Mes jambes balancent lentement dans le vide au rythme d'une oraison funèbre. Perché sur le toit d'un immeuble du Pioneer Square, j'observe au loin la rivière Willamette glisser paisiblement sous le Morrison Bridge.

L'accès à ce point culminant est normalement interdit. Je ne suis pas fier des méthodes auxquelles j'ai dû recourir pour m'y faufiler. Cela fait longtemps que je ne suis plus fier de moi.

Je voulais être en hauteur pour voir la ville mourir.

Quand Maze m'a demandé par où je souhaitais commencer, c'est naturellement que j'ai répondu « Portland ». Cette ville m'a ravi un être précieux. Je pense que cela suffit à annihiler toute trace de compassion en moi.

À vrai dire, j'espérais presque la sentir me hanter, la compassion, alors qu'en surplomb sur la ville, je me laisse envahir par les étincelles de vie de ses habitants. Rongés par le désespoir, l'amertume de ne pas parvenir à boucler leurs fins de mois, la haine envers les gens comme moi, mais aussi animés de la joie, du réconfort de retrouver une famille aimante. Pourtant, je ne ressens plus la moindre empathie. Comme si celle-ci m'avait été amputée il y a trois mois.

Je repère la trace de Bolden. La confirmation de sa présence donne au moins un sens à ce cirque.

J'imagine que si, en cet instant, un drone militaire se pointait pour m'abattre in extremis, ce serait pour le mieux. Mais rien ne vient. Alors, je fais ce que j'ai à faire.

Je lâche les écoutilles et il déferle en moi. La douleur vrille mon crâne et je ne connais qu'une manière de l'apaiser. Tel un prêtre adressant une offrande à un dieu de Terreur, je le laisse fuser sur la ville. Je peux sentir au creux de ma conscience ces milliers de flammes de vie vacillantes. La bourrasque souffle et les lueurs s'éteignent comme des bougies.

La ville est vide. La ville est morte. Et dans un éclair de lucidité, je saute du haut de mon perchoir, afin de les rejoindre.