35 - David
— Excusez-nous…
Une dizaine de scouts, sac au dos et short se tenaient devant moi.
— Bonjour, monsieur.
— Bonjour.
— Je crois que nous nous sommes perdus…
— Effectivement, vous êtes dans une propriété privée.
— Désolés ! Nous allons partir. Vous pouvez nous indiquer comment sortir, s’il vous plait ?
Pas très forts, les petits scouts, malgré leurs téléphones et leurs cartes ! Cela m’amusa et j’échangeai quelques mots avec eux. Surtout, j'étais fasciné par la blondeur de celui qui paraissait être le chef. La soirée était avancée et il cherchait un endroit pour poser leurs tentes. Une pelouse, un peu plus loin dans le parc, offrait une belle possibilité. Je me permis de leur donner l’autorisation, leur indiquant qu’ils trouveraient de l’eau et des toilettes dans la maison, sans problème d’accès.
Je rejoignis mes camarades pour le diner, leur demandant, pour ce soir et demain, de ne pas se promener dans des tenues trop choquantes. L’information d’une bande de petits jeunes fit apparaître des lueurs et des blagues égrillardes. Je les connaissais et savais pouvoir leur faire confiance.
Le début de nuit était doux, et je poussai jusqu’à la pelouse pour m’assurer que mes petits protégés étaient bien installés. Leur responsable n’était pas là, mais quelques mots me permirent de constater qu’ils étaient contents de leur bivouac.
Je retrouvai mon lit et mes cauchemars, le sommeil m’ayant quitté depuis longtemps, ne m’accordant le repos que dans la tourmente. La matinée fut consacrée aux documents de la succession, Sébastien se montrant particulièrement attentif à m’impliquer dans les conséquences. Ce n’est qu’en début d’après-midi que je pus reprendre mes pérégrinations. La présence des tentes m’énerva un peu ; ce n’est pas ce dont nous avions convenu.
J’étais assis dans le vide de mon esprit quand, comme la veille, j’entendis des pas derrière moi.
— Continuez, les gars, j’arrive !
Je n’avais pas remarqué l’onctuosité de cette voix, d’où gentillesse et joie se dégageaient.
— Excusez-nous, monsieur, mais un de nos camarades est malade. J’ai essayé de vous trouver ce matin, mais personne n’a pu me renseigner. Je pense que nous allons partir dans l’après-midi.
Il se tenait devant moi, m’offrant le spectacle de ses jambes adorables, que je m’efforçais d’éviter en le fixant. C’était peut-être pire, son visage embué d’une barbe d’un jour, si joli et mature, rayé d’un sourire à me damner.
— C’est stupide ! Vous partirez demain matin ! Ou plus tard, quand votre ami sera sur pied.
— Merci à vous. C’est très gentil.
Il aurait pu partir, il aurait dû partir à ce moment. Il ne le fit pas. Pour briser une petite gêne qui apparaissait, je le questionnai sur leur périple. Il répondait avec aisance et franchise.
Il rompit un nouveau silence par une remarque :
— C’est bizarre ici !
— En quoi cela te parait-il bizarre ?
Mon tutoiement instinctif ne le gêna pas.
— Je ne sais pas. Apparemment, il n’y a que des hommes ici, avec des tenues bizarres…
— Tu as remarqué ?
Je lui fis signe de s’asseoir. Il se posa à côté de moi. Je ne voyais plus son visage, mais ses merveilleuses jambes. Depuis combien de temps n’avais-je pas rêvé sur un garçon ?
— Tu as raison ! Ce ne sont que des hommes, qui se réunissent entre eux, pour jouer entre eux.
Il attendait la suite.
— Des jeux très spéciaux ! Tu veux des détails ?
— Non, non ! Vous en faites partie ?
— J’en ai fait partie…
— Et cet endroit ? Vous y étiez hier, vous y êtes aujourd’hui. Il n’y a rien, à part ces bancs en pierre…
Pourquoi lui parlai-je ? Il dégageait une pureté troublante. Était-ce pour le souiller, en lui montrant la réalité du monde et des âmes ?
— C’est un ancien calvaire…
— Comment ça ? Il y avait ici une croix avec un Christ dessus ?
— Non ! Un vrai calvaire, avec des hommes crucifiés.
— Ce n’est pas possible ! C’était un supplice romain ! Ou alors, il y a très longtemps !
— Non, il n’y a pas très longtemps…
Je le sentis abandonner toute joie, se concentrer sur ma réponse.
— Je ne comprends pas…
— Avec ces jeux très spéciaux, certains ont voulu aller plus loin…
— Des fous ?
— Je ne sais pas ! Tu sais, cela se faisait en Italie, dans le temps. Juste avant Pâques, un volontaire était mis en croix le Vendredi saint. Juste attaché. Mais plusieurs sont morts…
— Et ici ?
— Ici, ils ont été cloués par les bras.
J’entendis l’accélération de son cœur.
— Il y a longtemps ?
— Un peu plus d’un an…
— Ils sont morts ?
