3. Acte final
Tableau unique
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- Elle va arrêter de pousser la face de chaise ?
- Kaïs, arrête…
- J’vais le défoncer, tronche de lune.
- Peut-être que ce n’est pas le moment ?
Aïsha n’entend pas la suite. La réplique se perd dans l’annonce du prochain arrêt. Pas sûr que ce soit intéressant. Elle resserre son sac contre sa poitrine et s’appuie contre la vitre. Debout dans un coin du bus, elle fait partie des seules personnes qui ont le luxe d’avoir un peu d’air quand les portes s’ouvrent. Heureusement qu’elle n’est pas ochlophobe. Sinon, pressée comme un citron contre la paroi arrière, elle se serait déjà précipitée à l’extérieur. Mais elle n’a pas le choix, c’est le dernier bus de la soirée et elle n’a pas d’autre solution.
Elle ne peut même pas se réfugier sur son portable car il a décidé de rejoindre le repos éternel des téléphones qui n’ont plus de batterie. Le trajet va être long. Très long.
Depuis ce jour où elle avait vu le garçon à la boucle d’oreille avec cette fille, la place à l’arrière du bus était restée vide.
Un mois.
Un mois d’absence.
Elle n’est pas sûre de ce qu’elle ressent par rapport à cette disparition. Quelque part, elle aimerait pouvoir détruire le quatrième mur. Elle a ressenti quelque chose la première fois qu’elle l’avait vu. Une étincelle, une énergie. Il faut qu’elle sache si cette première impression est fondée. Mais, une fois en face de lui, aurait-elle le courage d’enlever son masque ? Si elle l’avait enlevé le jour où elle l’avait vu avec cette fille, elle le reprenait à chaque fois qu’elle montait dans le bus le matin.
Au cas où il serait là.
Au cas où elle aurait mal compris.
Mais quelque chose a changé. Elle n’a pas envie de prendre le risque de courir après quelqu’un qui est déjà dans une relation. Ce risque, tu l’as pris à chaque fois que tu as endossé ce rôle. D’un coup de pied mental, elle relègue cette pensée au fond de son crâne. Elle a le droit à une petite dose de mauvaise foi.
À chaque fois que le bus s’arrête, Aïsha a l’impression que sa cage thoracique va exploser. Les gens continuent de s’agglutiner vers l’arrière sans jamais sortir. Elle a mis son sac sur sa poitrine comme un espèce de bouclier de fortune. Mais ça ne marche pas des masses. Elle recule un peu pour laisser un espace entre le dos de la personne devant elle et ses poumons douloureux.
Le bus reprend sa balade habituelle quand soudain un bruit assourdissant de taule retentit. Aïsha sursaute. Un coup de frein et la jeune fille est obligée de se décaler pour laisser les portes s’ouvrir derrière elle. Un retardataire ? Elle pousse un peu les gens, s’excuse et se tourne vers les vitres. Deux béquilles se posent sur la première marche du bus. Aïsha ne réfléchit pas et aide le garçon au bonnet bleu à monter dans le véhicule. Elle prend le bras droit du blessé, un autre passager le soutient du côté gauche. Elle le stabilise lorsque le bus se remet en marche.
Il garde la tête baissée vers le sol pendant qu’il resserre un des scratch de l’attelle qu’il porte au genou. Malheureusement pour lui, aucune place assise n’est accessible. Alors, quand le bus accélère, il tombe un peu en avant. Aïsha pose ses mains sur les épaules pour l’empêcher de tomber quand soudain, l’inconnu relève la tête.
Elle reconnaît le garçon à la boucle d’oreille.
Il lui sourit.
Le vide s’empare de l’esprit de la jeune fille. Elle n’a pas prévu de script, elle n’a pas le temps de reprendre son rôle. Le rouge pare ses joues pendant que la panique accélère les battements de son cœur.
Puis il ouvre la bouche :
- Hey.
Le quatrième mur se brise.
Les acteurs s'effacent.
Et Aïsha rencontre Mathieu.
Rideau
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