Balade en vieux vélib' (scène 11)
J’ai froid au départ. Mais c’est normal. Très vite, le corps chauffe avec les coups de pédale. La nuit tombe. Au bout de la rue, les tours de la Défense font penser aux éléments d’une station lunaire. Restaus et bars alternent, occupés par une clientèle jeune et huppée. Je prends la direction du bois de Boulogne.
Succession d’appart’ luxueux aux pièces spacieuses et aérées dans lesquelles on aperçoit parfois une personne seule et oisive. Les arbres me renvoient une forte odeur de printemps. On n’a pas du tout l’impression d’être dans la ville ici. Bulle de nature et de paix. Au niveau du palais des congrès, je rejoins la circulation. Robligé de faire gaffe. Les quatre roues mécaniques n’aiment pas les deux roues manuelles et ne se mettent pas à leur place (et puis quoi encore !). Une fille avec un chignon sur une monture semblable à la mienne semble me suivre. Nous débouchons sur un grand rond point vicieux. Caisses allant et venant comme des balles, comme si ce genre d’aménagement les excitait (c’est bien connu, le cercle emballe !). Les différentes artères de ce cœur en béton passées, je reprends ma traversée des beaux quartiers. La fille au chignon n’est plus derrière moi. À ma droite, des terrains de foot et de tennis. À ma gauche, de grands bâtiments aux vastes fenêtres exhibant leurs intérieurs somptueux, avec leurs plafonds hauts, leurs meubles raffinés, leurs tableaux incroyables. Personne sur les trottoirs. Juste les silhouettes rassurantes et stoïques des arbres. Parfois, la voix mâle d’un footballeur parvient jusqu’à moi : « Derrière ! Derrière ! » Je le cherche des yeux comme si j’avais le ballon. Une descente. Les habitations changent, moins pompeuses et tarabiscotées. J’aperçois un bout de parc des princes dans une rue adjacente. Nouveau grand rond point, occupé en partie par un amas de taxis garés n’importe comment. Je pense aux côtes que je vais devoir bientôt affronter. Il y a celle du pont de Garigliano et puis, plus loin, la plus dure, celle de la porte de Versailles, avec son faux plat pénible à la fin. Une Smart s’arrête juste devant moi et met ses feux de détresse, m’obligeant à faire un périlleux écart (juste derrière les express et les scooters, les pires prédateurs de vélo sont les Smart). Sur le pont, une femme aux cheveux noirs et bouclés martèle de ses talons l’asphalte. Je lui adresse un sourire que, d’un regard, elle balancera sans état d’âme par-dessus le parapet.
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