Blog : Call me Jake. Post numéro 5 : Celui où je parle pour soigner mes blessures
Salut à tous. J’espère que vous allez bien. Pour ma part, ça va un peu mieux. J’avoue que les événements des derniers temps m’ont un peu secoués et dans ces moments là, j’ai tendance à me refermer. Mais ma mère me disait toujours « Un peso en el corazón, dos en la espalda. ». Elle voulait dire par là que garder quelque chose qui nous fait mal pour soi n’est pas bon. Si on partage sa peine avec quelqu’un, elle sera plus légère à porter. Ma sœur est déjà au courant de tout ça, et je n’ai pas envie de l’inquiéter. Je sais que ça va passer. Et je n’ai pas vraiment quelqu’un de confiance ici pour pouvoir me confier. Alors pourquoi ne pas me confier ici ? De toute façon, je vous dois plus d’explications concernant Helen.
Comme je l’ai déjà dit, après la disparition de mes parents, j’ai pété les plombs. J’ai laissé tomber mes études et j'ai passé mon temps à boire et à me battre. Liv m’a beaucoup aidé. Elle m’a soutenu. Même lorsque, dans les plus sombres heures de ma vie, sous l’emprise de l’alcool, j’ai failli tuer un mec qui s’était moqué de mes parents. Il a fini à l’hôpital et heureusement il s’en est sorti. Liv était déjà une jeune avocate à l’époque mais elle ne pouvait pas me défendre, conflit d’intérêts. Alors elle s’est adressée à un confrère (un ami qui avait étudié le droit avec elle à l’université). Le juge a été plus que clément. Il a pris en compte ma souffrance et les propos abjects que l’autre avait prononcés envers mes parents. Je m’en suis sorti avec une amende à payer et des heures d’intérêt général. Et bien sûr,
je ne pouvais plus m’approcher à moins de 500 m de lui (ce qui, entre nous, m’arrangeait bien). Je ne suis pas fier du tout de cette histoire, et j’évite d’ aborder le sujet, mais vous comprendrez par la suite pourquoi je vous en parle.
Parce que, en plus de toute l’aide et le soutien que Liv m’a apporté durant cette sombre période (et je lui en serai éternellement reconnaissant), Helen a joué un rôle très important dans mon rétablissement. Les événements dont je viens de parler, ma condamnation, le travail que j’ai dû faire avec un psy, tout ça m’a… réveillé. Une fois ma peine purgée, j’ai décidé de reprendre mes études d’ingénierie en informatique à la York University. Après un entretien avec le recteur, qui s’est montré très compréhensif, et au vu du fait que j’étais un bon élément avant tous ces évènements, j’ai pu réintégrer les cours, à condition que je fournisse un travail acharné. Et c’est ce que j’ai fait. J’ai étudié, encore et encore. Je passais ma vie à la bibliothèque. C’est là que j’ai rencontré Helen.
Helen… Comment vous la décrire ? Très jolie, de faux airs de Penelope Cruz dans Vanilla Sky (ce qui a fait vibrer mes racines espagnoles, je l’avoue). D’une réelle gentillesse, un souci de faire le bien autour d’elle. On a très vite accroché. Je me sentais bien avec elle, à l’aise. Je lui ai tout raconté. Elle ne m’a pas jugé. Elle me disait que tout le monde a droit à une autre chance. On a passé deux années incroyables ensemble. J’étais tellement amoureux de cette fille. Elle arrivait à toucher mon âme rien qu’avec un regard. On pouvait discuter pendant des heures, mais on pouvait aussi se comprendre sans se dire un mot. Souvent, quand j’étais déprimé et que mes vieux démons semblaient vouloir ressurgir, elle se rapprochait de moi, me fixant dans les yeux. Elle me prenait la main, me caressait la joue, m’embrassait au coin de mes lèvres et me parlait doucement. Ça avait le don de me calmer, me rassurer, et même me faire sourire. Quand on regardait un film, elle adorait que je mette ma tête sur ses genoux pour me caresser les cheveux. Inutile de dire que moi aussi, j’adorais ça.
Et puis elle a dû partir. Ses parents, qui vivaient en Floride, avaient besoin d’elle. Nous savions bien qu’une relation longue distance ne tiendrait pas la route. Et à ce moment-là, je ne me voyais pas quitter l’Angleterre. Il y avait ma sœur, mes amis… Je venais de décrocher un poste en or dans une grande entreprise. Ça a été très compliqué, mais on s’est dit au revoir, avec l’espoir de peut-être se revoir un jour.
Et cet espoir s’est concrétisé plusieurs années plus tard. Je m’en rappelle, c’était pendant l’été 2017. J’avais eu entre-temps quelques petites amies, mais rien de bien sérieux. Rien à la hauteur de Helen. A cette époque je travaillais déjà pour la boîte dans laquelle je travaille actuellement, mais dans les bureaux de Londres.