— Ce n’était pas le but. Mais, oui, un est mort sur la croix. Il avait vingt-quatre ans. Il s’appelait Arthur.
— Ils étaient combien ?
— Trois.
— Vous y étiez ?
La question était assez ambiguë pour que je réponde par l’affirmative.
— Pourquoi ?
— C’est la question à laquelle je voudrais répondre…
— Je vais vous laisser. Je suis désolé pour le jeune homme.
— C’est moi qui suis désolé de t’avoir perturbé avec mes histoires.
— Ce n’est rien. Vous aviez sans doute besoin d’en parler…
— Peut-être. Bonne fin de journée…
— David ! Je m’appelle David.
— Très heureux de te connaitre. Tu parais être une belle personne, David ! Moi, c’est Jérôme.
— Enchanté, Jérôme. Merci pour le compliment !
Le ton était trop poli. Je sentis un besoin de complément, sans oser le solliciter.
— Ça va ? Vous êtes bien installés ?
— C’est super ! Merci pour votre accueil, car, par ici, tout est clôturé ! On n’aurait rien trouvé !
— Tant mieux alors !
Il fit deux pas.
— Vous restez longtemps ici ?
— Jusqu’au diner…
— Je… je peux revenir vous voir ?
— Bien entendu, David !
— Merci… Jérôme.
Pourquoi mon nom dans sa bouche retrouvait-il une saveur oubliée ?
Il revint peu de temps après. J’étais en t-shirt. Il reprit sa position, mais je sentis mes poignets chauffer sous son regard. Il avait donc compris !
Il se taisait, ne sachant apparemment par où commencer. Je le laissai choisir l’ouverture : l’homosexualité, le sadomasochisme, la crucifixion ; les trois interrogations qui le préoccupaient.
Il restait silencieux. J’appréciais sa présence à mes côtés. Visiblement, il attendait, ne sachant comment débuter.
— Tu voulais quelque chose, en revenant ici ?
— Non… Enfin… Je ne sais pas.
— Tu as l’air intimidé. Parle-mode vous, de votre troupe, d’où vous allez…
J’avais dit scouts, mais ils étaient des éclaireurs, donc laïcs. Ils venaient de T*, ce qui expliquait leur diversité, qui m’avait frappé. Ils voulaient faire le tours de l’île de France, sur le GR11, un petit bout, pendant une semaine.
— Votre copain va mieux ?
— Oui, oui. On part demain.
— Tu es revenu pour parler de ces mecs bizarres et de ce que je t’ai raconté ?
Il me raconta sa petite vie, trop pleine d’interrogations. Il appartenait, comme moi, à un milieu modeste. Il était entré aux éclaireurs, depuis ses onze ans, car il aimait la camaraderie des garçons. Il se posait des questions sur ses préférences. Il avait cherché sur internet, était tombé sur du porno, qu’il regardait avec plaisir. Ce qu’il ne comprenait pas, c’est qu’il n’ait jamais rencontré un garçon comme lui. Il ne savait pas les reconnaître et avait peur de faire une proposition. Il n’avait pas osé en parler avec sa mère, bien que plusieurs fois, elle avait parlé de façon ouverte des homosexuels. Son père, qu’il ne voyait que de temps en temps, avait un ami qui était gay.
Il avait compris que la maison abritait des homosexuels, que j’en étais sans doute un. J’étais le premier qu’il rencontrait vraiment, et il avait eu l’impression que je pourrais lui parler de ce que c’était.
La conversation était laborieuse et il nous avait fallu presque une heure pour en arriver là.
Je le sentais soulagé. Il me le dit, heureux de pouvoir échanger facilement. Je lui donnai quelques indications, le rassurant avant tout. Il était tard, nous ne pouvions continuer. Nous échangeâmes nos numéros, lui faisant promettre de m’appeler à la moindre question. Sa démarche était aussi mignonne que lui.
Le lendemain, ils avaient déguerpi. Je reçus un SMS de remerciements, sans que je sache si c’était pour le bout de pelouse ou pour notre conversation.
Le jour d’après, il me souhaita un bon anniversaire. Je le remerciai, l’excusant de son erreur, puisque la date du mien était déjà passée. Il me répondit, joyeux, que nous étions du même signe, en me donnant sa date de naissance. Il avait dix-neuf ans, onze de moins que moi. Ce n’est qu’après que je comprendrai qu’il voulait me donner son âge.
Chaque jour, quelques petits mots m’arrivaient, comme s’il craignait de rompre ce petit lien. Cette attention et cette répétition m’amusait. Je m’en rendis compte le jour où aucun message ne me parvint, suivi le lendemain d’excuses et d’explications.
Il entrait en fac. J’avais le droit à des détails anodins. Deux jours avant le début des cours, il paniqua, car il y avait eu une erreur dans l’attribution des chambres. Il n’avait plus rien et il était à deux heures et demie de l’université, qui se trouvait à une petite demi-heure de chez moi.
C’est ainsi que ma deuxième commença.
(et que ce récit s'achève !)
Annotations
Versions