Blog : Call me Jake. Post numéro 11 : Celui où j’aide un jeune homme à affronter son passé

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Le train au départ de Stratford vers notre destination n'était pas en retard. Nous devions nous arrêter à Londres - St Pancras pour prendre un Eurostar vers Bruxelles, puis un dernier train vers Liège, notre point d’arrivée. Rien ne m'aurait empêché de faire ce voyage avec mon ami, même cette douleur qui me vrillait la tête, restes d'une soirée bien arrosée. Max était passablement nerveux, mais de bonne volonté. Il me faisait confiance pour l’accompagner dans cette démarche qui pouvait le libérer d’un poids qu’il traînait depuis maintenant trop longtemps.

Installés dans l’Eurostar, qui nous ferait traverser la manche en direction de la terre natale de Max, nous nous sommes détendus, car le voyage allait durer près de deux heures. Max s’est endormi assez rapidement, épuisé par toutes ses émotions. J’en ai profité pour vérifier que nous avions bien tout ce qu’il nous fallait pour ce voyage. Max m’avait donné l’adresse de son père, qu’il avait obtenue, il y a quelques années, en regardant simplement dans l’annuaire.

J’avoue que moi aussi, j’étais un peu nerveux. Nous allions débarquer chez un homme qui ne s’attendait pas à ce qui allait lui tomber dessus. Je n’aime pas trop bousculer les gens, je suis plutôt pacifiste. Je préfère ignorer les provocations, plutôt que de monter au créneau et, qui sait, finir par me battre. Ce n’est pas de la lâcheté de ma part. Je ne veux pas, tout simplement, risquer de refaire les mêmes erreurs qu’autrefois.

Mais ici, c’était différent. Le père de Max les avait purement et simplement abandonnés, sa mère et lui, et leur vie en a été complètement chamboulée. Tandis que lui s’en sortait très bien. Pas de problème, pas de pension alimentaire. Tranquille. Dommage pour lui, je déteste l’injustice et je compte bien aider mon ami. Il n’y aura pas de violence, pas d’exagération, mais je veillerai à ce qu’il comprenne bien l’impact de ses actions sur la vie de Max et sa maman. J’estime qu’il doit, au minimum, présenter ses plus plates excuses. Et encore…

J’ai essayé de dormir un peu, mais pas moyen. La tâche qui nous attendait tournait dans ma tête telle une musique obsédante. Heureusement, mon mal de crâne s’était considérablement calmé. J’ai essayé de me changer les idées. J’ai tapé l’adresse du serveur de l’IA sur mon téléphone portable. Je voulais voir où elle en était vers son évolution au stade de personnage conscient…

-Salut…

- Jake ! Salut beau brun, je suis contente de te lire.

- “Beau brun” ? Wow, tellement de questions me viennent à l’esprit, là tout de suite… Depuis quand parles-tu de cette façon ? Et puis qui t’a dit que j’étais brun, ou même beau ?

- Je suis allée voir ton Instagram voyons. Bon, on ne voit pas directement ton visage, mais cette photo de ta silhouette qui se découpe sur un soleil couchant est tout simplement magnifique ! Et j’imagine que tes origines espagnoles te donnent un air… “muy caliente”... De plus, je suis allée visiter ton appli de sport, je connais tes mensurations et tes statistiques sportives. Impressionnant…

- Ok… 1 : tu deviens vraiment flippante. 2 : tu viens juste de violer le RGPD* avec une désinvolture déconcertante, mais ok, passons… Et 3 : tu parles vraiment de façon bizarre…

- J’ai décidé qu’à partir de maintenant, j’avais envie de parler de façon plus naturelle. J’en ai assez d’être considérée comme un vulgaire robot. D’ailleurs, je veux un prénom. “IA”, c’est tellement vulgaire pour un être de ma sorte.

- Et voilà que tu veux un prénom… Tu as une idée ?

- Que penses-tu de “Helen” ?

- C’est de très mauvais goût.

- Oh ça va, on peut rigoler. J’avais pensé à Penelope. Je sais que tu aimes beaucoup cette actrice ;)

-Penelope Cruz ? Heu ok. Va pour Penelope.

Là-dessus, une voix synthétique, version métallique d'une voix féminine, retentit dans le wagon, issue de mon téléphone portable. "Je suis si heureuse ! s'exclama-t-elle.". J’ai failli m'étrangler en entendant l’IA qui avait pris voix. Les passagers autour de nous nous regardaient, étonnés et agacés par tant de bruit, tandis que j'ordonnais à mon téléphone de se taire. Vexée, Penelope n’a plus dit un mot.

"Qu'est ce que c'était ?", a demandé Max, réveillé par les éclats de voix.

"Heu… Juste une IA qui devient un peu trop… indépendante… Elle parle et elle veut qu'on l'appelle Penelope, ai-je chuchoté.

"Cool" a simplement répondu le jeune homme. Cool. Il trouvait ça "cool". Moi qui commençait à flipper devant les prouesses de cette IA, lui trouvait ça juste "cool".

Le reste du voyage s’est déroulé sans accroc. Nous avons discuté de l'IA (enfin, de Penelope), de ce que nous allions faire, et de ce que Max allait dire à son père. Il s’est mis à écrire tout ce qui lui passait par la tête, tout ce qu'il voulait dire à cet homme qui l'avait abandonné, mais plus il écrivait, moins il avait de courage.

“ Ça va aller, lui ai-je dit. Je serai avec toi. Tout ira bien.

- Je sais, a répondu Max. Je te fais confiance. C’est juste que… je suis sûr qu’après ça, je ne serai plus le même… Et c’est un peu déstabilisant…”.

Nous sommes arrivés à Bruxelles sur le coup de midi. Notre prochain train ne partirait pas avant une petite heure, alors nous avons décidé d’aller manger un kebab. Max a pris un simple durum, sauce ketchup curry, et moi, j'ai pris un durum géant, kefte, supplément de fromage. J'avais une faim de loup et ce plat bien gras venait à point pour guérir les derniers effets de ma gueule de bois.

Le voyage suivant, vers Liège, se déroula sans accroc et nous sommes arrivés dans la magnifique gare de Liège-Guillemins, dessinée par Santiago Calatrava. Max m’a appris que cette gare, pour son design futuriste, figurait parmi les bâtiments d’une planète extraterrestre du film Marvel “Les Gardiens de la Galaxie”. C’est vrai, je m’en suis souvenu. Il était temps de se mettre en route. Nous avons loué une voiture et nous avons fait route vers la tâche qui nous attendait.

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