33 - soins
Clothilde, comme à son habitude, ne répondit pas à ma proposition.
Pourquoi avais-je émis cette idée ? Le fait d’avoir accepté la mort d’Arthur avait laissé la place à un vide désespéré. J’étais retourné au club, sans vraiment avoir envie de participer : cela ne me concernai plus. De toute façon, après ce que j’avais vécu, ces divertissements m’apparaissaient pour ce qu’ils étaient vraiment : ridicules. Mon statut de héros et de victime se révélait ingérable.
Seul Christopher maintenait une relation appréciable, continuant à recueillir toutes les bribes possibles de mon existence. Il m’avait soumis les premiers chapitres de son texte. Lire sa vie, racontée à la première personne était étrange, comme une expérience de sortie de corps, ou de dédoublement de la personnalité.
Seuls les rapports avec Clothilde me rappelaient un monde vivable. Nous partagions la même douleur, le même manque, la disparition de notre moitié. Est-ce que cela suffisait à nous unir et à combler notre vide ?
Ce ne fut que deux jours plus tard qu’elle me répondit.
— Non, Jérôme ! Je ne vais ni t’aider, ni t’encourager à t’occuper de William. Depuis trois mois, nous sommes les seuls à aller le voir ; maman ne vient plus, car ça ne sert à rien, ni pour lui, ni pour ceux qui viennent. Si tu le fais, tu seras tout seul. C’est une charge très lourde. Elle va te bouffer la vie. Il est jeune et il peut tenir des dizaines d’années !
Soit je continuais cette vie partielle avec elle, soit je devenais un reclus soignant un fantôme.
Je suivis une formation, je fis modifier l’appartement pour transformer la chambre.
Avant de déménager, Clothilde m’annonça que leurs parents s’étaient opposés très fortement à ce changement. Une procédure était en cours pour que William soit mis sous la tutelle de leur père.
L’important était la mise en place de ma nouvelle vie. Ce n’est que lorsque William a été installé, que j’ai commencé à avoir des routines, que je suis allé au club. Je savais Sébastien de bon conseil, en tant qu’avocat. Il m’expliqua les implications et prit personnellement en main mon dossier.
L’arrivée de William fut un moment intense. Une fois installé, les ambulanciers et infirmiers repartis, notre seconde vie commune pouvait commencer. Jusqu’à présent, je lui avais tenu la main et, au pire, assisté à la toilette. Ce soir-là, j’étais seul devant le cadavre vivant de celui qui avait été mon amant, mon mari, ma raison de vivre.
Je lui parlai, inutilement. Je lui avais annoncé le changement, sans réaction. Quand la civière avait franchi la porte, son visage se crispa, comme lors de mes premières visites. À Berck, il s’était décontracté petit à petit, surtout depuis que Clothilde m’accompagnait.
Je retirai le drap. Son corps avait considérablement maigri. Pourtant, j’ai ressenti la même bouffée qu’à notre première rencontre. Ses cheveux avaient été coupés et maintenus très courts et de petits blanchiments avaient commencé à les ternir. Je décidai de les laisser pousser, pour retrouver sa tignasse, qui, comme celle de Samson, lui donnait sa force et surtout son charme. Malgré la déchéance des protections, le revoir ainsi me fit monter les larmes. Même diminué, il restait l’homme de ma vie, l’unique. Je le lui dis, le couvrant de baisers et de caresses. J’étais heureux qu’il soit à moi de nouveau. Je tentais un baiser sur la bouche, mais sa crispation des lèvres me retint. Je devais le reconquérir avant tout, certain d’y parvenir.
Il fallait le redresser pour le faire manger. J'y passais un temps fou, partageant son assiette. Nous étions à nouveau ensemble.
La première toilette fut délicate, avec le nettoyage et le changement des protections. Je fus étonné par son poids, malgré sa perte de musculation, du à son relâchement permanent. Une fois préparé, je lui souhaitai bonne nuit, avant de me relever plusieurs fois pour vérifier qu’il allait bien. À chacun de mes passages, je le trouvais avec les yeux ouverts. Peut-être ne dormait-il plus ?
Un ou une garde venait quand je partais au travail. Le rythme s’installa. Clothilde passait de temps en temps, plus pour me surveiller que pour son frère.
La procédure de tutelle avançait. L’objectif était que le tuteur demande le divorce, afin qu’en cas de décès, je n’aie rien, contrairement à notre contrat de mariage. Cela n’avait aucune importance pour moi, mais je transmis tout ça à Sébastien.
Caresser ce corps par les soins m’apportait une raison de vivre. J’aimais particulièrement les séances de gymnastique, tenant chacun de ses membres pour les plier et les tendre, car je sentais alors de la vie dans ce corps inerte. Ma thérapeute me répétait que j'avais trouvé un nouveau moyen d’expier, tout en retrouvant une soumission totale à William. Peut-être, mais j’y trouvais du réconfort.
Pour parfaire sa toilette, je lui mettais quelques gouttes de parfum, celui de mes amours !
Je voulais le rendre comme avant. Je retrouvai deux petites barrettes identiques aux siennes, pour les lui repasser dans les tétons. L’un d’eux ayant cicatrisé, j’acquis le matériel de piercing nécessaire, puis rouvris le passage. Je crois qu’il ressentait un petit quelque chose, lorsque je le titillais.
Lors des toilettes intimes, je reproduisais les caresses qui le mettaient en transe, sans obtenir de l’effet que j’appréciais tant, avant. J’estimais qu’il avait droit au plaisir, même sans le ressentir, alors je le masturbais entre deux doigts, sans oser profiter du résultat, ce que j’aurais considéré comme un abus.
Je voulais reproduire notre vie et nos échanges, qu’il revive cela que nous avions aimé partager.
Plusieurs mois passèrent, que je ne vécus pas, tout à mon amant. Ma grande satisfaction était le relâchement progressif de sa crispation, dont je m’attribuais le mérite.
Nous approchions du premier anniversaire de ma crucifixion et de son accident. Je le lui dis. Son visage se referma. Quelques jours après, alors que je déposais un léger baiser sur ses lèvres, qu’il acceptait maintenant, j’entendis des borborygmes. En tendant l’oreille, je crus comprendre :
— Jer… partir… aide…
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