Bonus facultatif
C’est un petit oiseau affolé qui n’a pas encore vu que la porte de la cage est ouverte, et le chat dégriffé.
— Chouchouuuu ! Qu’as-tu fait de mon soutif ?
Shadow a tendance à balancer mes affaires un peu n’importe où. Mais j’ai besoin de ce soutif : c’est l’un des rares qui ne me rentre pas dans les côtes, et ne me boudine pas trop.
— Il doit être à sa place, ma princesse. Par terre, rétorque-t-il du salon.
Ah ouais. Par terre. En fait, il a glissé sous le lit. J’en profite pour récupérer un caleçon, mais Minette, ma chatte, ne veut pas le lâcher.
Je la comprends. L’odeur de Shadow, c’est addictif… depuis que je l’ai rencontré, je ne peux plus m’en passer.
La plus belle chose qui me soit arrivée, vraiment. D’ailleurs, dès que cette divinité descendue du paradis a poussé la porte du magasin, j’ai su que c’était lui. Mon rêve était enfin réalisé. Un mec de ces bouquins en était sorti pour venir dans ma librairie… et en plus, pour demander à dormir chez moi, dans mon lit ! Incroyable. Depuis, je ne redescends pas. J’avoue que je me demande tous les jours quand je vais me réveiller… mais pour l’instant, je suis encore dans mon rêve paradisiaque, et il devient meilleur de jour en jour, puisque je suis enceinte – de lui – et qu’il m’a demandé de le suivre chez lui, à Chicago… puis en Irlande où il va déménager son clan tout entier.
Shadow est toujours à moitié à poil dans le canapé, occupé à bidouiller son téléphone, ses longs cheveux blancs attachés en un demi chignon lâche. Il n’arrête pas de s’éteindre : on m’avait dit que les elfes déréglaient l’électronique.
— Les invités vont arriver mon bébou, il faudrait songer à s’habiller. Tu peux m’aider à agrafer mon soutien-gorge ?
Mon Thranduil sauvage s’étire comme un chat, son sourire suave me provoquant une envolée de papiflards colorés dans le ventre. Puis il se lève et m’entoure de ses bras puissants, sa longue main s’attardant sur mon bidou. Là où notre bébé, encore un petit pois, est en train de se former, bien au chaud.
— Ils arrivent quand, exactement ? murmure-t-il de sa voix grave.
— Je leur ai dit 13h… et il est moins dix.
Sa main descend plus bas.
Oh, Jésus – Marie – Joseph.
— Shaun Blackfyre n’est jamais à l’heure, ronronne Shadow sur ma nuque, qu’il mordille des lèvres. C’est même son signe distinctif.
Ma culotte tombe par terre. « Sa place », selon Shadow, comme le soutif.
— Ree non plus… elle arrive toujours avec cinq minutes de retard au magasin, haleté-je, déjà essoufflée.
Les doigts de Shadow effleurent négligemment l’intérieur de ma cuisse.
— Cinq minutes… ? Elle ne pourrait pas arriver avec un quart d’heure de retard, comme tout le monde ?
La langue brûlante de Shadow touche ma peau. Et il suffit que je sente cet appendice agile et pointu pour mouiller comme une fontaine. Il m’a conditionnée à ça, dès la première nuit que j’ai passée avec lui, en m’expédiant au septième ciel avec. J’ai cru mourir de plaisir, cette nuit-là.
— C’est pas grave, grommelé-je. On va les utiliser, ces cinq minutes. Dans le canapé. T’es prêt ?
— Toujours.
Il sourit-il pile au moment où je me retourne, m’offrant la vision de ses dents blanches et parfaites, mises en valeur par ses adorables et si sexy canines pointues.
Certaines filles fantasment sur les oreilles en pointe des elfes. Moi, c’est leurs petits crocs blancs qui me font craquer. Ceux avec lesquels ils nous mordillent pendant l’amour.
Comme il va bientôt faire.
Shadow se rassoit dans le sofa, et ouvre son peignoir. Il a déjà détaché ses cheveux. J’ai remarqué qu’il le faisait systématiquement quand j’étais au lit avec lui… ou sur le canapé, la table, le plan de travail, le tapis ou sous la douche.
