Chapitre 16 (deuxième partie)
La nuit était là désormais et alors qu'Héloïse avait déjà gagné la chambre, je demeurai un moment avec nos invités. Si quelques-uns avaient pris congé, beaucoup resteraient jusque tard dans la nuit. Nous avions écourté le bal, Héloïse ne tenant plus debout et s'il était bien une chose que je ne voulais pas voir sur son visage, c'était une vaine tentative pour retenir des grimaces de souffrance causées par une station debout trop prolongée. L'ouverture du bal par deux piètres danseurs comme nous aurait bien amusé Ed et Malcom et je regrettais presque qu'ils ne fussent pas là pour y assister : très certainement que cette anecdote aurait enrichi le large éventail d'histoires drôles qu'ils racontaient déjà à qui mieux mieux.
Grâce à la complicité de François, je pus m'éclipser discrètement et je montai l'escalier d'un pas mesuré. J'avais hâte de retrouver Héloïse, mais je m'inquiétais aussi un peu. Sur mes épaules pesait la responsabilité de réussir notre nuit de noces, de créer entre nous une intimité complice, tendre et, si possible, passionnelle. Cela me paraissait être tout un défi à relever.
Je franchis la dernière marche et pris une profonde inspiration. La porte de sa chambre se trouvait sur ma droite, à peu près au milieu du couloir. Mes pas furent étouffés par l'épaisse moquette rouge sombre toujours soigneusement brossée. A Inverie, comme à Dunvegan d'ailleurs, il n'y avait point de moquette au sol, mais de solides planchers de chêne ou de châtaignier.
Je m'arrêtai devant la porte, frappai un petit coup sec et entrai. La chambre était éclairée par plusieurs chandeliers. Il y faisait bon, car la chaleur de la journée était entrée dans toutes les pièces orientées au sud. De lourdes tentures avaient été tirées devant la fenêtre, nous cachant ainsi la lumière de la lune, mais aussi celles des lampions qui avaient été disposés dans les jardins.
Héloïse était assise dans une des bergères, devant une table basse et ronde. Sa chambre était spacieuse et, de ce que je pus en juger à cette heure, elle devait être plutôt lumineuse dans la journée. Une grande penderie couvrait tout le mur derrière elle, là où étaient rangées ses robes. Une coiffeuse installée contre le mur du couloir et un long paravent près de la fenêtre complétaient l'ensemble. Au milieu se trouvait un large lit. Notre lit.
Elle avait été apprêtée pour la nuit. Sa robe de mariage lui avait été retirée, et je devais bien avouer que j'en étais quelque peu soulagé. Je n'avais guère envie de batailler durant la moitié de la nuit à lui enlever boutons et lacets, rubans et attaches diverses. Elle portait simplement une longue chemise blanche, aux manches froufroutantes, et un pantalon assorti. Ses pieds fins étaient glissés dans des mules. Si elle ne portait plus sa robe, ni son voile, mais sa chevelure n'avait pas été décoiffée et elle était toujours ornée des boutons de rose et de chardon. Elle me sourit un peu timidement en me voyant entrer.
Je m'approchai d'elle et pris place dans le fauteuil face au sien. Puis je lui saisis les mains et les caressai doucement, insistant un peu sur l'anneau qu'elle portait désormais et qui était le seul bijou à orner ses doigts longs et fins. Elle poussa un léger soupir et je vis une ride se creuser entre ses sourcils, juste à la naissance de son nez.
- Etes-vous fatiguée ? demandai-je doucement.
- Un peu, oui, mais... cela va encore. Cela fait un moment que je suis assise et ma jambe se repose aussi.
- Héloïse, je voudrais vous demander quelque chose.
- Oui ?
- Maintenant que nous sommes mariés, acceptez-vous que nous nous tutoyons, du moins quand nous sommes seuls ?
Elle me sourit et la ride s'effaça un instant.
- Oui, je le veux bien.
- Alors, ma si douce, je voudrais te dire que je suis très heureux ce soir, très heureux de cette journée et d'avoir épousé une femme magnifique, courageuse et vive d'esprit, mais aussi de cœur. Et j'espère en être digne jusqu'à la fin de mes jours.
- J'espère être une digne épouse aussi...
