’embrasure du pallier. Ses contours se fondaient encore à la brume qui l’entourait, pourtant la jeune fille crut reconnaitre l’aura qui se dégageait de lui.
C’était impossible. Il ne pouvait pas… pourquoi était-il revenu ?
- Rix ? lâcha-t-elle dans le vent.
Et la brise lui répondit.
- Aurais-je le plaisir d’égayer ma journée morose avec le sourire de la charmante Rubie Falcon ?
Sa voix rauque n’avait pas changé, tout comme son allure qui se clarifiait à mesure qu’il avançait vers elle. Rix était un vieil homme qui insultait la vieillesse, une antithèse entre le luxe et la débauche. Il portait le costume trois pièces avec élégance, une pipe à la bouche et les chaussures parfaitement cirées. Pourtant il sentait l’opium, et son haleine avait l’odeur du rhum. S’il s’efforçait de paraitre respectable, son naturel apparaissait en cicatrices sur sa peau blafarde. Il avait les cheveux fins, toujours collés à son visage, le nez crochu et les ongles taillés en griffes. L’un de ses yeux n’avait plus de regard, vitreux et cadavérique. Rix était une négation de la vie, et il l’aimait pour le plaisir de la détruire.
Rubie l’avait connu dans la chaleur d’un bar, tamisée par l’obscurité du spleen. Il lui avait appris à être libre, trop libre peut-être, et pour cela elle avait longtemps dépendu de lui.
- Qu’est-ce que tu fais ici, demanda-t-elle simplement.
- Ce serait plutôt à moi de te poser la question, ou peut-être ai-je déjà la réponse. J’ai appris que Joan Dakhal n’était plus, je voulais assister au spectacle de l’arène mais les Vautours n’étaient pas vraiment les biens venus, ironisa-t-il. Je suis donc venu ici me renseigner, et tu imagines aisément ma stupeur lorsque j’ai appris que c’était ton frère qui était sorti victorieux !
- Il a plus de ressources que tu l’imagines. Tu ne m’en voudras pas de ne pas lui transmettre tes félicitations.
- Pas le moins du monde, d’autant que je suis presque certain que ce n’est pas à lui qu’elles devraient être transmises.
D’ordinaire, Rubie aimait jouer d’arrogance dans de longues phrases élaborées avec instinct. Or ce jeu n’avait d’intérêt que lorsqu’elle était sûr de le remporter, et Rix était un adversaire redoutable. Il était temps de quitter la partie.
- Ne pars pas déjà, lâcha-t-il dans un rire nerveux tandis que les pieds de la jeune fille filaient dans le lointain, on vient à peine de se retrouver.
Il se rapprocha d’elle, glissant ses doigts dans ses cheveux, et Rubie n’aimait pas cela. Son cœur battait à tout rompre, elle devait absolument se contrôler.
- Regarde-toi, tu ressembles à une jolie petite rose en train de se faner. Les hauteurs ne te conviennent décidément pas, tu as besoin de changer d’air, de revenir à ta source.
- Je n’ai besoin de rien venant de toi, maintenant laisse-moi passer.
- Voyons Rubie…
- Les roses ont des épines Rix, dit-elle en se dégageant, tu ne devrais pas l’oublier.
Le vieil homme sourit, il aimait le défi qu’elle représentait. Il se délectait de son danger.
- Attends, tu ne partirais pas sans me dire au revoir ?
Elle ne répondit pas.
- Je te propose une dernière fête, en souvenir du passé. Le Démonium, dans une heure, et ne sois pas en retard.
Puis il s’avança, déposa un baiser monstrueux sur sa joue et disparu de nouveau.
Troublée, Rubie ne savait plus quoi faire. Tout se mélangeait en elle, encore, inlassablement. Elle voulait se rendre sur le toit, là où Théoxane l’attendrait surement, et retrouver la joie naïve qu’elle y avait laissé. Mais le Démonium l’appelait en chantant.
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