— Jésus Marie Joseph… répété-je, à haute voix cette fois, les yeux riboulants sur sa vibrante érection.
Je ne m’y ferais jamais. Je crois qu’il est plus énorme encore que mon plus spectaculaire sex-toy « monstre ». Et Dieu sait que ce jouet est gros.
Shadow pose son regard de tueur sur moi.
— Je doute que la famille sainte te soit qu’un quelconque secours, dit-il sans cesser de passer son poing enduit de lubrifiant sur sa lance magnifique. Viens te poser, je te sens énervée.
« Viens t’empaler », plutôt. Mais je lui obéis avec empressement. Il m’aide à me positionner, et je laisse échapper un petit cri d’excitation en sentant la tête de son gros dard à l’entrée de mon intimité. Sans attendre qu’il pousse de lui-même, je coulisse dessus, le prenant tout entier et d’un seul coup. On n’a que cinq minutes.
— Oh, bordel de Dieu ! hurlé-je, écartelée par la pression.
— Jolene. Arrête de blasphémer.
— Je vais blasphémer tant que je veux, et tu ne pourras rien faire, soufflé-je en m’activant des hanches, les deux paumes à plat sur sa tablette choco.
La musculature de dieu grec qu’il a… et c’est pas de la gonflette. Ses muscles sont aussi durs que son joystick.
D’un main, Shadow s’empare de mon cul, et de l’autre, de mon sein gauche, qu’il empoigne comme un cornet de glace et suce allégrement. Il est dingue de ma volumineuse poitrine, qui moi, me complexait tant. La légère contrainte de la pression qu’il m’impose, alliée à la douceur agile de sa langue sur mon mamelon sensible, me fait râler de bonheur.
Je lâche son ventre en béton armé pour tâter un peu ses pectoraux, puis empoigner ses cheveux. Ce balancement vigoureux me rappelle un peu quand je montais mon poney, Canon, au grand galop, les mains accrochées dans sa crinière. La grosse poutre dans le ventre en plus.
Et quelle poutre… en dépit de sa taille conséquente, elle glisse comme une épée dans sa gaine, sans la moindre douleur. Et ce petit frottement lascif de son pubis sur mon clito…
Quel délice.
— Je vais jouir, grogné-je en m’agrippant à lui. C’est imminent.
— Pas encore. Il nous reste cinq minutes.
— T’as compté…
— L’horloge est sur le mur face à moi. Il est 13h.
La seule qui ne s’est pas encore arrêtée. La présence de Shadow a déréglé tous mes appareils : le micro-ondes, mon radio-réveil, ma télé. Un truc de fou. Pas étonnant que les elfes se fichent de l’heure !
Soudain, le cri strident de la vieille sonnerie hurle dans mes oreilles. Shadow grimace, agressé par le son. Les elfes sont plus sensibles au bruit que nous.
— Pardon, mon bébou, susurré-je sans cesser de le chevaucher activement. J’ai oublié de l’enlever !
— Mais ils viennent d’arriver, ma fée. Amber et Shaunreyne. Ils sont juste derrière la porte. J’entends Shaun piétiner : non seulement il ose arriver à l’heure, mais en plus, il a le culot de s’impatienter.
— Deux minutes ! hurlé-je à leur attention, faisant à nouveau grimacer le pauvre Shadow. Allez-vous prendre un latte au Starbucks en bas !
Silence. Mais la vague vient, et je la prends comme Pamela Anderson sur David Hasselhof. Shadow, lui ne termine pas, évidemment. Pas eu le temps.
Je me lève et file à la salle de bains, tandis qu’il renoue son peignoir et va leur ouvrir. J’ai juste le temps d’apercevoir le joli visage ahuri de Ree – à qui je lance un coucou rapide – et les sourcils froncés de Shaun, qui fait souvent cette tête-là.
— Installez-vous, j’arrive ! leur crié-je.
Je ressors de la salle de bain pour trouver Shadow adossé à la fenêtre de secours, son peignoir tombant sur son épaule. Il discute à voix basse avec son acolyte, une clope à la main.
— Interdit de fumer dans la maison ! hurlé-je pile au moment où Shaun s’en sortait une.
Il se fige, sa cigarette entre les dents, et les deux enjambent la fenêtre.
