chapitre 46 : alchimie
Le reste du repas, et de la journée, se déroulèrent dans la douceur. Avant de regagner leur dortoir, Rubie et Nala parcoururent les Jardins du palais. Il n’y avait que des roses, des roses blanches et des arbres immaculés. C’était clair, harmonieux et paisible. Une plénitude accompagnée d’un silence céleste. Elles y restèrent presque une heure sans rien dire, se comprenant au ton de leurs silences.
Elles demeurèrent ainsi jusqu’à ce que des gardes ne les déloges de leur bonheur éphémère, et regagnèrent leurs chambres sans plus de protestation. En ouvrant la porte, Rubie découvrit une pièce vide. Salomé n’était pas encore rentrée. Elle s’assit sur son lit, regarda le soleil à travers la vitre. N’y avait-il qu’un seul soleil dans le monde ? Une question légitime quand on sait que « monde » est à prendre au pluriel. Si c’était le cas, alors il lui restait encore une chose qui ne lui était pas étrangère. Mais Rubie compris rapidement qu’à Avem, aucune lumière ne pouvait-être aussi pur. La pureté… une qualité rare en sa région. Là-bas, se souvient-elle, elle en avait commis des pêchers tortueux, mais elle se demandait encore lequel d’entre eux avait bien pu l’amener ici, dans cet enfer drapé de paradis. Existait-il seulement une faute assez grave pour une telle condamnation ?
En sortant de la salle de bain, elle aperçue Salomé, les pieds croisés sur son lit, l’air d’attendre. Elle n’était pas là quand elle était rentrée ? Si ?
- Alors, ta journée ? lui demanda-t-elle.
Mais Salomé ne répondit pas. Elle évitait Rubie au maximum, essayant d’oublier l’alchimie toute particulière qui les liaient. Quand elle croisait son regard, elle sentait son cœur se déchirer et, tous les soirs, elle pleurait en la regardant dormir. Jamais encore elle n’avait connu ce sentiment, ce manque intense qui lui creusait la poitrine. Cette envie d’être avec elle était presque aussi forte que la colère qui l’animait. Elle était perdue, perdue entre le désir de la prendre dans ses bras et celui de la gifler. Elle détestait cet amour, l’amour irrationnel d’une protectrice.
Au réveil, Rubie découvrit une fois de plus l’amplitude de l’absence. Pas de Salomé. Jamais trop longtemps. Jamais plus que strictement nécessaire.
La jeune fille se prépara à la hâte et partie rejoindre Nala dans le jardin où elles avaient marché la veille. Quand elle l’aperçue, les deux amies se saluèrent à grandes embrassades, les mèches brunes de Rubie se fondant à la crinière rousse de Nala.
Durant plusieurs minutes elles avancèrent à travers les magnificences, dont Rubie se délectait comme du dernier plaisir qu’il lui restait sur Terre. Puis un cheval vint leur barrer la route.
L’animal se cabra de toute sa hauteur. Nala hurla de frayeur. Un qualificatif important à préciser en un endroit où les demoiselles hurlent constamment, et sans raison. Les cris aigus l’excitèrent encore plus et il se mit à chahuter partout autour des deux jeunes filles, battant des pâtes dans le vent et hennissant à s’en rompre les cordes vocales. Rubie passa à travers les cous et posa sa main sur son museau. Le cheval se calma soudain, inspirant et expirant de grandes bouffées d’airs qui lui fouettait le visage. Elle le caressa doucement, emplissant son regard du sien jusqu’à gagner sa confiance. Nala l’observait, ébahie par une telle dextérité. Puis le propriétaire, un jeune homme aux bouclettes rousses, surgit à travers les arbres et les herbes.
- Je suis affreusement désolé, haleta-t-il, j’ai… j’ai totalement perdu le contrôle.
Rubie lui sourit et remit dans ses mains les rennes de son animal.
- Il n’est jamais bon d’essayer de dresser des animaux sauvages, dit-elle d’une voix étrangement douce, leur naturel reviendra toujours au gallot. Une bête sauvage ne vous appartiendra jamais, elle ne s’appartient qu’à elle-même.
Puis, jetant au beau jeune homme un dernier regard en coin, elle disparue au bras de son amie.
- Tu m’avais caché que tu communiquais avec les chevaux, s’exclama Nala de son ton guilleret. Je croyais que tu étais une fille de l’air. Une… faucon.
- J’ai toujours aimé les animaux, répondit Rubie. Tous les animaux. Il y a quelque-chose chez eux qui me fait me sentir moi-même.
- Et ce « quelque-chose », tu ne le trouves que chez les animaux ou aussi chez les charmants garçons ?
- Je ne vois pas ce que tu veux dire.
- Ne fais pas l’innocente. Tu sais bien que tu lui plais et il te plait aussi.
La jeune fille sourit à cette pensée, même si sortir avec un homme était bien la dernière chose qu’elle souhaitait. Et si aimer un valet ne lui était pas autorisé. La simple allusion à cette possibilité, à la pensée passagère qu’elle puisse aimer un jour, fit rapidement refleurir en elle l’image de Marco. Pourquoi lui ? Pourquoi toujours lui ? Son sourire s’effaça.
- Les garçons sont bien la dernier sujet dont je me préoccupe Nala. Parlons d’autre chose si tu veux bien.
Le visage de Nala se ferma. Elle sentait bien qu’elle l’avait blessée, et ce contre sa volonté. Elle se mit à fouiller dans son esprit pour vite trouver un autre sujet de conversation, mais rien ne lui vint.
- Comme tu voudras. Nous pouvons parler de… de… de nos protectrices ?
Elle n’avait su trouver mieux, et Rubie s’en désola. Marco et maintenant Salomé. L’un était surement mort, l’autre la méprisait. Joli entourage.
- Tu en es proche, toi ?
- De ma protectrice ? Pas vraiment. Et toi ?
- Un peu. Elle est gentille, attentionnée et serviable. Je crois qu’elle veut que l’on s’entende bien. Mais il y a quelque-chose en elle qui ne fonctionne pas, avec moi je veux dire. Elle est trop… sage… trop… Je ne sais pas. Elle n’est pas comme moi.
- Il n’y a pas d’alchimie.
- C’est ça. Elle n’est pas méchante, mais je ne parviens pas à l’apprécier.
Elle avait de la chance. Rubie, elle, pensait toujours à Salomé. Un lien étrange les reliait, un lien qui semblait leur être dédié.
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