Philippe Djian, Marguerite Duras et l'animatrice radio (scène de vie 6)

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La nana qui anime l’émission radio sur Marguerite Duras a un look de despote foldingue. Une épaisse tignasse blonde et bouclée couvre sa tête et s’agite comme une mer démontée à chacun de ses hochements intempestifs. Philippe Djian la rejoint sur scène, la démarche gauche ne sachant pas trop comment placer son corps dans cet espace qui aimante les regards. Il porte une tenue décontract’, un jean clair, des bottes en cuir marron, une chemise en coton pâle.

Bien que l’un soit à côté de l’autre, il semble que des années lumières les séparent. Elle est petite, il est grand. Elle est agitée, il est calme.

Une femme longiligne aux cheveux court monte à son tour sur la scène. C’est la comédienne qui lira des extraits de textes de l’écrivain.

Le trio s’installe à une table équipée de micros en forme de cornets de glace.

Dans la salle, le public principalement composé de vieux et fervents lecteurs de Marguerite Duras, se fige. Tout à l’heure, lors de la présentation sommaire de l’écrivain, l’animatrice a commis quelques erreurs. Immédiatement, des réactions outrées se sont faites entendre. Non sans humour et habileté, la femme aux boucles d’or s’est dépêchée de les rectifier comprenant qu’elle jouait avec le feu.

Les trois protagonistes assis, l’émission peut commencer. Générique. L’animatrice présente Marguerite Duras, écrivain prolifique, elle a vécu au Viet Nam pendant son enfance, près du Mékong… Sa voix grave et tonique donne à ses phrases le poids du béton. Elle les assène comme des vérités irréfutables, galvanisée par ses notes qu’elle manipule théâtralement – tout comme ses lunettes qu’elle déplace régulièrement de son nez à son front.

Prenant des allures de chef d’orchestre, elle gesticule, bombe le torse, tressaute sur son siège. Sa chevelure extravagante fouette l’air. Elle semble en transe. Elle raconte le rapport difficile que Marguerite Duras avait avec sa mère et explique que c’est sans doute à cause de celui-ci qu’elle s’est mise à écrire. Puis elle se tourne vers Philippe Djian, le nommant et l’invitant à aller dans son sens. Gêné, ce dernier reste un instant coi. Les premiers mots qui sortent de sa bouche sont hésitants et pesés… Il ignore si Marguerite Duras a écrit à cause de sa mère, ce qu’il sait revanche c’est que son écriture l’a bouleversé. Une écriture si particulière, avec des répétitions et un souffle impressionnant et purificateur. Ce qu’elle a fait, personne ne l’avait fait avant. Elle est une des rares à avoir osé prendre des libertés dans la forme, provocant l’indignation de ses collègues, majoritairement conservateurs… Sa voix est chaude et profonde. Il prononce ses phrases avec conviction et lenteur. Comme dans une plaidoirie. Rendant un sincère hommage à l’œuvre de l’écrivain.

« Mais, Philippe Djian, tout de même ! » se récrie l’animatrice, vexée par son free style.

Et la voilà qui en remet une couche sur la relation houleuse entre Marguerite Duras et sa mère puis lance un extrait d’interview de l’auteur. Une voix caverneuse et ravagée emplit la salle, reconnaissable entre toutes, singulière dans l’impression qu’elle donne de ne s’adresser qu’à elle-même, de nier l’existence de son interlocuteur.

À la fin, l’animatrice en profite pour relancer Philippe Djian sur l’indéniable rapport entre la vie de l’écrivain et son œuvre. Nouveau silence circonspect de ce dernier.

Dans la salle, la voix irritée d’un spectateur s’élève : « Parle nous de son écriture, Philippe ! »

Croyant que cette intervention fait partie de l’émission, l’écrivain, à moitié sourd, lève les yeux vers les hauts parleurs.

Toute l’émission se déroulera ainsi. L’animatrice radio ne démordra pas de son point de vue et voudra à tout prix que Philippe Djian l’approuve par ses relances de plus en plus répétées et hargneuses. Et à chaque fois, l’écrivain bottera en touche, préférant parler uniquement de l’écriture de Marguerite Duras – Bref, un sympathique fiasco qui ulcérera le public avisé et le divisera en deux (les pros Djian et les pros animatrice radio). Avec ce mémorable grondement offensé lorsque l’écrivain dira qu’il se fiche éperdument des histoires de Marguerite Duras et qu’elles n’ont aucune d’importance à ses yeux, contredisant définitivement la femme à la chevelure foisonnante. Ou encore lorsqu’après un long laïus de celle-ci conclu par une question à son adresse, il restera longtemps muet, ne l’ayant pas entendu…

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