C’est ça. Qu’ils fument dehors.
Je me tourne vers Ree. Elle attend, les mains dans les poches, un peu gênée.
— Jolene, commence-t-elle. Bonne année. Je voulais m’excuser pour avoir ignoré tes appels avant-hier… c’était stupide, immature et irrespectueux de ma part.
Je devine qu’elle est embarrassée vis-à-vis de moi.
— Fais pas cette tête-là. Finalement tu n’as pas eu besoin de mon aide : je vois bien qu’elle a bien commencé pour toi !
Ree rougit violemment. Elle est vraiment jolie quand elle rougit, avec ses taches de rousseur. C’est Shaun qui me l’a fait remarquer, à force de le répéter. Shadow m’a dit que son ami craquait sur cette caractéristique.
— Shaun a eu le courage et la générosité de revenir à la maison…
— Il est venu chez nous, tu sais. Ça me faisait tellement de peine de le voir au trente-sixième dessous, les oreilles basses… lui qui se considérait comme ton petit copain !
— C’est mon petit-copain, réplique Ree, soudain aussi agressive qu’une louve. Merci de l’avoir accueilli chez toi, et de lui avoir remonté le moral…
— Shaun est le frère juré de mon mec. J’allais pas le laisser dehors, même si lui voulait passer la nuit dans la forêt ! Je savais bien que vous alliez vous rabibocher, et je ne voulais pas qu’il arrive hirsute chez toi. Et puis Shadow voulait le coacher avant la rencontre, je crois.
Pour qu’il affronte Hawthorn et récupère son clan. Je ne sais pas si Ree réalise le danger que son elfe d’amour a couru. J’ai beaucoup parlé des coutumes elfiques avec Shadow, et Shaun prenait un vrai risque. Dans le passé, un roi elfique très puissant et tout à fait légitime a été rejeté et brûlé par le feu féérique, m’a raconté Shadow. Le fait qu’il accepte Shaun n’était pas du tout garanti.
— Qu’est-ce que Shadow a fait de Hawthorn, d’ailleurs ? demande Ree en baissant un peu le ton.
— Il l’a ramené à Chicago, et mis sous la garde de son lieutenant là-bas, au clan. Il va lui proposer d’intégrer les Wicked Moon temporairement pour le changer un peu d’environnement. C’est comme ça que les elfes règlent ce genre de situation, visiblement. Plus tard, s’il en émet le souhait, et si Shaun est d’accord, il pourra reprendre sa place au sein des Black Heart.
— C’est fou tout ce que tu as appris sur les elfes en si peu de temps… murmure Ree.
Je la sens surprise, et un peu admirative.
— Je m’intéressais déjà à eux avant, tu te rappelles ? Et tous ces livres dont je te parlais disent des choses vraies, Ree.
Presque. La réalité est encore meilleure.
— Et dire que j’ai rencontré Shaun avant que tu ne rencontres Shadow… je me sens vraiment idiote. Tous ces préjugés débiles que j’avais… !
— Mais c’est grâce à toi si je l’ai rencontré, la rassuré-je en posant ma main sur son épaule. Et maintenant, tu fais partie du club !
— Le club ? Celui des sorcières ?
— Celui des femmes d’elfes. Il parait qu’elles font des réunions tupperware dans les grandes villes, et s’échangent des tuyaux sur l’éducation des enfants faes et autres joyeusetés.
Ree hausse un sourcil.
— … comme la meilleure position pour accommoder le gros dong de leur mâle ? ose-t-elle avec un demi-sourire.
— Alexandra Vega, même moi, je me suis empêchée de la faire, celle-là ! la tancé-je en prenant une voix faussement sévère. Il parait que ce n’est qu’une légende, et que les elfes sont montés normalement, à quelques exceptions près.
— À quelques exceptions près… rit mon amie doucement.
Je vois à son regard rêveur qu’elle pense encore à la nuit qu’elle vient de passer. Normal : le sexe avec eux, c’est incomparable. Un monde différent, complètement. C’est ça, que les livres omettent de dire.
Shaun enjambe la fenêtre à nouveau. Il apparait derrière Ree et l’enlace gentiment, calant sa tête sur son épaule. Ses yeux verts et patients se posent sur moi, et il m’observe en silence, l’air de se demander ce qui peut nous faire sourire comme ça.
