Chapitre 2:
Chapitre 2 :
A 10h tapante, Pierre Loiseau sonnait à la porte. Gabrielle était prête, nerveuse, mais prête. L'idée de passer un moment au privé avec Pierre dans la voiture était anxiogène.
Cela faisait 6 mois que Pierre et Gabrielle s'étaient fiancés, mais ils n'avaient même pas eu le temps de prévoir une réception pour annoncer la grande nouvelle à leurs familles et officialiser les choses, que Gabrielle avait fait la fameuse crise qui l'avait envoyée dans le sud de la France pour des soins. Après des jours de souffrance, elle n'avait pas pu se lever de son lit, il lui avait fallu plus d'une heure pour simplement se redresser et échouer à faire un pas. Le bas de son dos s'était bloqué, les articulations de ses jambes avaient gonflés et étaient devenues si douloureuses que le simple contact des draps sur sa peau lui était intolérable. Son oncle avait eut peur, réellement cette fois-ci ; pourtant, il en fallait pour l'impressionner il avait déjà vu tant d'affections, de maladies vénériennes, d'amputations, de mutilation de guerre... Mais voir sa nièce et fille adoptive dans cet état fut difficile. Il avait fait venir plusieurs de ses collègues (et parfois amis) médecins, d'autres pharmaciens pour prendre des avis sur la conduite à tenir. Son psoriasis était devenu ingérable et les rhumatismes de ses articulations si violents qu'on avait décidé de l'envoyer dans une clinique dans le sud, près de Marseille au moins pour l'hiver. Elle avait donc quitté Paris le 30 octobre et n'était revenue que la veille, le 3 Mai.
Durant tout ce temps, elle avait entretenu une correspondance avec Pierre, ce qui l'avait rassurée et lui avait apprit à le connaître un peu. Mais il n'était pas du genre à tenir un échange enflammé et soutenu, c'était un avocat et homme politique occupé et si les lettres arrivaient toutes les semaines au début, elles s'espacèrent jusqu'à arriver toutes les trois semaines, parfois un mois entier. Gabrielle savait bien que ce n'était pas un mariage d'amour, mais elle espérait malgré tout réussir à tisser un lien avec Pierre, quelque chose qui l'aiderait à ressentir de l'affection, de l'attachement au moins. Ce n'était un homme repoussant, au contraire, elle savait lui reconnaître des qualités. C'était un homme grand, au corps puissant ; cela lui faisait d'ailleurs aux hommes de la campagne. Sans costume, elle l'aurait prit pour un fermier, un homme qui travaille la terre. Ses mains l'auraient pourtant trahit, aussi lisses et douces que tout ceux qui travaillaient dans un bureau. Ce n'était pas une critique, loin de là, Gabrielle n'était pas mesquine à ce point, et surtout elle n 'était pas du genre à être exigeante... Pierre avaient les yeux bleus, très clairs et c'était surement ce qui faisait tout son charme. Ses cheveux blonds foncés étaient bien coiffés en arrière, avec quelques crans. Il ne portait pas la moustache, ni la barbe, mais fumait de gros cigares de temps à autres, ce qui avait jauni ses dents. Au final, pendant ces six mois d'absence, Gabrielle avait presque oublié certains détails à propos de son fiancé, mais leurs rapides retrouvailles lui rappela que Pierre n'était pas à son goût. De toute évidence, ils n'étaient pas compatibles, lui travaillait énormément et semblait n'avoir que peu d’intérêt pour la personne qu'elle pouvait être. Ce n'était pas méchant, mais plutôt un fait. Leur correspondance n'avait pas été passionnée, et au final, Gabrielle ne savait pas tellement qui pouvait être cet homme qui était son futur mari.
Dehors, elle fut surprise de voir devant chez elle la fameuse voiture à moteur de Pierre. Dans ses lettres, Pierre ne tarissait pas d’éloges sur son automobile, vantant tous les mérites des moteurs à explosions sur les chevaux, sa rapidité, son inextingibilité, sa fiabilité. Il n'avait cessé de lui raconter comment il était venu à l’achat de sa voiture, comment il avait fait aménager un endroit dans la cour pour l’installer. Le fait qu’il n’ai pas engagé de chauffeur également; son amour de la conduite avait si peu de limite qu’il avait également intégré le très prestigieux “Automobile club”.
