Chapitre 1

5 minutes de lecture

Naïf : quelqu'un qui ignore le mal, le vice, la cruauté ; qui fait preuve d'un excès de confiance, de crédulité.

   C'est un naïf. Enfin, souvent. Et à chaque fois, il en a payé un lourd tribu.

   Son enfance passa et lorsqu'il décida d'être adulte, il fut confronté, pour la première fois, à l'étendue de la déception aride de sa naïveté.

   Tout enfant grandi, logiquement, avec le sentiment très confortable d'être aimé. Centre du monde et des attentions. Oui mais... Voilà, rien n'est gratuit. Rien n'a jamais été gratuit. Et quelle claque ! Quelle chute vertigineuse quand il constate, en finalité, n'avoir été l'objet que de spéculations. Une sorte d'investissement sur le long terme dont les géniteurs attendent un retour sur investissement. Non pas forcément en espèces sonnantes et trébuchantes. Davantage en satisfecit permettant de se gargariser sur ce qu'on a réussi à faire du rejeton. Bien entendu, les parents clameront haut et fort, bienséance oblige, que tout cela a été fait avec amour, pour le bien de l'enfant et, au prix de gros sacrifices. Les mêmes sacrifices d'un homme d'affaire misant de coquettes sommes sur une Start-up en devenir. Parce que tout se compte. Tout se monnaie. La bouffe, les fringues, les études, le matériel scolaire, les loisirs, l'argent de poche... Un gouffre à fric...Et je ne parle même pas des études supérieures... Il y a intérêt à ce que l'investissement en vaille la peine !

   Il y aura de l'amour, forcément. Ou pas. Cela arrive aussi et peut-être même plus souvent qu'on ne le pense et qu'on ne le dit. Plus qu'on ne le dit... Je suis contraint et contrit de devoir le préciser. Mais cela m'est impératif... à l'heure où tout ce qui est semble ETRE est monté et montré par les médias main-stream plus que démontré, et où tout ce qui est tu et occulté semble ne pas exister. « Ils l'ont dit à la télé ! » Amen ! Alléluia ! Hosanna ! Et tout ce qui n'est pas dit ? Ça ne fait point partie de mon Credo ! Peut-être, l'un ou l'autre, l'une ou l'autre, un peu moins intégriste, peut-être un peu plus intelligent, ou critique, soyons naïf, relativisera quelque peu... « Bah, ils n'en parlent pas... Ce ne doit pas être si prégnant ! » Ma foi...

   Bref, il y aura de l'amour, forcément. Ou pas. Lui, il a eu de la chance. Ses parents ont énormément investi en lui. Il était plein de promesses. Il avait un tel potentiel. Mais il a aussi été aimé. Cela rendait l'investissement peut-être plus léger. Mais, quoi qu'il en fut, il fut aimé. Il s'en persuadait. Même si... *

   Dans la solitude de sa nuit, pareille au feu qui s'éteignait dans l'âtre, les braises de ses réflexions allaient et venaient comme les rafales de vent au dehors. Le vent sifflait dans les volets et soufflait les branches des arbres tandis que la mélodie chorale de la chaîne Mezzo emplissait le salon de notes feutrées et d'une mélopée propice au recueillement. De temps en temps, quelques accords de violons aigus le sortaient de sa torpeur et de ses réflexions désabusées et le figeaient comme autant de clous sur la croix de son ressentiment, de son amertume, de sa déception, de son chagrin.

L'amour : désigne un sentiment intense d'affection et d'attachement envers un être vivant ou une chose qui pousse ceux qui le ressentent à rechercher une proximité physique, intellectuelle ou même imaginaire avec l'objet de cet amour. Eh oui... Même si...

   Devait-il se rendre à l'évidence ? Ce n'était guère aisé. L'évidence était lézardée, fissurée et laissait poindre un rai de doute dans lequel se dispersait, de manière confuse, un halo flou et poudreux d'incertitudes en formes de points d'interrogations. Un peu comme un rai de lumière tamisée qui s'insinue à travers un mur de pierre lézardé et crevassé mettant en exergue les grains de poussières qui flottent en apesanteur dans un silencieux mouvement évaporé.

   Il se souvenait de moments de tendresse, de complicité, d'affection. Jamais, il n'avait manqué de rien d'essentiel. A ce sujet, d'ailleurs, le speculoos trempé dans du café chaud au lait et sucré, le ramenait au goût sucré, agréable et parfumé des matinées de Saint Nicolas. Non, assurément, il avait été aimé. L'évidence n'était pas là, à cette période de son enfance. La crevasse a fracturé son univers lorsqu'il décida de devenir un adulte.

   Il lui aura fallu du temps pour devenir adulte. Trente-trois ans, à peu de choses près. Maintenant, il était dans son salon, en train d'écouter de la musique classique alors qu'une fois de plus, il était plongé dans son tourment.

   Il aimait bien sa maison. Perdue dans un village anonyme, dans un département anonyme... Une sorte de solitude qui lui plaisait, sans lui plaire pour autant. A peine trois-cent personnes. Et encore... en été.

   Un tout petit village, loin de tout. Abandonné des services publics, des commerces, des médecins, des artisans... Que des vieux. Quelques enfants et un tout petit peu de jeunesse turbulente, mal éduquée, déviante même. L'absence de tout n'est pas forcément très cadrante et dans cette absence de tout, tout peut y prendre racine. Ce ne sera guère souvent le mieux mais plutôt le pire qui en émergera. Le commerce le plus proche est à quinze kilomètres. La grande surface la plus proche, à cinquante kilomètres . Le poste de police le plus proche est à quinze kilomètres, comme le premier médecin, proche de la retraite, comme le premier boulanger. Un problème de vue et ce sont deux heures de route qui vous attendent. Un problème cardiaque et ce sera l'hélicoptère du SAMU parce que ce n'est pas le défibrillateur dans le caisson fixé au mur extérieur de l'église qui vous sauvera. Un incendie (on se chauffe encore au bois dans son petit village perdu) et la certitude de tout perdre dans les flammes avant l'arrivée des pompiers qui ne viendront que constater l'étendue et l'origine du feu.

   Heureusement qu'il lui reste une voiture. Elle se délite chaque mois un peu plus, mais elle roule encore. Jusque quand ? Question prégnante qui se pose souvent. Il en avait deux. Mais l'une a rendu l'âme. Heureusement que dans son couple, l'un des deux travaille. Ils travaillaient tous les deux. Mais avec une seule voiture, pour deux lieux de travail à plus de cinquante kilomètres et forcément à l'opposé, cela devient compliqué de se déplacer pour aller travailler. Surtout qu'avec un seul salaire et tous les coûts liés à cette désertification, la banquière, oppose une fin de non recevoir systématique à chaque demande de financement, pourtant argumentée. Il ne demande pourtant pas l'Amérique. Une simple voiture, toute bête, d'occasion, avec quatre roues et deux portières suffirait. Mais non. Il ne faut pas trop en demander quand on exige de vous toujours, et toujours et encore davantage.

   Il a atterri dans ce coin paumé, il y a une dizaine d'années.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Frederic Frere ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0