Le pauvre. S’il savait…
— Allez, les tourtereaux ! Je vous invite au dinner du bas. Dès que monsieur Shadow aura daigné passer des habits décents, bien sûr… !
Il m’entend, lève les yeux au ciel et part se vêtir. S’il s’écoutait, celui-là, il passerait sa vie à poil !
*
Le proprio du dinner, un jeune du coin, est fae-friendly, et il nous laisse nous installer sans faire des yeux de cheval apeuré, comme ça arrive souvent quand Shadow et Shaun débarquent. Faut dire qu’ils sont impressionnants, quelque part. Un seul fae l’est déjà, mais deux en même temps… ça démultiplie l’effet. Certains clients zyeutent la haute silhouette de Shadow, avec les dreads blanches qui retombent dans son dos, ses bras nus, tatoués et musclés quand il retire sa longue veste en cuir camel – il ne porte qu’un T-shirt sans manches en-dessous. Shaun, lui, fait un poil moins peur, mais il a un air plus sauvage, même si aujourd’hui il a fait l’effort de brosser ses longs cheveux noirs, souvent hérissés. Il jette un regard nerveux autour de lui et retire son perfecto, dévoilant son pull de Noël à chats. C’est la première fois que je le vois sur lui, et ne peux m’empêcher de pouffer de rire.
— Quoi ? réplique-t-il, les sourcils froncés.
Je sais qu’il a tendance à se vexer facilement.
— Rien. J’admirais ton pull, c’est tout. Il te va très bien !
Ree sourit, et passe une main tendre dans le dos de son copain.
— Shaun est très honoré de porter ce pull. Hein, mon ange ?
— Bien sûr que je le suis. C’est la preuve que je fais bien mon boulot. Et jusqu’ici, les personnes âgées ne pouvaient pas me piffrer. Pour une fois qu’il y en a une qui m’apprécie, je vais pas me gêner pour le montrer !
— Tous les petits vieux de cette ville vont t’adopter, tu vas voir, lui dis-je. Tu seras invité partout… c’est comme ça, les vétos, dans les petites communautés rurales. Avec le shérif et le pasteur, c’est le personnage le plus respecté.
— Je suis pas véto, juste ASV, objecte Shaun en s’emparant de la carte. Vous prenez quoi, ici ?
— L’omelette au bacon et les pancakes à la sauce piccadilly sont pas mal, intervient Shadow.
— Il y a aussi les muffins. Quant aux pancakes, c’est meilleur avec du sirop d’érable ! intervins-je.
— Dan adorait ça, souffle Ree en frissonnant.
Shaun lui jette un regard en biais.
— Va pour la sauce picadilly, l’omelette, le bacon et les saucisses, alors, décide-t-il. Ou alors on prend un burger et des pancakes, t’en penses quoi, Ree ?
— Vous allez prendre une assiette pour deux ? Rien ne vous empêche d’avoir un truc chacun, hein… L’omelette, le burger, le bacon, les saucisses et les pancakes. Prenez tout ce que vous voulez ! C’est moi qui invite.
Mais Shaun secoue la tête.
— Non, ça me gêne.
— Mais si, j’insiste !
Il continue à s’entêter. Alors, Shadow intervient en posant sa grande main au milieu de la table.
— Si ma femme dit qu’elle t’invite, Shaunreyne Blackfyre, tu fermes ta gueule et tu commandes ce que tu veux manger. Tu piqueras des frites dans l’assiette de la tienne si c’est ça qui te branche, mais en attendant, tu n’embarrasses pas la mienne.
« Ma femme ». Ça me fait toujours quelque chose d’entendre ça dans la bouche de Shadow, même dans ces circonstances.
Shaun baisse immédiatement la tête.
— Désolé Jo, dit-il en relevant les yeux sur moi. Je ne voulais pas t’humilier.
— Tu ne m’humilies pas, Shadow plaisante… réponds-je en me tournant vers lui, un peu surprise.
Mais en fait, non. Shadow est tout à fait sérieux. Je comprends alors que jamais Shaun n’aurait refusé de cette manière si c’était une elfe qui avait décidé de payer pour lui. C’est considéré comme une insulte de refuser les cadeaux, chez eux. Presque une déclaration de guerre, si je me rappelle bien. Encore plus si ça vient d’une femme.
