3/
Anima n'a pas menti quand elle nous a dit qu'elle allait venir avec un gars du deuxième cycle. Pour l'occasion, elle s'est faite belle comme un coeur ; ses cheveux blonds dégringolent en vaguelettes derrière son dos frêle, sa robe rouge retrace sa silhouette à merveille. Elle a l'air d'une poupée en porcelaine que son dégingandé de mec pourrait briser avec une innocente pichenette. Je suis certaine qu'elle s'est arrangée à venir avec lui pour attirer l'attention sur elle. Elle adore ça. Mais bon, chacun son péché mignon ! Quant à moi, J'ai fini par me rabattre sur ma robe rose pâle qui m'arrive aux genoux. J'ai finalement pris rendez-vous chez une coiffeuse pour me lisser les cheveux et j'en ai profité pour me maquiller légèrement le visage car je n'ai le moindre produit cosmétique chez moi, à part peut-être bien un seul baume à lèvres que j'ai fini par utiliser pour coller des enveloppes !
Et puis j'ai joué à un jeu très dangereux : j'ai espéré. Me trouvant belle et attirante, je me suis laissé aller à la tendre et innocente réalité d'une séduction. Je peux être intéressante et drôle quand je le veux. Je peux très bien le faire m'apprécier davantage pour une simple soirée de bal. J'ai espéré, et le sentiment le plus fort que la peur est l'espoir, enfin surtout selon le président Snow.
Le bal a lieu dans une partie ombragée de l'institut, où sont plantées diverses plantes et fleurs, ce qui rend l'endroit frais et très beau. Des chaînes de petites ampoules aux couleurs criardes serpentent sur le feuillage touffu des arbres, projetant des lueurs chaudes sur la scène de danse et les tables pleines d'amuse-bouches et de boissons. Mon cavalier qui se nomme Mohé m'a rejoint en costume bleu nuit très élégant qui contraste flagramment avec sa coupe de cheveux.
— Salut ! me dit-il, puis en me détaillant, il ajoute : tu es très belle. Le bleu de tes yeux est époustouflant !
Je lui rends son sourire, contente qu'il me trouve jolie tout en envoyant des ondes positives à la coiffeuse qui a eu la brillante idée de ressortir la couleur de mes yeux avec un maquillage simple mais efficace. Le bal ne se contente pas d'être une simple soirée dansante. Il y aura un tombola pour gagner des places à une excursion vers la forêt de Djikda et du théâtre.
— C'est très bien fait, la décoration, remarque Mohé en jetant un regard admiratif aux alentours.
Maintenant que le voile du soir se laisse tomber doucement, les ampoules électriques scintillent et illuminent les feuillages verts et le sol en ciment. On aurait dit des fées. On s'installe devant une table et on pioche des tartelettes qu'on déguste tout en parlant. J'apprends qu'il s'apprête à passer un stage, qu'il adore la cuisine italienne et qu'il collectionne les timbres. Et à ma grande surprise, il pose des questions sur moi.
— Et bien ! J'adore les romans d'Agatha Christie. On y apprend le nom de beaucoup de poisons, ça c'est indéniable !
Il rit face à mon ton goguenard. J'aime bien le fait qu'il apprécie mon humour noir. La plupart dit que mes commentaires leur font parfois froid dans le dos. Des amis à lui nous rejoignent. Il me présente. Et la musique commence. Des couples rejoignent la piste de danse et tournoient allègrement sous le ciel que se disputent les étoiles. Je sens son regard sur moi, puis sa voix me chuchote si j'aimerai danser. La chanson est très douce. Mohé pose sa main ferme et conquérante sur ma taille et m'attire à lui sans préambule. J'essaie de ne pas trop m'attacher à lui en passant mes bras autour de son cou car, à ce simple geste, j'irai beaucoup trop loin qu'une simple amitié naissante. Nous mouvons au rythme de la musique, et d'autres nous rejoignent. Je vois Ailil qui est assise plus loin à papoter avec un garçon de sa connaissance. Je n'ai jamais compris sa manie à dédaigner l'amour amoureux et prétendre qu'elle n'en a jamais ressenti.
Et alors que tout est pour le mieux, je sens un violent mouvement à ma gauche. Une personne me bouscule et l'instant après, un jet de mousse et de liquide me gicle au cou et éclabousse le devant de ma robe. Je reste un moment, étourdie, contemplant le désastre, n'ayant sur moi aucun papier mouchoir pour me nettoyer le cou de ce milk-shake.
— Je ne suis pas désolée.
Je lève les yeux vers la fille devant moi qui tient dans sa main l'arme de crime. Elle a un regard venimeux et arbore un maintien hautain qui m'intimide. Quelques étudiants qui ont remarqué l'incident regardent et je sens à leurs souffles leurs excitations de voir éclater une dispute entre filles. Je n'ai pas l'intention de me donner en spectacle.
— Pourquoi tu as fait ça ? Elle t'a rien fait !
Mohé juge avec un regard sévère la fille qui ne lui accorde le moindre regard. Je comprends alors que c'est sa supposée copine avec laquelle il est en froid.
— Allez tu dégages ! Va te laver et rentre chez toi. Ne joue pas avec les grandes, ma petite !
Elle fait un geste de la tête pour me désigner les bancs. Elle me dépasse d'une tête et semble avoir une force herculéenne, pas nécessairement des muscles, mais une rage et un audace cent fois pire. J'attends que Mohé prenne la parole, qu'il me défende contre cette injustice, mais il ne bouge pas d'un pouce. Il semble stupéfait et à la fois curieux de voir jusqu'à où elle irait pour lui. Ça doit lui plaire, lui enfler l'ego.
— J'ai une danse à continuer, et bien d'autres encore, je rétorque, en élevant légèrement la voix pour y masquer le trémolo.
Tout m'indique à laisser tomber, à lui laisser la place, mais je n'arrive pas à m'imaginer capituler aussi piteusement. Comment je suis supposée rester le reste de la soirée en sentant le regard de pitié des autres ? Comment je suis censée avaler le tort qu'elle m'ait fait ? Je refuse.
— Ah bon !
Et là sans avant-coureur, elle me balance à la figure le reste de son milk-shake. À présent, les danseurs ne font plus semblant de danser. Tout le monde regarde et prend plaisir à la tournure qu'à pris une innocente danse. Je crache et m'essuie le visage. Je me sens toute rouge sous le feu des regards. Mohé tient ses bras fermement autour de sa copine pour la maîtriser. Je dois partir avant que ça ne dégénère. Je vois son regard dément qui ne me dit rien qui vaille.
— Casse-toi !
Et j'obéis. La tête résolument basse, gênée et honteuse, je me hâte de disparaître. Sauf que mon ego me démange, il réclame sa part, son dû, son droit. Je passe à côté d'elle, puis brusquement, n'ayant décidé à aucun moment ce qui va suivre, je me tourne et lui décroche mon poing dans sa gueule goguenarde. Des sifflements fusent de toute part, la fille sous l'effet de la surprise et du choc, est tombée par terre, se tenant le nez qui saigne.
Et je pars aussitôt pour ne pas lui permettre de me tomber dessus davantage qu'elle ne l'ait déjà fait. On se souviendra longtemps de cette soirée. Moi je m'arrangerai pour l'oublier.
Annotations
Versions