Elle monta avec lui, espérant qu'il soit bon conducteur...Le trajet à peine entamé, Pierre lui expliqua qu’ils recevraient les officiers et commissaires de police, le préfet Lépine et le juge qui avait été saisi pour l'affaire chez son ami Monsieur de L'Estoile. Gabrielle se souvenait de ce nom, c'était l'homme chez qui Pierre vivait, son associé et ami.
Ecoutant Pierre d'une oreille, Gabrielle reportait un peu son attention sur le paysage qui défilait à toute allure. Paris le matin, éclairé par ses réverbères au gaz, croisant promeneurs, touristes, amoureux, poivrots… Après des mois dans le sud, elle redécouvrait avec délice les spécificités et différences d'une grande ville comme Paris. Elle ne se lassait de ce que la vie pouvait lui offrir à voir, dénicher les détails les plus anodins du quotidien. Cet amour pour tout lui rendait la vie si douce au quotidien, elle savait profiter de chaque minute de sa vie, sans chercher à vouloir à tout prix revivre le passé ou se jeter à corps perdu dans un avenir incertain. Alors ce moment si doux, elle en profitait, la chaleur, la lumière du soleil à peine levé…
Elle fut sortie de sa contemplation du paysage en voyant que Pierre roulait sur le pont Marie qui les conduisait de l’autre côté de la Seine, enfin pas tout à fait...
« Où habite monsieur de L’Estoile? demanda-t-elle.
Pierre tendit le bras vers un immeuble face à eux. De l’autre côté de l’eau, presque sur la pointe, sur l'Île Saint-Louis.
- Juste là.
- Oh, d'accord. il y possède un appartement?
- Un hôtel particulier, sourit Pierre.
- Ah, je comprends pourquoi vous pouvez loger chez lui.
- Je sais qu'à mon âge j'aurais déjà dû invertir dans l’immobilier pour mon compte, mais vivre ici a ses avantages. Armand est un homme discret et généreux avec ses amis, de plus la maison est immense et il arrive que nous passions une semaine sans même nous croiser. Armand n’a l’air de rien de ce qu’il n’est réellement. expliqua Pierre, toujours amusé. Ce n’est pas pour rien qu’il tire les ficelles. Nous ne sommes que des fourmis face à lui.»
Pierre s'avança vers une porte cochère ouverte, il gara la voiture dans la cour intérieure, sous un abri relativement neuf. Juste à côté, attendait une berline à chevaux, dételée, c'était bien celle qu'elle avait vue la veille. Gabrielle descendit dans la cour pavée et aperçut de l'autre côté les deux chevaux dans leur écurie, le palefrenier somnolant dans une petite remise, la porte entrouverte. Pierre la rejoint pour l'accompagner jusqu'à la porte d'entrée, sans frapper, il lui ouvrit.
A peine furent-ils rentré qu'une femme d'un certain âge s'avança, surement la gouvernante. Elle récupéra le chapeau et la veste de Pierre, puis débarrassa Gabrielle de son sac et son châle sans un mot. Gabrielle resta elle aussi sans voix. L'hôtel particulier avait l’air immense; luxueux, mais pas clinquant. Un trésor en plein cœur de Paris avec vue sur la Seine. Elle se sentait un peu perturbée car l'endroit lui inspirait à la fois confiance et apaisement, mais de l'autre côté... elle ne savait mettre de mot dessus.
Pierre l’invita à la suivre. Elle avança, toujours sans rien manifester, sinon observant les peintures, les tentures, les moulures et autres statues. Au loin, le son d’un piano se faisait entendre, parfait et clair. Pierre lui fit traverser une pièce, puis monter un escalier de marbre, et enfin rejoindre deux couloirs plus loin un salon immense. Au fond de la pièce, une cheminée crépitait. Juste à côté, Armand de l'Estoile, à son piano, jouait pour lui seul. Il releva la tête en voyant arriver ses hôtes. Gabrielle sentit une douleur venir lui tordre l’estomac quand les yeux d’Armand se posèrent sur elle, puis la fuir.