« On ne dit jamais non à une femelle », m’a expliqué Shadow un jour. Ça m’a d’ailleurs inquiété. Est-ce qu’il va continuer à dire « oui » à toutes celles de son clan… ?
On règlera ça plus tard.
Shaun commande donc son burger, son bacon, son omelette et sa montagne de pancakes. Il est mince, mais il a un sacré appétit, ça c’est sûr. J’aimerais bien avoir sa génétique : pour ma part, il suffit que je regarde une petite gaufre pour prendre dix kilos.
Marcus, le tenancier du dinner, vient nous verser du café et discuter un peu avec nous. Puis il repart s’occuper des autres clients.
— Alors ? Vous allez déménager en Californie ? m’enquis-je en m’adressant au couple de Noël.
Shaun, la bouche pleine de pancake et d’omelette, se tourne vers Ree.
— Non, répond mon ancienne collègue. Shaun va rester là travailler au cabinet avec mon père et s’occuper du clan, et moi, je vais suivre la formation à distance : je n’irais là-bas que pour les partiels.
J’échange un regard entendu avec Shadow, qui sourit largement.
Ils ne peuvent plus se séparer. C’est évident. Ils marchent en se tenant la main, se font des câlins tout le temps, et Shaun ne quitte pas sa dulcinée des yeux. Ah, c’est beau l’amour ! Je savais que ces deux-là étaient faits l’un pour l’autre. Je l’ai su dès que Shaun est entré dans le magasin. Et Shadow qui me répétait tous les soirs à quel point son ami était fou d’elle, et le bassinait avec ses peines de cœur… Mais on a bien cru que ça ne marcherait pas, et que ces deux idiots allaient tout gâcher avec leur caractère de cochon. Shadow avait d’ailleurs conseillé à Shaun d’être plus frontal avec Ree, de mettre carrément les pieds dans le plat. Sauf que Shaun, sous ses airs de bad boy insolent, est un gros timide.
— Et vous ? demande Ree. Comment vous allez faire pour aller en Europe ? Vu que Shadow n’a pas de passeport…
Je me tourne vers mon compagnon. Il sourit mystérieusement, comme à son habitude.
— Mais si, j’ai un passeport, Amber, dit-il en sortant une serviette de table de sa poche. Tiens.
Ree se penche dessus. Je sais qu’elle croit voir un papier officiel.
— Ah… Je croyais que vous les jetiez au feu ?
La main de Shaun attrape le mouchoir, qu’il déchire d’un air excédé.
— Arrête ça… Regarde mieux, Ree : c’est un vulgaire morceau de papier. Concentre-toi quand un elfe dans son genre te montre un truc. En tant que sorcière, tu devrais voir à travers ces illusions.
Ree secoue la tête.
— Ok. J’ai compris. Donc, tu vas entrer illégalement en Europe, Shadow ?
— Oh tu sais, la légalité… ce n’est qu’une question de point de vue, s’amuse Shadow.
— De toute façon, les elfes n’ont pas besoin de passeport pour entrer dans les pays qui ont signé l’accord de protection, précisé-je. Ils sont citoyens d’office.
Ree se tourne vers Shaun.
— On pourrait aller leur rendre visite pendant les vacances… t’en penses quoi ?
Shaun baisse les yeux, un pli amer au coin de la bouche. Je sais pourquoi il ne veut pas aller en Europe. Shadow me l’a dit.
C’est là que rôde son père. Ce sont les mots exacts de Shadow : « c’est là que rôde son père ». Plutôt sinistre, comme façon de dire…
— On verra, murmure-t-il, avant de reprendre une bouchée rageuse de burger.
Il y a quelque chose de sombre chez Shaun, comme chez Shadow, d’ailleurs. Mais chez mon elfe à moi, c’est plus assumé. Shaun, lui, n’a pas réglé tous ses problèmes. C’est surtout de ce côté-là qu’il est plus moins « mature » que Shadow, qui tient un rôle de grand-frère auprès de lui. Je pense néanmoins que Ree va lui apporter l’ancrage et l’apaisement qui lui manque.
