1 - Arthur
William m’a giflé ! C’est la première fois en six ans qu’il a un tel geste envers moi. Je ne l’aurais jamais cru capable de me faire mal. C’est un peu de ma faute. Je n’aurais pas dû lui raconter ce qui s’est passé avec Arthur. Pourtant, notre contrat est clair, et notre mariage n’a rien changé : une petite aventure, pour autant qu’elle soit rapportée à l’autre, est sans conséquence. Lui ne s'en prive pas ! Du reste, je trouve qu’il les multiplie un peu trop. J’aime quand il me les raconte, car c’est toujours excitant. Et puis après, il me montre une telle fougue, que j’adore ! Comme s’il voulait se faire pardonner. Ou le plaisir de me retrouver. Il est toujours plus tendre ensuite. Je pense que je ne peux pas le satisfaire complètement : c’est mieux ainsi.
Lui me comble si parfaitement que je ne vis que pour lui. Il me montre si souvent son affection, son attachement ! Son sourire du matin quand il me voit après avoir ouvert les yeux, son regard quand il me possède, sont des bonheurs renouvelés chaque jour. C’est seulement ma deuxième aventure depuis tout ce temps. Je n’en ai vraiment pas besoin. Seul le hasard est responsable.
Arthur est en stage de fin d’études, pour trois mois dans ma boite. Normalement, c’est Étienne qui devait être son maitre de stage, mais il s’est cassé la jambe. Ça tombait bien, car nous sommes un peu charrette et Arthur nous renforce efficacement. Je l’ai mis dans mon bureau, d’abord parce qu’il n’y avait pas d’autre place, et surtout par facilité pour pouvoir l’accompagner en permanence.
Il me paraissait un peu timide, du moins très réservé, ce qui lui donnait un petit charme. Discret, on devine une grande agilité d’esprit. Une très bonne recrue. Je pense l’embaucher ensuite.
Pour une raison inconnue, nous nous sommes retrouvés seuls à la cantine. Cela n’arrive que très rarement. La semaine s’achevait et j’avais envie de prendre un peu de temps pour faire connaissance. Nous l’avions plongé dans le bain trop rapidement. J’aime connaître mes collaborateurs, établir une relation autre que simple collègue. Ce n’est pas toujours possible, mais cet esprit de camaraderie m’importe.
Arthur et moi étions issus de la même école, donc la conversation débuta sur la confrontation de nos expériences. Je compris qu’il était du genre solitaire, car, dans mes souvenirs, l’amitié tenait une place importante. Amitié et plus, puisque, inévitablement, des couples se formaient. Je ne pus retenir ma question :
— Tu ne t’es pas trouvé des amis ? Ou une petite amie ?
Je l’avais agrémenté d’un petit clin d’œil d’encouragement. Sa réaction me désarçonna : il devint rouge comme une pivoine. Instinctivement, je posais ma main sur son bras pour m’excuser. C’était l’été, il était en chemisette et la sensation de ses poils sous ma paume était étrange. William n’avait aucun poil, nulle part. La suite d’un traitement dans sa jeunesse, qui a heureusement épargné sa chevelure rousse, qui parait avoir concentré toute sa pilosité.
— Désolé. Je ne voulais pas te gêner, ni être indiscret.
— Ce n’est pas grave. J’ai deux amis, deux très bons amis, mais pas de petite amie.
— Tu n’as pas à me répondre !
— Excuse-moi. Je n’ai pas l’habitude de parler de moi. Je ne suis pas très intéressant !
— Au contraire ! On devine sous ta réserve une vie intérieure intense. Tu es intelligent, donc tout cela donne envie de te connaître. Tu peux aussi me poser toutes les questions que tu veux ! J’y répondrai ou non !
Mon compliment avait à nouveau déclenché un rougissement. Cela augmentait son charme et on avait une seule envie : me prendre dans les bras pour le caliner. Mon intuition me susurrait que cela ne lui était pas arrivé souvent. Sans le vouloir, je resserrais mon étreinte sur son bras et je sentis un retrait. Je le liberais.
— Excuse-moi.
— Il n’y a pas de problème.
Pas un, mais beaucoup ! Je le fixai, attendant qu’il relève la tête. J’avais remarqué ses yeux noisettes et je voulais y lire son ressenti, savoir si je pouvais poursuivre ou respecter sa distance.
— Vous… Tu es marié ?
— Oui, depuis deux ans. Pourquoi ?
— J’ai vu votre alliance. Vous avez des enfants ?
Étrange question ! En quoi cela intéresse-t-il un jeune de vingt-trois ans ? Je devinais sa maladresse, son envie de parler avec moi, sans parler de lui.
— Pas encore. On regarde pour une adoption, sans nous décider encore.
— C’est triste de ne pas pouvoir avoir d’enfants directement. J’ai une cousine qui a réussi à en avoir un par la PMA.
La tournure de notre échange devenait curieuse. Je le sentais prêt à aller plus loin. Apparemment, il était en confiance avec moi.
— La PMA ne peut pas grand-chose pour nous !
— Pourquoi ?
Je suis à peu près certain qu’il connaissait la réponse avant que je la formule. Et qu’il voulait savoir.
— Parce que, simplement, deux mecs ne peuvent pas faire un gosse ensemble.
Je tendis la main, dans un geste fraternel. Je voulais qu’il redresse la tête, que je puisse lire ce que je pensais. Je me retins à quelques centimètres de son visage. Il l’avait vue approcher, il n’avait pas eu de recul. Il ne fuyait pas le contact.
Je venais de lui faire mon coming-out. Ce n’était pas un secret, car mes collègues avaient fait la connaissance de William. Tout se passait bien. Je ne revendiquais rien, restait discret dans mon habillement. Mon orientation n’avait aucune importance. Mon bonheur seul comptait et cet équilibre était une précieuse qualité dans l’équipe.
Je ne voulais pas le relancer, attendant avec patience sa réaction. Il leva la tête, les yeux tristes.
— Vous avez de la chance !
Pauvre, pauvre petit être ! C’est donc ça ! Je ne peux pas lui demander. Je reprends son bras, je le caresse doucement, tentant de faire passer toute ma tendresse. Il en a tellement besoin. Dois-je lui dire qu’il peut me parler librement ? Ce serait faire injure à son intelligence et à sa sensibilité. Juste lui faire comprendre qu’il est en terrain amical.
— Tu sais, je suis content de te connaître ! Je te l’ai dit, on devine une belle personne. Tu es discret, j’aime cette qualité. J’espère que nous pourrons continuer à faire plus ample connaissance !
Ma pression sur son bras s’accentua. Qu’il l’accepte me réjouissait.
— On va prendre un café ?
C’est ainsi que tout a commencé.
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