Ce matin-là, je traversais Regent’s Park pour aller au boulot. Le soleil brillait et le fond de l’air était un peu frais pour la saison, mais très agréable. Je marchais, regardant autour de moi. Et là, je l’ai vue. Helen. Assise sur un banc, elle lisait en sirotant un café à emporter. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Elle portait une petite robe noire et ses longs cheveux bruns étaient relâchés. Je me suis approché, ne sachant que dire. Elle a levé les yeux, poussé une exclamation d’étonnement et s’est levée pour me saluer. Au début, on ne bougeait pas, comme deux collégiens timides. Et puis je n’ai plus hésité, je l’ai prise dans mes bras. Je lui ai dit qu’elle m’avait manqué. Tellement, tellement manqué. Elle m’a répondu que moi aussi, je lui avais manqué. Nous sommes restés comme ça quelques secondes. Elle s’est un peu dégagée, le souffle court, en souriant. Nous avons beaucoup discuté du passé, de ce qui était arrivé entre-temps. On a repris contact. Nous sommes sortis ensemble plusieurs fois et on a décidé de reprendre notre histoire où on l’avait laissée.
Mais Helen avait changé. Elle n’était plus la jeune fille bienveillante que j’avais connue. Il lui arrivait d’être… moins patiente, moins attentive aux autres. Je crois qu’il s’est passé quelque chose aux Etats-Unis, mais je n’ai jamais réussi à savoir quoi. Tous ces signes auraient dû m'alerter, mais je n’ai rien voulu voir. Parce qu' en ce qui me concernait, j’étais toujours fou d’elle. Réellement. J’ai bien essayé de parler avec elle, je voyais bien que quelque chose n’allait pas. Mais à chaque fois, un mur se dressait entre nous, et elle restait silencieuse pendant des heures. Alors je la laissais tranquille. Je me disais que si elle le voulait, elle me parlerait plus tard. Nous avons passé trois ans ensemble. Et puis j’ai fini par la demander en mariage. Elle a accepté. C’était incroyable, j’étais le plus heureux des hommes. Nous devions nous marier quelques mois plus tard, le 20 juin 2020.
Tout était prêt. Période Covid oblige, nous n’aurions évidemment pas droit à une grande cérémonie. Seule la famille et les amis proches étaient invités. Mais nous avions prévu de nous marier en plein air, sur une plage. Tout allait être parfait.
Et puis un jour, le 07 mars, soit trois mois avant le mariage, j’ai voulu lui faire une surprise. Lorsque nous étions plus jeunes, elle me disait souvent qu’elle voulait aller visiter l’Irlande. J’avais tout organisé. Nous devions décoller le lendemain. J’ai réservé un restaurant, un de ces restos chics à Mayfair. Nous venions de terminer de manger, elle un Risotto aux Truffes, moi un Filet de Boeuf Wellington. J’ai sorti les billets d’avion et je lui ai révélé la surprise. Au lieu d’un visage réjoui, Helen a froncé les sourcils. Puis elle m’a regardé dans les yeux et elle m’a annoncé qu’elle ne voulait plus se marier. Qu’elle ne voulait pas rester avec moi et me laisser avoir de faux espoirs. Je n’ai pas compris sur le moment, j’ai cru à une mauvaise plaisanterie. Et puis elle m’a expliqué qu’elle n’était plus la jeune fille innocente que j’avais connue il y a quelques années. Qu’elle avait été folle de joie de me retrouver, mais qu’elle s’était assez vite aperçue que nous n’avions plus rien en commun. Elle avait bien essayé, peut-être que tous ces sentiments du passé reviendraient, que si elle m’épousait, tout redeviendrait comme avant. Mais le doute devenait de plus en plus grand dans son cœur. Et puis… Elle avait rencontré Mark. Elle m’a parlé de réel coup de foudre, de sentiments qu’elle n’avait plus connus depuis longtemps… depuis l’époque où on était ensemble, en fait. Elle s’est répandue en excuses. Puis elle est partie. Comme ça.
Inutile de vous dire…que c’était pire que la mort. Je n’arriverai jamais à exprimer clairement ce que j’ai ressenti. Entre l’incompréhension, la tristesse, la honte de m’être trompé à ce point, la rage envers ce Mark, et envers Helen… J’ai senti que je pourrais à tout moment sombrer à nouveau. J’ai senti que mes vieux démons commençaient à vouloir me séduire de plus belle. Violence. Alcool. Abandon.
Mais je n’ai pas voulu ça. J’ai voulu partir, fuir Londres. Car Londres me rappelait trop Helen. Londres ETAIT Helen. Au boulot, j’ai demandé une mutation aux Etats Unis. J’ai dit au revoir à Liv, qui a bien compris, et qui m’a soutenu jusqu’au bout (une vraie sainte, ma sœur), et je suis parti. Loin de tout ça.
C’est comme ça que je suis arrivé ici, à Los Angeles. Mais je ne m’accorde plus de tomber amoureux. C’est terminé. Je refuse systématiquement toute relation un peu trop proche. J’ai mis un cadenas sur mon cœur, je l’ai enfermé dans un coffre et j’ai jeté le tout dans un trou profond. Je ne veux plus jamais souffrir comme ça. A part ma sœur, j’ai tout renié de mon passé. Si je retourne à Londres de temps en temps, c’est juste pour aller voir Liv. Je lui dois bien ça.
Voilà, vous savez pourquoi j’ai réagi comme ça l’autre soir. Veuillez pardonner le pauvre bougre que je suis. J’essaye de m’améliorer. Etre en paix.
Merci de m’avoir lu. A bientôt.
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