La porte du dinner tinte. On voit entrer Trisha, l’ancienne amie de Ree. Elle a un air piteux, abattu. J’espère que Ree ne va pas la remarquer… mais elle se dirige droit vers elle. Semble hésiter en voyant les yeux aigus des deux elfes se braquer sur elle, quasiment en même temps. Mais comme c’est une femme et qu’elle n’est pas accompagnée du reste de la bande, ils finissent par détourner la tête, gardant une veille attentive et un air faussement désintéressé. J’ai déjà vu ce genre d’attitude, chez les loups ou les fauves, dans les documentaires animaliers, quand ils montent la garde auprès de la femelle qu’ils courtisent. Je trouve ça assez amusant.
— Bonne année, nous annonce Trisha, provoquant un regain d’attention chez les deux elfes. Ree… Je peux te parler un instant ?
Ree lui jette un coup d’œil ennuyé.
— Je sais pas, Trish. Peut-être plus tard.
— Ok. J’attendrais que tu sois prête… t’as toujours mon numéro.
— Si c’est pour ma parler de Dan et de ton frère, c’est pas la peine, tu sais, dit-elle tout de même.
— C’est pas pour te parler d’eux. Juste pour… m’excuser.
Ree la regarde en silence.
— On verra, finit-elle par dire, paraphrasant Shaun.
— D’accord. Je suis vraiment désolée, Ree. Tu me manques, conclut Trisha avant de s’éloigner, après nous avoir adressé un signe de tête.
Un silence pesant persiste après son départ. Shaun le coupe en attirant sa copine à lui.
— Rien ne t’oblige à lui reparler, finit-il par dire alors que Ree pose sa tête sur son épaule.
— Je ne compte pas le faire. J’ai plus rien à lui dire.
— Si cette fille veut changer de voie, il faudra qu’elle fasse son chemin seule, observe Shadow d’un air docte.
Je me moque de lui.
— Toi alors, le grand philosophe ! Et la mate pas trop, hein.
— Je ne mate pas les autres femmes, réplique-t-il d’un air hautain.
Et les femmes elfes ? Mais ce n’est pas le moment d’avoir cette conversation. On l’aura bien assez tôt, à Chicago… ou en Irlande, puisque le clan va le suivre là-bas.
Y a plein de clans d’elfes féminins, là-bas. Les Keening Banshees, les Daughters of Mabd… elles sont encore plus respectées que les clans masculins. Je n’ai plus qu’à espérer que l’ancien harem de Shadow les rejoigne, en ayant perdu son maître… si effectivement, il devient exclusif, ce qui n’est pas garanti. Mais je ne peux pas forcer un elfe avec un tel magnétisme sexuel à se conformer aux normes de l’amour humain, ce n’est pas leurs coutumes… ni adapté au cas hors-normes de Shadow. Pour moi, clairement, c’est la seule ombre au tableau.
Ree, elle au moins, n’aura pas ce problème avec Shaun. Shadow m’a dit que quand il était amoureux, c’était du sérieux.
Shadow, lui, ne l’est sans doute pas. Mais comme je porte son enfant… il s’est senti obligé de m’intégrer dans sa vie. Je sais pertinemment que ça ne durera pas.
Plus tard. Plus tard.
Shadow sent ma détresse. Il est tellement fin… et, tandis que Ree et Shaun se papouillent devant nous – Ree est en train de lui chatouiller l’oreille, ce qui le fait beaucoup rire -, Shadow attrape ma main.
— Plus tard… ? dit-il doucement, si bas que personne ne peut l’entendre, directement dans ma tête, en fait. Il n’y a pas de plus tard. Seulement maintenant.
Il me serre contre lui, et les ondes apaisantes qu’il m’envoie me calment sur le champ. Un autre de ses pouvoirs, partagé par tous les elfes mâles envers celle qu’ils chérissent.
« Pas de plus tard. Seulement maintenant ».
Il a raison. Pour moi, ce Noël-là, durera éternellement.
**
Et voilà ! On a eu un aperçu de l’intimité de Jolene et Shadow… et avec une fin pareille, je suis obligée de faire une suite/spin-off ! On ne va pas laisser la pauvre fille comme ça, et ces personnages avec leurs problèmes à résoudre… ^^’
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