chapitre 53 : sept de trèfle à l'ordre des passeurs de cartes.
Rubie sortit prévenir Nala. Lorsque l’heure du couvre-feu sonna, les deux jeunes filles revinrent retrouver Salomé. Elle les attendait, assise sur son lit, avec devant-elle deux tenues étrangement sombres.
- Je croyais qu’on ne portait que du blanc à la Capitale, déclara Nala.
- Le blanc est la couleur du Conseil, aucun passeur ne vous fera sortir d’ici s’il pense que vous êtes ses partisantes.
Ces vêtements rappelèrent à Rubie ceux qu’elle utilisait à Avem, parfaits pour se fondre dans la nuit persistante du paysage. Or ici, dans une ville où tout était clair et immaculé, le noir n’était guère le meilleur moyen de se faire oublier.
- Tu es sûr que…
- Ecoutez, vous aurez tout le loisir de trouver de quoi vous changer en dehors de ces murs, mais pour l’instant vous mettez ce que je vous dis de mettre. Compris ?
Les deux porteuses acquiescèrent et revêtirent leurs tenues en silence.
Le cœur de Rubie battait la chamade et ses mains tremblaient d’excitation, pourtant son esprit la torturait d’inquiétude. Même si elle détestait la prison dorée dans laquelle elle évoluait, cet endroit lui apportait une certaine sécurité qu’elle craignait de quitter.
- Surtout, renchéri Salomé, ne dites à personne qui vous êtes. Si quelqu’un apprend que des porteuses de sphères se baladent toutes seules, hors du palais de Cristal et sans protection, vous êtes mortes.
Elle disait cela avec tellement de calme que cette pensée, pourtant affreuse, n’avait presque rien d’effrayant.
Après s’être maquillée, juste assez pour ressembler à des adolescentes normales, les trois jeunes filles s’engagèrent dans les couloirs. Salomé les guidait à travers les rondes des gardes et les passages des serviteurs. Ce chemin, elle le connaissait par cœur.
- Au fait, Nala, demanda-t-elle, qu’est-ce que tu as fait de ta protectrice ?
- J’ai mis un somnifère dans sa bouteille d’eau, elle doit dormir à l’heure qu’il est. J’aurais tellement aimé qu’elle soit aussi cool que toi, Elya a de la chance.
Salomé sourit, hypocritement, et laissa Nala prendre de l’avance devant elle. Arrivée à côté de Rubie, elle la tira par le bras, rapprochant son oreille de ses lèvres.
- Elya ? Sérieusement ?
- Quoi ? Tu es la première personne à qui j’ai révélé mon véritable nom, parce que…
- Parce que tu me fais confiance, et je croyais que c’était aussi son cas ! Tu m’as dit qu’on pouvait se fier à cette fille ! En la laissant espionner pour toi, tu mets ta vie entre ses mains. J’espère que tu en est consciente !
- Bien sûr que oui. Si je ne lui ai rien dit, c’est pour éviter de lui créer des problèmes. Pour elle, que je m’appelle Elya ou Rubie, ça n’a aucune importance. Je sais ce que je fais Salomé, tu n’as pas besoin de me traiter comme une enfant.
Elle ne renchérit pas. Au fond, Rubie avait raison.
Les trois jeunes filles continuèrent à marcher. Au bout de quelques mètres, elles découvrir un homme, aussi caché qu’elles sous sa capuche noire. Sa peau claire, son crâne rasé et ses yeux rouges avaient quel chose de terrifiant, pourtant Salomé se dirigea vers lui sans la moindre hésitation et lui serra la main comme à un ami.
- Hey ma belle, comment tu vas ? Ça faisait longtemps ! Steeve m’a dit que t’étais passée hier, pendant cinq minutes j’ai cru t’avoir ratée !
Cette voix rauque de fumeur fit remonter en Rubie des souvenirs anciens. C’était Rix. Il n’avait pas le même visage, mais il avait son style, son odeur, ce halo sale qu’il dégageait. S’il était né à Avem, cet homme aurait été Vautour, cela ne faisait aucun doute.
La jeune fille se rapprocha de sa protectrice et tira sa manche pour attirer son attention.
- Salomé, c’est qui ce mec ?
Bien que ses paroles se voulurent discrète, Salomé lui répondit avec enthousiasme.
- Je te présente Marcus, sept de trèfle à l’ordre des passeurs de cartes.
- Les passeurs de cartes ?
Le trèfle faisait sans nul doute référence aux cartes à jouer. Pour un ordre aussi important que celui des passeurs, ce nom de reflétait guère la crédibilité.
- Ta porte de sortie pour la nuit ma jolie ! s’exclama Marcus d’un ton charmeur. Les lagons qui entourent le palais ne sont navigable que sur des barques faites en fer des mines de Talys, des barques que seuls les gnomes savent manœuvrer.
Elle ne prit pas la peine de relever l’appellation « gnome », l’existence révélée de créatures imaginaires ne l’étonnaient plus.
- Ce sont de bons nochers, je dois l’admettre, mais ils sont aussi totalement dévoués au Conseil. Ce n’est pas eux qui vous feront quitter cet endroit. C’est pourquoi nous, les passeurs, avons créés des portes secrètes partout dans ce château. Au-début, nous le faisions sur les ordres des sœurs Shenren, mais nous avons vite eut envie de nous amuser un peu ! Contre un petit service rendu, ces portes sont plutôt faciles à traverser. Maintenant… si tu ne me fais pas confiance… tu peux toujours rebrousser chemin.
- Elle ne le fera pas, s’empressa d’ajouter Salomé. Nous te faisons amplement confiance.
- Très bien. Dans ce cas mesdames, je vous prie de bien vouloir me donner vos mains.
Elle tandis la sienne sans appréhension. Muni d’une carte, le sept de trèfle assurément, Marcus trancha sa peau, laissant émerger quelques gouttes de sang. Salomé poussa alors une poignée accrochée à une simple planche de bois puis l’ouvrit. Quand elle s’engouffra dans le néant qu’elle dissimulait, on ne la revit plus.
- Bien. A qui le tour ?
Rubie s’engagea ensuite, Nala sur ses talons.
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