Armand avait l’air d’un jeune homme, la peau lisse et sans défaut, sans un poil de barbe, les yeux vert ourlés de cils noirs, assez long pour un homme, les cheveux de jai mi-long attachés en catogan par un ruban rouge. Il avait l'air à la fois jeune et âgé, sérieux et enfantin, masculin et féminin. Elle ne lui donnait pas plus de 25 ans, sûrement moins. Comment un homme si jeune s’était retrouvé dans un milieu pareil, avec tant d’argent, tant de renommée? Son nom de famille ne lui disait rien, on ne lui avait jamais parlé d’un homme dénommé de l’Estoile...
« Je me permets de vous présenter mon conseiller et ami, Monsieur Armand de L’Estoile.
Pierre s’était approché de lui, posant sa main sur son épaule. Ledit Armand ne s'arrêta pas de jouer, et ne leva même pas un œil pour aviser celle qu'on lui présentait.
- Enchantée, Monsieur, se força à dire Gabrielle, tentant un sourire.
Le jeune homme ne prit pas la peine de se lever, ou bien encore de lui répondre et continua son morceau. Gabrielle retint un soupir d'agacement, quel était le souci de cet homme? Le manque d'éducation ou bien le mépris pour les femmes?
- Ne lui en tenez pas rigueur, j’ai coupé mon ami au milieu de son morceau, mais je ne pouvais pas attendre de vous le présenter, intervient Pierre, lisant sur le visage de sa compagne son désappointement.
Armand, depuis son piano, finit par lever la tête. Gabrielle se crispa. L’associé de son futur fiancé était… A la fois dérangeant et fascinant, sans qu’elle ne puisse identifier pourquoi. Il n’avait rien en commun avec Pierre, si celui-ci était grand et trapu, Armand lui était plutôt fin et délicat. Depuis son piano, Gabrielle ne pouvait se faire une idée de sa taille.
- Je vous en prie, j’espère que Monsieur de L’Estoile ne traite pas tout le monde de cette façon.
- Loin de là, sans lui je ne pourrais rien faire. C’est mon homme de l’ombre, mon conseiller, mon bras droit. Cela fait déjà 5 ans qu’il est près de moi pour m’aider à gravir les échelons en politique. Ses conseils sont avisés et son esprit aussi affûté qu’une lame de rasoir! sourit Pierre.
Armand eut un petit sourire un peu crispé, puis, finissant son morceau prit enfin la peine de se lever. Lentement, il remit ses gants et s’approcha de Gabrielle pour pouvoir la saluer convenablement. Gabrielle hésita une petite seconde à proposer sa main à Armand, mais elle le laissa faire. Et alors que le menton du jeune homme effleurait le dos de sa main, elle aussi gantée, un intense frisson la prit toute entière. Lâchant une petite exclamation de surprise inappropriée, elle se mit à rougir avant de s’excuser.
- Il fait cet effet à toutes les dames, je ne devrais pas vous le présenter, rit un peu Pierre.
Gabrielle en était terriblement gênée et en tentant de capter le regard d’Armand pour lui faire part de son embarras, il prit la parole, comme si de rien était, repoussant une mèche de ses cheveux noir qu'il avait long.
- Quel est votre parfum ?
La jeune femme paniqua un peu, se demandant si l'odeur du goudron pouvait avoir fini par imprégner sa peau, ou bien une de ses crèmes ou huile puissamment infusée de chardon marie ou de mauve... Dans le doute, elle fit comme s'il parlait seulement de son parfum.
- Rien d’exceptionnel, je ne porte que quelques gouttes d’essence de rose.
- Cela ne vous va pas du tout. Vous devriez porter quelque chose d’autre.
Armand dit cela en ajustant la manche de sa chemise. Pas un regard, il lançait cela comme une provocation et ne cherchait même pas à voir l'effet que cela faisait. Ses joues commençaient à la brûler, d'ailleurs c'était même toute sa poitrine. Pierre semblait ne rien avoir à redire à cette remarque, ni en être choqué.
- Je ne vous permets pas, Monsieur. Mon parfum me convient très bien. Personne n’a jamais eu rien à redire dessus.
