Le refuge

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Elle arriva en retard au café de l’Océan, elle portait un vieux jogging fuchsia et un pull tellement large qu’elle aurait pu y rentrer deux fois.

- Laisse-moi deviner…ta machine à laver est en panne et il y avait un pétard dans ta brosse à cheveux ?

Claudine esquissa un faible sourire en réponse aux paroles humoristiques de son amie.

Mais le cœur n’y était pas, sa migraine avait fini par disparaitre aussi mystérieusement qu’elle était apparue, mais le manque de sommeil l’empêchait d’apprécier la compagnie de Pénélope.

- Je vois bien que ça ne va pas, tu as ta tête de zombie des mauvais jours. Qu’est-ce qui te tracasse ?

- Je ne sais pas comment expliquer cela…tu vas me prendre pour une folle…

- Ça c’est déjà fait.

- Ha ! Ha !...De toute façon il n’y a que toi qui puisse m’aider…alors…Voilà…En ce moment, il nous arrive pleins d’évènements étranges, notre voisine s’est suicidée et Charlotte le savait avant que je ne découvre le corps. Hier, nous avons raté l’autocar pour la sortie au zoo de la Madeleine, elle a dit que si elle l’avait pris, elle serait morte et justement il y a eu un grave accident. Et puis, ce matin, j’ai reçu un dossier du refuge, tous les gens que le chien a côtoyé sont décédés ou presque. Charlotte affirme qu’il lui parle et je commence à croire qu’elle a raison. En plus, l’ancienne propriétaire avait aussi appelé son chien Perle. C’est comme si l’animal lui avait dit son nom. Il y a trop de coïncidences, je pense qu’elle est sous son emprise et que cela va mal finir.

Pénélope semblait soucieuse en écoutant les paroles de Claudine.

- Quand elle dit qu’il lui parle, est-ce qu’elle entre dans une sorte de… transe ?

- Oui, c’est exactement le mot qui convient : une transe.

- Effectivement tout cela est très inquiétant et me fait penser à un article que j’ai lu récemment. Ce sont deux chercheurs Australiens qui ont étudié les ondes émises par le cerveau. Ils pensent que certains animaux sont capables de communiquer avec les humains par la pensée, il suffit que les deux cerveaux fonctionnent sur la même longueur d’onde.

- Tu penses que c’est ce qui se passe entre Charlotte et Perle ?

- C’est possible, mais pour le savoir, Il faudrait réaliser un électroencéphalogramme et…

Le serveur vint interrompre leur conversation une fillette au téléphone voulait joindre Claudine de toute urgence. Son sang ne fit qu’un tour.

A l’autre bout du fil, c’était sa fille.

- Maman, vient vite, Tatie ne va pas bien.

Puis elle coupa la communication.

Claudine essaya en vain de rappeler mais la ligne était coupée et un message qui passait en boucle indiquait que le numéro ne pouvait plus aboutir. Paniquée, elle se précipita au secours de Michelle et pendant le trajet, les pièces du puzzle se mirent en place comme les rouages d’un engrenage, tout s’éclaircit dans son esprit. Elle devait se débarrasser du chien aujourd’hui sans plus attendre.

Dans le salon, Michelle était étendue sur le sol, inconsciente, elle avait vomi et sur ses bras apparaissaient des taches rouges sombres. Charlotte et Perle semblaient insouciants du drame qui se déroulait tout près d’eux.

Claudine sut immédiatement qu’il s’agissait d’une méningite foudroyante et elle devait faire vite si elle voulait sauver sa sœur.

Logan, le médecin de garde était un ami de Pénélope, Claudine les observait avec bienveillance en pensant qu’ils formaient un joli couple tous les deux, quand tout à coup une nouvelle pensée lui traversa l’esprit où elle prit racine et se développa, se transformant en évidence puis en certitude, le genre de pensée dérangeante à faire froid dans le dos, à vous glacer le sang : Charlotte avait une tumeur au cerveau et elle devait lui faire passer immédiatement une I.R.M et une électroencéphalographie, c’était une question de vie ou de mort.

Logan ne fut pas difficile à convaincre, il se démena pour obtenir les rendez-vous et les résultats tombèrent sans grande surprise, Charlotte avait une lésion au cerveau, il fallait faire une biopsie pour affiner le diagnostic mais le neurochirurgien était confiant, s’il s’agissait d’une tumeur, elle était de petite taille, facilement opérable et cela ne devrait pas laisser de séquelles.

L’infirmière posa sur la tête de Charlotte un casque couvert d’électrodes qui la faisait ressembler à une extraterrestre, elle lui expliqua que cela servait à mesurer les ondes émises par son cerveau. Puis elle regarda longuement l’écran, vérifia les différents branchements et finit par aller chercher un médecin.