Je vis la ride se creuser à nouveau et cela m'alerta.
- Quelque chose te soucie ?
Je la sentis hésiter.
- Et bien... Je crains un peu ce qui va arriver. Et même, pour tout dire, poursuivit-elle avec un certain courage, cela m'effraie.
- Je peux le comprendre. Je suis un peu... ému, moi aussi. Et bien conscient des responsabilités qui m'incombent. Mais il ne faut pas avoir tant de crainte que cela.
- Ma mère... m'a parlé ce matin. Avant la cérémonie.
Je hochai la tête : c'était son rôle. Je ne voyais là rien d'alarmant et pensai qu'elle l'avait rassurée au mieux. Héloïse poursuivit :
- Elle... Elle m'a dit que... au début, c'était douloureux et puis... que ce n'était pas très agréable, mais qu'il fallait accepter et...
Elle bougea lentement la tête, un peu perdue face à l'inconnu qui s'ouvrait devant elle. Je serrai un peu plus fort ses mains entre les miennes, puis je lui dis :
- Ma douce... Viens t'asseoir sur mes genoux. Nous serons mieux pour parler.
Elle hésita un instant, puis se leva et je lui ouvris mes bras pour qu'elle vienne s'installer. Même ainsi, mon visage était encore un peu au-dessus du sien. Je la pris contre moi un moment, respirant avec délice le léger parfum exhalant de ses cheveux. Sa tête reposait contre mon épaule.
- Héloïse, il faut que tu saches une chose... Jamais au grand jamais je ne te ferai le moindre mal. J'en serais incapable. Je... Je ne le supporterais tout simplement pas. Et ensuite... Je ne saurais dire pourquoi ta mère t'a parlé ainsi, sans doute est-ce sa propre... expérience, mais... ce qui lie un homme et une femme dans l'intimité est source de grande joie et de profond plaisir. Ce sont des moments merveilleux à partager. Et je veux qu'il en soit ainsi entre nous. Toujours. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que cela soit ainsi. Et à commencer par ces premiers moments. Oui, je sais que cela peut être un peu douloureux, la première fois, mais pas au point que cela te fasse mal comme ta jambe te fait mal parfois.
Je glissai ma main sur sa nuque et écartai son visage de mon épaule pour la regarder. Je plongeai au creux de ses yeux bleus, interrogatifs, encore un peu inquiets, mais confiants en moi.
- Je serai le plus doux possible, sois-en certaine. Je t'aime.
Nous restâmes quelques instants à nous regarder. Puis je vins prendre ses lèvres avec tendresse, soulagé de pouvoir enfin l'embrasser et lui manifester ainsi mon amour. Elle me répondit avec un peu d'hésitation, puis je sentis qu'elle se détendait et retrouvait confiance. Je prolongeai alors notre baiser et ma main se posa sur sa cuisse, puis dans son dos, la caressant lentement. Enfin, je vins chercher le lacet qui refermait sa chemise et le dénouai. Par les pans écartés, mes doigts frôlèrent sa peau et je sentis bientôt la naissance d'un sein doux et rond.
Elle rompit notre baiser et s'écarta de moi alors que ma main ne bougeait plus, deux doigts posés sur son petit téton.
- Tu me le promets ? me demanda-t-elle.
- Je te le promets.
Et ma main quitta son sein, écarta un peu plus la chemise de façon à l'ouvrir largement et à la faire glisser jusqu'à sa taille, dénudant ainsi son buste dans la clarté vacillante des bougies.
Puis, la retenant fermement contre moi, je me levai et la portai jusqu'au lit où je l'étendis soigneusement. L'instant d'après, je me couchai, nu, à ses côtés.
**
Les mots de Kyrian résonnaient encore dans ma tête, se bousculant avec ceux de ma mère, les heurtant comme s'ils avaient tous mené bataille. Etendue sur le lit, je goûtais à ces premières caresses qui achevaient de me dévêtir. Je me sentis rougir sous le regard de Kyrian, mais je ne pouvais lire qu'amour, tendresse et chaleur dans ses yeux dont le vert me sembla plus profond. Mais peut-être était-ce simplement dû aux ombres de la nuit ?