- Peut-être, mais ce n’est que mon avis. La rose est trop tape-à-l'œil, et vous ne l’êtes pas. Cette odeur ne se marie pas avec votre peau. Essayez plutôt le musc, cela passe partout, ou l’iris.
- Je croyais que vous étiez conseiller, pas parfumeur?
Armand eut un sourire avant de finir par regarder Gabrielle dans les yeux. Celle -ci le vit entrouvrir la bouche juste une seconde, avant de se mettre à parler, tout en la regardant de la tête aux pieds.
- En effet, le parfum des gens en dit très long sur eux, mais ce n'est que mon avis. Je ne suis en rien un professionnel dans ce domaine, cependant, cela me semble assez évident chez vous. Ne soyez pas offusquée, tant que cela plaît à notre ami Pierre, n’est-ce pas?
Le dit Pierre souriait toujours, semblant très amusé par cet échange.
- Tout à fait, Gabrielle est une jeune personne élégante et loin d’être une idiote, vous savez très bien que c’est tout ce que je demande.
Et dotée d'un héritage faramineux, se surprit-elle à penser.
- Et dans le fond c’est vous qui avez raison, mais je ne peux m’empêcher de dire tout haut ce que je pense, vous me connaissez.
Armand posa sa main sur l’épaule de son ami, détournant son regard de Gabrielle. Celle-ci se mit à respirer d’un seul coup comme si elle sortait d’une longue apnée. Elle bouillonnait de colère, ne pouvant pas en laisser paraître la moindre parcelle. Son sac prenait pour les autres, et elle enfonçait ses doigts dedans, à défaut de pouvoir les mettre dans le sarcastique visage de Monsieur de L'Estoile.
- Il n'y a encore personne ? Fini par demander Pierre.
- Dans un petit quart d'heure. »
Armand les emmena vers le canapé. A vrai dire, il y en avait plusieurs, deux grands divans en velours rouge face à face, et dispersés, ça et là, des fauteuils dépareillés, plus ou moins anciens. Tout autour de la cheminée et des sofas, il y avait des guéridons où trônaient des candélabres, une table basse immense et proche du sol ou attendait déjà un verre de vin rouge à moitié entamé. Seul le piano était le meuble détonnant de la pièce. Moderne, luisant, parfaitement entretenu.
Après qu'une domestique vint leur servir à boire, la pièce se rempli très vite : une secrétaire, deux officiers (ceux qui étaient présents la veille), le commissaire Daniel Taylor, le Préfet Lépine et le Juge Duclair. Ils rejoignirent alors une autre salle de réception, tout aussi fastueuse, et s'installèrent autour d'une grande table.
Gabrielle commença alors son récit, rentrant le plus possible dans les détails, répondant aux questions que chacun lui posait. On tenta de voir si elle mentait ou enjolivait la situation, un des officiers déformant la réalité ou ses propos pour voir si elle arrivait à rester constante dans ses réponses. La manœuvre lui sembla grossière, mais les hommes face à elle s'adressaient de petits regards ou expressions satisfaites. Le plus sympathique lui sembla Daniel Taylor, il avait un accent anglais légèrement prononcé qui le rendait charmant. C’était un homme d’une belle stature, sûrement autant que Pierre, mais il était bien plus séduisant: châtain aux yeux noisettes. Il était vraiment beau, pas aux goûts de Gabrielle, mais elle savait reconnaître un bel homme quand elle en voyait un.
Pendant tout le temps que dura son interrogatoire, Pierre s'était placé comme son avocat, se permettant de rajouter quelques détails, mais surtout, de prendre des notes. Installé à son côté, il écrivait, il annotait un rapport qu'on lui avait déjà fourni, puis un autre qui semblait très récent. Pierre avait donc dors et déjà prit en main l'affaire. Après un moment, elle comprit que Pierre allait représenter la famille du défunt.
A l'autre bout de la table, Armand discutait discrètement avec le Juge Duclair. Ce dernier ne lui avait qu’à peine porté attention, elle par contre avait eu le temps de le détailler. C’était un petit homme affable, au regard bleu perçant et la barbe fournie d’environ 60 ans… souriant, rieur. Une homme sympathique. Mais qui, visiblement, n’avait aucune considération pour les femmes.
