Prologue.
Prologue :
La nuit n'était tombée que depuis une heure seulement et pourtant le ciel était aussi sombre qu'à minuit. La fumée dansait au gré du vent, s'illuminant au-dessus des bûchers, grossissant à mesure qu'elle avançait, sans jamais monter plus haut. La voute nocturne semblait s'être affaissée, formant un plafond noir et oppressant au dessus de la ville. J'aurais aimé qu'il n'y ai plus que le silence, que la pluie se mette à tomber pour alléger l'air, que plus personne n'ait peur. Pourtant tout autour de moi, il n'y avait que le chaos.
Paris avait sombré pour de bon, en quelques heures, le peuple était descendu dans la rue, fou de rage, de peur, de rancune. Impossible de leur en vouloir, j'en aurais sûrement fait de même à leur place.
Tapi dans l'ombre d'une ruelle, j'observais le macabre spectacle qui s'offrait à tous. Les hurlements de terreur et de douleur résonnaient sur les façades des maisons. La place était bondée, grouillante. Les pieds dans les flaques de boue, d'urine, de crottins, ils ne faisaient pas attention au sang qui ruisselait entre les pavés. La foule scandait, transcendée, transportant les malheureux jusqu'à leur funeste destin. Ils n'avaient rien de coupables. Le plus éloigné était un homme politique, menteur. Le second, une femme accusée de sorcellerie, car elle avait survécue à son mari infidèle et violent, trouvant le bonheur.
Les deux suivants, eux, en étaient.
Je ne pouvais rien faire, ils étaient trop nombreux. Même en groupe, nous ne pouvions rien faire. Je ne pouvais plus qu'assister à tout ça, impuissant. On avait ligoté mes semblables d'épaisses chaînes en fer, les menaçait de torches, de tisons écarlates, de pistolets. Leurs bourreaux tiraient de façon régulière pour les maintenir faibles, les blessant aux jambes, aux épaules. Couverts de sang, de brûlures, les yeux exorbités, ils ne comprenaient qu'à peine ce qui était en train de se passer. Les dents serrées, je ne détournait pas les yeux quand les bûchers furent allumés. Au bord de la nausée, leurs hurlements de douleur résonnaient dans ma tête. Je pouvais sentir leur terreur et surtout la chaleur cuisante du brasier infernal qui léchait leur peau. Mes mains tremblaient, mes pieds me portaient à peine. En deux ou trois minutes à peine, leur supplice avait prit fin. Mais la foule ne semblait jamais satisfaite, toujours aussi assoiffée de vengeance et de colère. Il leur fallait retourner vider les maisons, fouiller chaque cave, chaque grenier, inciter à la délation, défoncer les portes des mairies, des tribunaux, abattre de sang froid les (rares) opposants, vider les prisons, les asiles...
Quelqu'un me bouscula, et je sortis de ma sidération. Six cent ans, il avait fallu six cent ans pour que j'assiste à ça. Paris s'effondrait de l'intérieur, en proie aux pogroms, la révolution ne faisait plus que gronder dans les rues, elle l'avait submergée. Il y avait même des enfants dehors, brandissant des fourches, des épées de bois, tous animés par le sentiment d'avoir été manipulés, tous en proie à une terreur indicible qu'ils n'avaient jamais osé imaginer.
Paris avait découvert son invasion secrète : dans leurs maisons dormaient des monstres de livres fantastiques. Et ces monstres s'en prenaient à eux. Nous avions tué, nous avions attirés l'attention sur nous, mettant en péril le précaire équilibre que j'avais tenté de maintenir. La foule voulait nous éradiquer, comme des nuisibles. Je ne pouvais leur en vouloir, je comprenais. J'avais seulement espéré que tout ceci n'arrive que plus tard... ou jamais.
Un homme avait grimpé sur un lampadaire et se mit à scander, avant d'être reprit par la foule.
« Attrapez les vampires ! Brûlez-les tous ! Justice pour nos frères et sœurs morts ! »
C'était ma faute, ce fut ma faute à l'instant même où elle avait croisé ma route...
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