4- Le Foyer
L’eau chaude ruisselle dans sa chevelure et sur ses épaules. Lydia attendait ce moment depuis un mois !
Les yeux fermés, elle inhale avec délectation le parfum lavande du nouveau savon. Elle imagine la crasse saumâtre disparaître en filets gris par le siphon. Le sel qui lui colle à la peau et rend la moindre coupure douloureuse. Les algues sous ses ongles. Le sable dans ses oreilles, la bave irritante des ignobles limaces qui pullulent un peu partout. Tout part dans un tourbillon de mousse parfumée.
Séchée, détendue dans son peignoir moelleux, elle prend ensuite un savoureux déjeuner et pique plusieurs fois du nez devant une comédie musicale, tandis que ses compagnons du jour s’affalent dans des divans ou boivent des cafés en débattant calmement comme de vieux philosophes.
Un doux carillon leur annonce la fin du rêve. Lydia se lève mécaniquement avec les autres pour aller se changer.
La tunique est toujours si rêche après le peignoir !
En sortant du Foyer, elle aperçoit Franck qui vient récupérer sa portion quotidienne de pâte alimentaire. Le jeune homme ne lui parle plus depuis près d'un an, depuis qu’ensemble ils se sont lancés dans une aventure stupide et dangereuse. On raconte que les Administrateurs l’ont retrouvé presque mort dans un trou d'eau au milieu des rochers, à plusieurs kilomètres du Centre, aussi blanc qu’un linge.
De son côté, elle se souvient confusément d’être tombée d’une falaise. Elle ne doit sa vie qu’à la prévoyance du CRM qui avait installé des filets à cet endroit pour prévenir ce type d’accident. Une bulle volante l’a ensuite secourue et emportée à l’hôpital du Centre. Elle ne se rappelle rien d’autre. Rien de rien. Peu importe, elle a survécu.
Suite à ces malheureux événements, on les a transférés tous les deux dans un autre CRM, un "ajustement" selon la terminologie psycho-juridique. Pour ce qu’elle en sait, ce centre est strictement identique au précédent : un œuf géant qui distribue de la nourriture aux occupants du taudis voisin.
En rejoignant sa misérable hutte faite d’algues séchées et de bouts de bois drossé, elle ne peut s’empêcher d’observer la mer grisâtre qui vient se briser sur les écueils en contrebas du Foyer. Au loin, la ligne noire d’un continent barre l’horizon.
Le vent souffle constamment, charriant des embruns glacés et les odeurs salines d’algues en décomposition. Il est impossible de s’en soustraire, sauf pendant les séances de Foyer évidemment. Et que dire du ciel ! D’une blancheur oppressante, il écrase la vue comme un plafond trop bas.
Lydia déteste cette île insalubre, avec ses limaces omniprésentes, sa rocaille tranchante et ses petits crabes agressifs qui ne manquent pas une occasion de pincer les orteils des pensionnaires. Ces derniers ont patiemment entrepris de nettoyer les alentours du "village", en déplaçant les rochers les moins lourds et en polissant les autres.
Le petit seau qu’elle porte à sa ceinture d’algue est le seul objet synthétique qu’elle possède, outre sa tunique en polymères. Ce seau vaut tout l’or du monde : il lui permet de collecter l’eau de pluie, de capturer les crabes, de répandre du sable sec dans sa hutte… Dire qu’elle a failli s'en débarrasser à son arrivée !
Mais personne ne la retient ici, elle est une citoyenne libre.
Un jour, elle s’élancera sur une embarcation de fortune et fendra les flots gris à la conquête de ce continent qui n'attend qu'elle.
Là-bas, elle s’enfoncera dans des forêts sans âge, loin du fracas et des rigueurs de l’océan. Elle se construira une jolie maisonnette en bois dans une clairière embaumée, elle cultivera son petit jardin, elle plantera des fleurs pour attirer les abeilles et récolter leur miel.
Un jour.
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