Il me caressait lentement, sans hâte aucune, découvrant mon corps et me le faisant découvrir. Il s'était couché sur le flanc, suffisamment près de moi pour que je ne puisse ignorer sa présence, mais assez loin cependant pour ne pas m'écraser.
- Tu es belle, Héloïse... J'ai beaucoup de chance..., me sourit-il.
J'esquissai un léger sourire moi aussi. Je n'osais pas trop le regarder, mais de ce que j'avais vu, je devais bien reconnaître que j'avais moi aussi beaucoup de chance pour cet aspect des choses. Son torse glabre était musclé, ses épaules larges. Ses jambes étaient tout aussi solides que je l'avais deviné au cours de nos promenades. Il possédait aussi une aisance et une souplesse à se mouvoir. Quant à son sexe... Je fus impressionnée, mais j'allais vite comprendre que je n'avais pas à en avoir peur. Après tout, il était le premier homme que je voyais nu... Il y avait de quoi se sentir comme une toute petite chose fragile et intimidée.
Je commençais à me détendre sous ses caresses et à goûter à cette chaleur latente qui m'envahissait. Je découvrais aussi combien je pouvais être sensible et quand il referma ses lèvres sur la pointe d'un de mes seins, je ne pus m'empêcher de laisser échapper un long gémissement de plaisir. Tout ce qu'il me faisait était délicieux et je me demandais bien pourquoi ma mère m'avait parlé de choses "peu agréables"... Je ne trouvais pas cela désagréable du tout, bien au contraire, et pour rien au monde je n'aurais voulu que Kyrian s'interrompît.
Ma respiration s'était accélérée, sa bouche n'avait pas quitté mon sein, mais sa main caressait maintenant mon ventre, puis ma hanche et le haut de ma cuisse. Elle se glissa lentement entre mes jambes, les écartant un peu d'une légère pression.
Oh, mon Dieu ! Il n'allait pas me toucher là, quand même...
Et... Oh, mon Dieu... Que c'était bon !
Les doigts de Kyrian parcouraient maintenant mon intimité et je vibrais intérieurement d'un feu dévorant. Je sentis monter en moi quelque chose de très fort, et j'eus l'image d'un tronc d'arbre arraché un jour à la rive par une tempête et charrié dans le courant du fleuve. J'étais comme cet arbre, emportée et ballotée vers une terre inconnue. Un éclat de feu me transperça, je me cambrai sans pouvoir retenir mon cri et je m'effondrai sur le lit, le cœur battant, le sang courant vivement dans mes veines, le souffle court. Ma tête retomba, pauvre petite chose molle, sur l'oreiller. Les yeux fermés, je savourais encore les dernières ondes chaudes qui se répandaient dans mon corps.
Quand je les rouvris, le sourire de Kyrian fut ce que je vis en premier. Il avait l'air très heureux et confiant. Je me sentis confiante aussi, soudain. Et ce fut comme si toute peur avait disparu. J'étais avec lui. Et j'étais bien. Il m'embrassa à nouveau, profondément et longuement. Puis il me dit :
- Ce n'était qu'un avant-goût... Mais... Etait-ce peu agréable ?
- Non, oh, non..., répondis-je encore un peu haletante. Est-ce... toujours ainsi ?
- Cela le devrait, me dit-il avec sérieux.
Mais déjà ses mains reprenaient ses caresses, faisant renaître le désir en moi.
Cette fois, il se montra tout aussi attentif, mais plus précis, insistant déjà sur certaines parties de mon corps et s'étendant sur moi. Si j'avais aimé ses baisers, ses caresses, sentir son corps sur le mien, sa peau contre ma peau, fut un nouveau délice. Et les mots de ma mère quittèrent mon esprit, remplacés par une lente litanie qu'il murmurait à mon oreille en gaëlique. Je ne comprenais pas ce qu'il me disait, mais cela n'avait aucune importance. Ces mots possédaient un charme envoûtant, et je pouvais percevoir à travers la chaleur de sa voix toute la force de son amour pour moi.
Il se redressa un peu, son visage au-dessus du mien, ses boucles tombant dans son cou. Son corps luisait de sueur et le mien de même. Je ressentis à nouveau cette impression qu'un gouffre s'ouvrait en moi, que j'avais terriblement besoin de quelque chose et que lui seul pouvait me l'apporter. Il écarta à nouveau mes jambes, mais un peu plus largement cette fois et je sentis ses hanches se coller aux miennes.