Une fois son témoignage enregistré, les deux officiers et la secrétaire prirent congé. Armand, Pierre, Gabrielle, Monsieur Duclair, Taylor et Lépine s'installèrent de nouveau dans le salon de musique. C'est là que les choses allaient devenir intéressantes, se dit Gabrielle.
« Il faut que vous sachiez dans quoi vous mettez les pieds Loiseau, commença le préfet. Ce meurtre en pleine rue est ce que nous redoutions, cela a attiré la presse et les badauds, on va commencer à parler.
Pierre ne répondit rien, mais fronça les sourcils.
- Comment cela ?
- C'est une affaire de tueur en série.
Gabrielle se contint pour ne pas sourire. Ce n'était pas que la situation la rendait heureuse, évidemment qu'elle ne prenait pas de plaisir à ce que des gens meurent. Mais, il se passait quelque chose d'incroyable dans sa vie, et ça, c'était ce qu'il lui fallait pour se changer les esprits.
- A quel point ? Demanda Pierre.
Monsieur Duclair ouvrit sa sacoche pour en sortir un épais, très épais dossier.
- Nous sommes désormais à cinq meurtres. Et celui-ci est le premier que nous pouvons prendre aussi tôt, grâce à votre fiancée.
Une seconde, les regards se tournèrent vers elle.
- Jusque là, on ne faisait que retrouver des corps, des heures après leur mort. Mais là, il a du se passer quelque chose de différent dans la façon d'opérer du tueur, car il n'a pu finir son œuvre, se mit à expliquer Daniel. On retrouvait des corps totalement exsangues, sans aucune trace, ni indice, rien de rien. Nous avons fait interroger les habitants des immeubles voisins, leurs employeurs, la famille même éloignée. Toutes ces personnes n'avaient absolument rien en commun, ni l'endroit où elles vivaient, ni leur profession, ni leur sexe, âge, connaissances et contacts. Nous étions dans un bourbier sans nom.
- Jusqu'à hier soir, dit Pierre.
Une domestique rapporta une boîte de cigares et un plateau de carafes et verres en cristal, contenant des liquides bruns. Les messieurs se servirent tout en continuant à discuter.
- Les corps sont retrouvés sans trace de sang, sans blessure ou trace d'aiguille, ils sont juste vidés de leur sang.
- Alors comment pouvez-vous savoir que les deux affaires sont liées ? Demanda Gabrielle.
Le regard qu'elle reçut de la part du Juge lui fit serrer les dents, visiblement on s'attendait plutôt à ce qu'elle garde sagement le silence.
- L'homme d'hier soir n'a perdu que très très peu de sang avant de mourir. Et le médecin légiste nous affirme que le peu qui restait dans son corps ne correspondait pas à ce qu'il avait perdu sur place. Le sang n'a pas pu simplement disparaître, il nous a expliqué qu'avec ce qui lui restait dans les veines et ce qu'il estimait en quantité sur le sol, les vêtements et ceux de sa femme, il n'aurait pas survécu plus de quelques heures. Si les choses s'étaient déroulées comme d'habitude pour le tueur, l'épouse aurait retrouvé un cadavre froid et blafard au petit matin à côté d'elle.
- On a une idée de ce qui s'est passé pour que cela dérape ?
- Le tueur à fait du bruit et l'épouse de la victime a le sommeil très léger. Elle s'est réveillée et elle a pu s'enfuir pour chercher de l'aide, continua à expliquer Daniel.
- Je ne comprends pas, pourquoi le tueur ne l'a-t-il pas attrapé elle aussi ? Demanda Gabrielle, faisant fit du potentiel agacement des autres. Je n'ai pas le souvenir que cette femme soit particulièrement grande, forte ou capable de sortir une arme de sous son matelas pour défendre son mari.
- Son témoignage a été difficile à transcrire et remettre dans l'ordre, mais si nous avons bien tout compris, et si elle n'a rien omit : Quand elle s'est réveillée, elle a hurlé, le tueur a... mordu plus fort. En fait, il était au-dessus de son mari, et il … Daniel hésita sur les mots. Il l'avait mordu au cou, et buvait son sang.
