chapitre 31 : en mémoire de Léandro
Marco lui prit la main, et entraîna au bord d’un immense précipice.
- Je n’ai aucune idée de ce que ça signifie, déclara-t-il, ni de comment on est censé s’y aventurer. Personne ne peut plonger si profond sans y laisser sa peau.
Elle, elle pouvait le faire. Il lui suffisait de fermer les yeux, et de laisser son corps sombrer dans le vide. Sa belle peau dorée se couvrirait alors de plumes, la sauvant d’une mort évidente. Mais lorsqu’elle était faucon, ses yeux devenaient inévitablement rouges ; et devant Marco, ils ne pouvaient pas.
- Avem, déclara-t-elle, la ville des Hommes-oiseaux. Si tu parviens à trouver une fille qui vient de là-bas, peut-être sera-t-elle capable de nous révéler ce qui se cache au fond de ce gouffre.
Le jeune homme se figea un instant, il semblait réfléchir.
- Elya, tu… tu es incroyable, vraiment incroyable ! Nala doit connaitre les origines d’à peu près tout le monde ici, je vais lui demander si elle ne saurait pas quelle fille est née à Avem.
Il s’apprêta à faire demi-tour, mais quelque chose l’en empêcha. Des secondes filèrent avant qu’il ne se retourne, et n’adresse à Rubie un message à demi avoué.
- Ne m’en veux pas pour toujours, susurra-t-il, j’ai besoin de toi.
Puis il disparut.
Assise en tailleur, Rubie ne savait quoi penser. En voulant la protéger, il l’avait rendu responsable d’un meurtre qu’elle ne se pardonnerait jamais. Si ses intentions étaient bonnes, ses méthodes la terrorisaient. N’avait-il aucun scrupule ? Jusqu’où était-il prêt à aller pour parvenir à ses fins ?
Tandis qu’elle se torturait l’esprit, un message apparut au cœur du creux que formait ses jambes. Il était écrit sur un papier parcheminé, bordés de liserés dorés, à l’image d’un billet officiel.
« Mademoiselle Falcon, vous avez été choisie par l’entremetteuse pour vous entretenir en privé avec Morgan Garcia, veuillez-vous rendre au Boudoir ».
Le Boudoir ? Pour Rubie, cette appellation représentait d’avantage un petit gâteau recouvert de sucre glace qu’un endroit où il était possible de se rendre. A peine eut-elle soumis cette idée à sa réflexion que le mur qui se situait derrière-elle se déroba. Un passage secret. C’était naturel.
Des torches s’allumèrent à mesure qu’elle progressa dans le couloir exigu. Son cœur palpitait, d’angoisse autant que d’excitation. Cette entrevue lui apporterait peut-être un indice sur l’identité du meurtrier, et alors ce jeu stupide pourrait se terminer sans causer davantage de dégâts. Au bout du long tunnel, Morgan l’attendait. Le miel de ses cheveux se mélangeait à celui de sa peau, et il avait dans les yeux ce charme enfantin que Rubie ne connaissait qu’à… Théoxane. D’un point de vue physique, il était presque lui, et cela la troublait.
- Mademoiselle Falcon, ravi de vous rencontrer, dit-il en lui baisant la main.
- Plaisir partagé, mais vous n’avez nul besoin d’avoir avec moi ces manières de prince distingué. Nous sommes ici pour avoir une conversation, et je n’ai pas envie de m’embarrasser de politesses.
- Très bien, comme tu voudras.
« Tu », seul Marco et Nala s’adressait à elle à la deuxième personne. Elle avait demandé à Morgan d’être intime, et il l’était devenu.
- Tu as des soupçons à me partager, lui demanda-t-il sans prendre de détours.
- Et toi ?
Elle ne se confierait pas la première, elle n’était pas assez naïve pour cela. Sans grande surprise, lui non plus, et il sourit à sa remarque.
- Très bien, puisqu’il faut bien que l’un de nous deux commence. Je sais que ce n’est pas toi.
- Moi aussi, je sais que ce n’est pas moi, répliqua-t-elle.
Bien que cette révélation fût globalement positive, elle ne put cependant s’empêcher de se poser des questions.
- Comment le sais-tu ?
- Parce que je vois bien à quel point tu es bouleversée à chaque fois que l’on annonce un départ, surtout pour celui de Léandro et de Connor.
S’il savait ce qui l’avait mise dans cet état, il cesserait immédiatement ses confidences.
- Léandro et toi sembliez proches, je suis désolé de ce qui lui est arrivé, ajouta Rubie en étouffant un sanglot.
Léandro était une personne, elle ne voulait pas l’oublier. Pas comme Marco avait pu l’oublier.
Son regard s’assombrit, et Morgan se ferma.
- Il ne s’en sortira pas, avoua-t-il, la voix tremblante mais toujours assurée. Son père n’est pas très populaire auprès de l’opinion publique, le peuple se saisira de la moindre occasion pour éliminer un Korhonen. Nous étions amis depuis l’enfance, mais nous savions tous les deux que ce genre de chose pouvait arriver. C’est lui qui m’a informé que tu n’étais pas la meurtrière. Il te voyait résoudre toutes les énigmes, il voulait te protéger. Pour être sincère avec toi, je crois que tu lui avais tapé dans l’œil.
Rubie se sentit vaciller. Cette fois, c'en était trop. Elle avait condamné un garçon qui ne cherchait que son bien, comment pourrait-elle vivre avec cela ?
- Puisque l’on parle d’ami, poursuivit Morgan, toi et Marco êtes devenus inséparables.
- Il est gentil, et ce n’est pas lui non plus, c’est tout ce que je sais.
- Tu devrais tout de même te méfier. Il n’a pas de parents, et personne ne connait les autres membres de sa famille. C’est un garçon mystérieux, manipulateur et vicieux. Il s’est rapproché de toi tellement vite, je doute que ce soit sincère.
Puis une horloge retentit, informant les deux jeunes gens qu’il était désormais temps de se séparer.
Tremblante, Rubie parvenait à peine à poser un pied devant l’autre. En l’espace de quelques minutes, toutes ses certitudes avaient été balayées.
- Tu peux me considérer comme un ami, Elya Falcon, susurra Morgan avec cet accent chantant qu’elle ne connaissait que trop bien. Je te promets de veiller sur toi, en mémoire de Léandro.
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