Laisser couler
Que laisser couler après l'avoir extirpé des vases d'antant ?
Les souvenirs flottent en surface. Il est facile de les recueillir avec une épuisette à filet vert.
Les ranger serrés collés dans des albums, des étagères à mémoire, des livres épais ou des tiroirs à secret.
Mais voilà que des balles invisibles, gorgées de traumatismes, jonglent à plusieurs attendant patiemment, parfois une vie entière, qu'un éclair surgisse pour jaillir tel un geyser de la caverne enfouie d'Alibobo.
J'ai mal aux racines des pères de mes lignées.
J'ai mal aux travers et aux guerres qu'ils ont endurés.
J'ai mal aux errances et mensonges déguisés sous l'immobilité et l'insuffisance.
j'ai mal aux morts-nés, aux sacrifiés, à leurs rêves crucifiés, aux déshérités.
J'ai mal du sang qui a coulé, des larmes qui ont tari, des plaies qui ont creusé des vallées de désunion, des tranchées dans les successions, des verbes partir et trahir.
Naître sur une terre, en être exilé, jamais plus ne poser les voutes de pieds dans les lits des rivières de son enfance. Ne pas être désiré. Souffrir d'exister. Ne pas être bienvenu. Courir à la rue.
Puis, sourire à la lune. Observer les étoiles à la brune. Prier qu'un coeur résonne aux battements du sien. Une main sur la poitrine. Laisser couler. Enfin. L'encre et le chagrin.
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