Pierre et Gabrielle lâchèrent de concert une expression de surprise. Quelqu'un était sûrement en train de leur faire une farce, Daniel ne pouvait pas leur dire ça aussi sérieusement.
- De boire ? Du sang ? Interrogèrent-ils chacun.
Daniel prit un air fataliste, levant les mains.
- C'est ce que nous a dit la femme, certains points étaient flou, mais pas celui-là. Le tueur a mordu, lui arrachant une partie de la gorge et s'est enfui si rapidement qu'elle n'avait même pas eu le temps de se redresser. Elle a alors couru dans la rue pour chercher de l'aide. De son côté, l'homme s'était redressé et avait tenté de marcher, puis ramper dehors, mais n'a pas pu aller plus loin que la remise de la boutique, là où nous l'avons trouvés.
Pierre avait commencé à faire les cents pas, jouant nerveusement avec son cigare. L'odeur écoeurante commençait à emplir la pièce.
- Donc, si je comprends bien, nous avons sur le bras un tueur en série qui tue ses victimes en buvant leur sang. Et en ne laissant d'ordinaire aucune trace.
- C'est tout à fait cela, confirma le préfet. Un tueur qui ne laisse pas de preuves, ni d'indices, qui frappe au beau milieu de la nuit n'importe qui. Et de toute évidence, un malade mental. Boire du sang...
- Boire en plus, près de 5 litres de sang, ajouta Gabrielle. Je vous met au défi de boire en une fois 5 litres d'eau sans vomir, sans douleur et même sans mourir. Je ne suis pas médecin, mais, le corps ne peut rien faire d'une telle quantité. Je suppose que à l'inverse d'un manque de fluide dans le corps qui peut nous être fatal, un excès aura la même issue.
Monsieur Duclair se mit à rire jaune.
- D'où la sortez-vous, Pierre ? Votre fiancée parle trop et sans savoir.
- Il me semble que vous êtes diplômé de droit, monsieur le juge, non de médecine ? Intervint Armand, d'une voix posée.
Ledit juge sembla d'un coup bien moins enclin à rire.
- Parce qu'elle l'est, peut-être ?
La jeune femme détestait qu'on ne s'adresse pas à elle directement, elle était bien présente dans la pièce, mais c'est Armand qui continua à répondre, sa voix se faisait un peu plus forte.
- Je ne crois pas, mais pourtant, sa logique est tout à fait vraie. Un homme ne peut avaler 5 litres de liquide en une fois sans, au minimum, vomir.
Gabrielle se redressa, gonflée d’orgueil et de reconnaissance envers Armand. Sa première impression avait peut-être été biaisée ?
- Un coup de chance, marmonna le juge, manifestement vexé.
- Quand vous aurez passé autant de temps que moi dans les hôpitaux, que vous aurez été élevé par un docteur en pharmacie, entouré de médecins et d'infirmières, vous pourrez remettre en cause mes suppositions, affirma-t-elle, d'une voix claire.
Mais elle explosa en plein vol quand Pierre l'attrapa avec force par le bras.
- Un peu de respect.
- Le respect n'est pas un dû, mais se mérite. Pour le moment, Monsieur Duclair ne m'a pas prouvé qu'il en était digne.
Duclair se redressa de son siège, rouge de colère.
- Loiseau, tenez votre fiancée, cette sorcière rouquine n'a rien à faire ici quand seul du poison sort de sa bouche !
Gabrielle était furieuse, bouillonnante d'une colère qu'elle ne se connaissait qu'à peine. Elle aussi s'était levée, mais Pierre l'avait de nouveau attrapée, cette fois par l'épaule. Dans ses yeux, elle pouvait voir qu'il avait envie de la gifler, elle en était sûre.
- Sors d'ici, va attendre ailleurs. » ordonna t-il.
Gabrielle jeta un coup d'oeil aux hommes présents dans la pièce, personne ne dirai rien. Soit.
Elle attrapa son sac et s'en alla vers la porte, puis plongeant dans une profonde révérence, pleine de sarcasme, conclu :
« Au plaisir de profiter à nouveau de votre moderne et intellectuelle conversation, messieurs. » railla-t-elle, obséquieuse.
Avant de claquer la porte, elle était certaine d'avoir vu un sourire sur le visage d'Armand.
A suivre...
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