DERNIERE CONVERSATION AVEC MA MERE
A combien de temps remonte notre dernière conversation ? Des jours, des semaines, des mois, des années ? Avec le temps les souvenirs s’estompent mais les temps forts survivent…Cette conversation, c’est un long monologue, entre une femme malade, et sa fille venue lui rendre visite pour l’apaiser et juste lui dire, pour la première fois qu’elle l’aimait. Ce temps indéfinissable est celui d’un échange entre deux âmes qui se sont cherchées toute leur vie durant et qui n’ont jamais su se trouver. Un échange planté dans un décor froid et lugubre, celui d’un hôpital, d’une salle de réanimation. Perfusée de tous côtés, métamorphosée par les séquelles d’une opération de la dernière chance, intubée elle ne pouvait parler, juste m’entendre et réagir par des serrements de doigts, des paupières qui clignotent, des larmes qui coulent sur ses joues enflées. Main dans la main je lui avouais avec douceur combien toutes les années passées à se quitter, à se retrouver pour à nouveau s’éloigner l’une de l’autre, devaient laisser place à un avenir plus serein, se retrouver enfin pour ne plus se déchirer. Si nous ne nous étions jamais comprises, l’épreuve qu’elle traversait - et dont elle se remettra - devait nous rapprocher, effacer la douleur des mots échangés, des colères explosives, des larmes qui ont creusées dans nos visages les sillons de la tristesse. Tranquillement, avec des mots choisis, je l’assurai ne pas lui en tenir rigueur, ne pas lui reprocher de m’avoir enfermée dans un secret qui a torturé ma vie, de comprendre le tourment qui a dû être le sien pour avoir été une jeune fille-mère de 19 ans dans une famille bourgeoise, d’avoir eu à vivre sa grossesse éloignée de sa famille, de m’avoir donné le jour, seule, loin de sa propre mère, de ne pas avoir eu d’autre choix que de se séparer de sa progéniture pendant plusieurs années, d’être devenue l’objet d’un pacte par le mariage avec un fils de bonne famille qui m'adoptat quelques années plus tard. Je lui confiais mes tourments, mes douleurs d’enfant mal aimé, mes regrets de ne pas avoir su répondre à ses attentes, mes souffrances de me sentir rejetée par une famille que je dérangeais par ma bâtardise que j’ignorais alors, des combats que j’ai menés pour être acceptée, considérée, aimée avec mon origine et mes différences, de ma longue quête pour en connaître la véritable raison. Comme tout cela aurait été plus facile si j’avais connu mon histoire, si elle m’avait avoué que le père que je considérai comme biologique n’était qu’un père adoptif que je devais remercier pour m’avoir donné le gîte et le couvert et de qui je ne devais rien attendre de plus. En opposition à ce long déballage, je l'assurai de la réussite de ma vie, qu'elle pouvait être fière de qui j'étais, une femme accomplie, dans le mariage, comme mère, comme professionnelle, comme femme engagée dans la vie publique et associative, et qu'elle ne pouvait qu'être heureuse de m'avoir conçue, que rien dans ce que j'avais été petite fille, dis ou fait ne s'inspirait de la haine ou de la méchanceté ; je n'étais qu'une enfant qui ne comprenait rien à la vie qu'on lui faisait vivre, qu'il fallait laisser le passé au passé et préparer l'avenir qui se profilait.
Au fil des mots qui sortaient de ma bouche et des larmes qui inondaient mon visage, elle me sera la main, laissa s’écouler des larmes qui me firent comprendre qu’elle m’entendait, qu’elle comprenait, et peut-être essayait-elle de me dire qu’elle m’aimait...
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