Le vif, mais bref, éclat de douleur qui me traversa alors me surprit car je ne m'y attendais pas. Je fermai les yeux, me mordis la lèvre, mais un cri m'échappa quand même. Kyrian ne quittait pas mon visage des yeux et il pouvait y lire toutes mes réactions, mes impressions. Il s'immobilisa alors en moi, reprit mieux appui sur ses bras tendus.
- Héloïse... Regarde-moi, mon amour... Regarde-moi...
Un peu hésitante alors que la douleur refluait déjà, je fis ce qu'il me demandait. Et je me sentis fondre à nouveau sous son regard magnifiquement amoureux.
- Là... Mon amour... Là... C'est passé... Je vais être doux... Regarde-moi...
Je m'accrochai à son regard comme si c'était mon seul espoir de survie, alors qu'il entamait de lents mouvements en moi. Je crus que la douleur allait revenir, mais ce fut à nouveau la même chaleur qu'il m'avait déjà fait connaître. Je ne fus pas longue à m'abandonner à ces sensations qu'il déclenchait en moi, plus intenses encore que l'instant précédent.
- Je te désire si fort... si fort...
Ces mots m'achevèrent, le plaisir éclata dans mon ventre en mille soleils. Et son grognement rauque, l'instant d'après, fut la dernière chose dont j'eus conscience avant de me perdre tout à fait.
**
Le jour était levé depuis longtemps, mais je n'en avais cure. Héloïse dormait encore, entre mes bras, et pour rien au monde je ne l'aurais réveillée. La journée d'hier avait été longue pour elle, et fatigante malgré ses dires. Et cette nuit... Nous n'avions pas tant dormi que cela.
Sa tête reposait sur mon torse, ses jambes étaient emmêlées aux miennes. La masse sombre de sa chevelure s'étalait sur ses épaules et jusque dans le creux de son dos. Son souffle lent et régulier venait caresser délicatement ma poitrine. J'étais bien. Je jetai un regard vers sa table de nuit et je pus constater que si le bouton de rose qu'elle avait porté toute la journée avait flétri, la fleur de chardon quant à elle était encore belle. Cette plante était vigoureuse et résistante, on n'en venait pas à bout ainsi... C'était ce que ces diables d'Anglais devaient se dire parfois, mais nous serions toujours le chardon dans leurs bottes, à leur piquer le pied et à nous montrer récalcitrants, peu enclins à baisser la tête et à nous laisser dominer.
En Ecosse, après un mariage, on laissait généralement les jeunes époux tranquilles après leur nuit de noces. Ce qui n'empêchait pas quelques commentaires égrillards, mais enfin... Je doutais que les parents d'Héloïse verraient d'un bon œil le fait que nous ne quittions pas la chambre de la journée, et même plus. Néanmoins... Non, vraiment, je ne me voyais pas la réveiller.
Passées les premières appréhensions, chassé aussi le souvenir de la brûlure causée par la rupture de son hymen, brûlure que, malgré mes soins, je n'avais pu lui éviter, elle s'était montrée curieuse et entreprenante. Bien plus que je ne l'aurais pensé ou, du moins, plus vite que je ne l'avais imaginé. Elle avait voulu partir à la découverte de mon propre corps, comme j'avais découvert le sien. Je la revoyais encore, alors que l'aube pointait ses premiers rayons, me chevauchant avec allégresse, les cheveux en bataille, les reins creusés, les seins tendus. Et la bouche ouverte sur un cri de jouissance que j'avais été bien incapable, celui-là, d'étouffer. La tendre lumière du jour éclairait alors son corps, soulignait ses courbes harmonieuses et faisait luire la sueur qui perlait comme si elle avait été recouverte de rosée.
Je retins un soupir, fermai les yeux. Un sentiment de bonheur intense, de plénitude et de totale harmonie m'habitait. J'avais trouvé celle qui était mon sang, mon âme, mon cœur, mes larmes.
Ma femme.
Héloïse.
FIN DE LA PREMIERE PARTIE
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