Sur le moniteur il n’y avait aucune activité, c’était comme si le cerveau de Charlotte ne fonctionnait pas. La fillette semblait en transe, elle avait à nouveau ce comportement étrange que Claudine attribuait à la présence de Perle.

Pénélope modifia l’échelle de mesure sur l’appareil, si sa théorie était juste, les ondes qu’elle espérait apercevoir n’avaient jamais été répertoriées et leur fréquence était si basse qu’elles n’apparaissaient pas sur l’écran. Le nouveau réglage permis d’observer un tracé minuscule hésitant et faible.

Elle trouva un deuxième casque qu’elle posa sur la tête de Perle, le tracé obtenu était identique à celui de Charlotte. Les deux cerveaux fonctionnaient sur la même longueur d’onde, c’est de cette façon que s’établissait la communication entre eux, c’était comme pour recevoir une émission de radio, il fallait régler son transistor sur la même fréquence que l’émetteur, Perle était l’émetteur et Charlotte le récepteur.

Pénélope était très excitée par cette découverte, elle venait de prouver qu’un animal était capable de dialoguer par la pensée en réglant la longueur d’onde de son cerveau sur celle de l’être humain.

Quand le médecin s’approcha du moniteur, Claudine avait fait sortir Perle et rompu le lien qui l’unissait à Charlotte. Le tracé était tout à fait normal au grand étonnement de l’infirmière qui jura ne rien y comprendre.

Margot n’était pas au refuge ce jour-là et c’était mieux ainsi car Claudine redoutait de se confronter à la jeune femme si sympathique et de lui briser le cœur en ramenant l’animal.

Elle expliqua que sa fille avait de gros problèmes de santé et que la présence du chien n’était pas compatible avec le traitement qu’elle devait subir. La directrice lui jeta un regard sombre avant de répondre que cela ne la regardait pas et qu’il n’était pas nécessaire d’inventer des excuses quand on voulait se débarrasser d’un animal, le refuge était fait pour ça et elle n’avait de comptes à rendre à personne, Il suffisait qu’elle laisse le chien en partant sans autres formalités.

Claudine contempla Perle, une dernière fois, il la regardait avec des yeux si doux, si tristes, semblant la supplier de ne pas le laisser. Elle savait ce que cela représentait de l’abandonner ici, il serait euthanasié car personne ne l’adopterait, elle en avait la certitude. Elle eut un pincement au cœur et sentit une boule lui serrer l’estomac, elle eut envie de renoncer, de reprendre l’animal, de dire à la directrice qu’elle avait changé d’avis, qu’elle regrettait. Mais elle ne devait pas céder ni maintenant ni plus tard quand elle retrouverait Charlotte et qu’elle lui mentirait avec aplomb en lui affirmant que le chien s’était enfuit.

Au début, la fillette serait plein d’espoir, elle avait gravé son numéro de téléphone sur le collier au cas où le chien se perde, si quelqu’un le retrouvait.

Mais personne n’appellerait jamais, personne ne retrouverait le chien.

La directrice décrocha le médaillon du cou de l’animal et le tendit à Claudine.

Sur le petit collier en cuir était gravé Perle d’une écriture malhabile et enfantine, un objet pour ne jamais oublier, comme un souvenir marqué au fer rouge au plus profond de son âme. Elle quitta le refuge sans se retourner.

Dans la chambre de Charlotte, elle retrouva le panier du chien qui malgré son interdiction était toujours sur le lit, en le prenant elle fit tomber le coussin qui se trouvait dessus. Ses clés de voiture et son téléphone portable étaient là, dissimulés dans le panier. Elle écouta le répondeur et resta pétrifiée par le message qu’elle entendit.

- Bonjour Madame, monsieur Pablo à l’appareil, vous avez acheté une entrecôte à la boucherie ce matin, cette viande contient une souche virulente d’Escherichia Coli, il ne faut surtout pas la consommer. Rappelez-moi, pour me rassurer sur votre santé et celle de votre fille.

Perle leur avait sauvé la vie en enterrant la viande dans le jardin. C’était également lui, le providentiel voleur qui leur avait évité une mort atroce. Elle s’était trompé sur son compte, il n’était pas démoniaque mais bienfaisant.

Les migraines dont elle souffrait étaient bien provoquées par Perle, mais pas intentionnellement, il essayait juste de communiquer. Grâce à son sixième sens, il avait pressentit les catastrophes à venir et avait essayé maladroitement de l’avertir et voilà qu’elle venait de commettre l’irréparable en le ramenant au refuge.

Pénélope trouva son amie recroquevillée dans le panier de Perle, les genoux repliés sur la poitrine, le visage baigné de larmes, le regard dans le vide.

Elle avait perdu la raison et rien ni personne ne pourrait la faire sortir de son mutisme.

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