27 - Christopher
Je restais encore incapable de bouger. Mathys venait régulièrement. J’étais maintenant dans une pénombre permanente, qui s'éclaircissait régulièrement.
Ne pouvant ni lire, ni regarder un écran, ni utiliser mes mains, il ne le restait que la conversation. Je découvris Christopher, personnage déroutant à plus d’un titre.
Son attitude envers moi avait complètement changé. Alors que mes précédentes tentatives de contact avaient été repoussées avec fermeté et gentillesse, il paraissait maintenant rechercher l’échange. Il me demanda la permission que nous soyons ensemble dans la même chambre. Je refusais, espérant la visite et les câlins de William. Mathys me fit comprendre qu’il n’était toujours pas prêt, et qu’il ne le serait pas avant longtemps. Normalement, j’allais pouvoir rentrer chez moi dans une dizaine de jours. L’appartement me serait-il fermé ? Ou vide ? Pourquoi William me rejetait-il ? L’épreuve n’était donc pas terminée ! Christopher se montrait trop chaleureux pour que je refuse sa compagnie.
Cette infirmerie, comme le reste, avait été aménagée dès le lancement du projet. La pièce était petite, et nos deux lits se touchaient.
Une psychologue accompagnait une partie de nos échanges, nous aidant à effacer les effets de la préparation, à recouvrer notre personnalité.
Après ses révélations sur Arthur, je lui demandai les siennes. Il commença par me dire qu’il faisait une thèse à la croisée de la philosophie, de la psychologie et des neurosciences. Il voulait trouver l’esprit humain ! Cette ambition me parut extravagante et prétentieuse, avant qu’il ne l’explique. Il était doué d’une intelligence des plus brillante, se trouvant dans le top 100 mondial. La plupart de ses semblables se rangeaient comme autiste asperger, présentant souvent de grandes difficultés de communication, au minimum.
En l’écoutant, je le trouvais peu clairvoyant sur son cas, car ses capacités relationnelles étaient des plus réduites, même si, depuis sa première visite, il se montrait très loquace. Il continua en m’expliquant que, un peu comme les mentalistes, il devinait d’emblée qui était son interlocuteur et ce qu’il allait dire. Connaissant d’avance la conversation, il l’estimait inutile. Par exemple, il m’avait jugé comme extrêmement brillant, sans doute intéressant à côtoyer, mais complètement perverti par ma sexualité débridée et mon masochisme outrancier. Je ne pouvais, maintenant, qu’accepter son analyse.
Il voyait dans cette épreuve abominable la possibilité de tester l’esprit et ses réactions dans un état de stress extrême, proche de la mort. Lui seul pouvait la subir pour en rendre compte. Il voulait donc partager avec moi la moindre bribe de ce vécu pour ses recherches. Il s’était beaucoup interrogé. Il se savait résistant à la douleur, puisque relativement indifférent au côté physique et bestial de l’existence.
Même s’il avait anticipé, il avait été emporté trop loin. Il regretta de ne pas avoir pensé aux hallucinations, quand je lui rapportai les miennes. Finalement, il n’était pas allé assez loin. Il fallait frôler le précipice. Sa rationalité le gouvernait trop. Il enviait ma folie qui m’avait fait accepter l’issue fatale.
Il avait aussi besoin de moi pour évacuer le traumatisme restant, car il n’y avait que moi qui pouvais le comprendre. Enfin, il pensait que je sortirais de l’épreuve débarrassé de mes dérèglements. Il reformula son jugement abrupt pour me demander mon amitié.
S’il était disert sur son travail, il restait réservé sur sa personne. Il regrettait de s’être présenté à moi en avançant ses capacités, car il se sentait tout, sauf supérieur. Il vivait plutôt sa perception et son analyse pointues comme un handicap.
De mon côté, j’étais charmé et je m’étais livré sans retenue. En m’excusant de mes pulsions, je lui avais raconté l’essentiel de ma vie, la recherche du plaisir dans les jeux sexuels avec des garçons et des hommes. Mes premières anecdotes ne paraissant pas le troubler, je m’étais permis des détails très précis. En en parlant, les sensations me revenaient et je m’emportais dans ces doux souvenirs. Il me regardait alors avec des yeux incrédules, intéressé par un monde apparemment inaccessible par lui. Pourtant, au club, exclusivement masculin, il était comme moi, encore plus nu, sans protection comme moi. Tout me ramenait à William !
J’avais constaté que, à l’instar des soumis, il était sujet aux sollicitations intimes, parfois appuyées. Je ne l’avais pas vu les éviter ou les fuir. Christopher était un condensé de mystères à découvrir.
Nous avions été descendus depuis quinze jours maintenant. J’étais assez remis pour participer, en héros, avec Christopher, à un repas qui devait clôturer cette période, d’autant que nous avions été avertis de l’annonce de son abandon définitif.
Le jour précédent, Christopher me fit une proposition étrange : il comptait écrire et publier un livre sur notre expérience. Trouvant sa vie sans intérêt, il voulait plutôt raconter la mienne, dont il savait maintenant à peu près tout. L’idée était de prendre ma place pour tenir la plume. Amusé de participer à ce travail, je lui dis oui.
Dans l’immense salle, une table ronde était dressée, avec trois couverts, à ma demande, pour évoquer la présence d'Arthur. D’autres tables, avec des bancs, la garnissaient. L’idée était que chacun puisse passer échanger avec nous. Sagement rangés, ils nous accueillirent sous les bravos et les hourras. Une forte émotion m’étreignait, car je percevais leur immense admiration pour notre parcours.
Mon ventre se serrait pourtant, car il aurait dû être au seuil de la salle pour m’accueillir, à moins qu’il ne soit caché au milieu d’eux pour me faire la surprise. Mon mari n’était pas là. Une profonde sensation d’abandon me fit pleurer, état que je tentais de dissimuler en les présentant comme des larmes de joie et de reconnaissance.
Nous nous assîmes au milieu de cette assemblée. Nous pouvions manger, même si tenir une cuillère était encore difficile, également gênés par les énormes pansements aux poignets, qui se transformaient en objets d'attouchements religieux.
Soudain, le silence se fit. Il était là, sous la grande porte. Qu’il était beau, uniquement vêtu d’un short, son torse puissant, sa chevelure de feu en bataille.
Je me levai et fis quelques pas vers lui, me retenant de courir me mettre dans ses bras.
William saisit un couteau sur le buffet.
— Pourquoi est-ce lui qui est mort ? C’est toi qui devais mourir !
Je me figeai. Tout revenait. Je lui appartenais, il était le maitre de mon destin.
— Tu n’as pas eu le courage d’affronter la mort ! Tu es un lâche. Tu m’as trahi.
J’avais accepté de me laisser décrocher, en baissant mes yeux, alors qu’il s’était transporté par l’esprit à mes côtés pour me soutenir. Il avait raison. Je n’étais plus digne de lui. Il me rejetait à jamais. Autant mourir de sa main !
Alors qu’il avançait, brandissant le couteau de boucher, j’ouvris les bras. Qu’il me prenne la vie, en échange de son pardon. Il accéléra, voulant m’ouvrir le ventre.
« Viens, mon chéri, c’est par toi que je veux disparaitre. »
Un des participants l’écarta en le poussant, lui faisant perdre l’équilibre. J’entendis le bruit de ses os cédant sous le choc de sa chute sur un banc.
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